Sylvie* vit avec sa famille dans un logement de l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve. Dans son immeuble, il y a eu un problème de punaises. Sylvie et sa famille, des gens très vulnérables qui vivent de l’aide sociale, demeurent dans un logement encombré. Parce que le ménage n’a pas été fait adéquatement avant le passage de l’exterminateur, l’inspecteur municipal lui a donné un constat d’infraction de plus de 900 $.

« Ça fait plus d’un an qu’on se battait contre les punaises. Chaque fois qu’on demandait de l’aide, on n’en avait pas. C’était insupportable. On faisait le ménage au complet avant les exterminations, mais ça ne faisait jamais leur affaire. L’inspecteur est venu une première fois, on a eu un avertissement. Il y a eu une deuxième visite, ils ont trouvé qu’on n’avait pas assez désencombré. On a eu une contravention de 980 $ », raconte la femme, qui nous a envoyé une photo du constat. Sylvie nous a demandé de taire son identité, car elle craint les représailles de l’arrondissement.

Elle n’est pas la seule locataire de l’arrondissement à avoir écopé de constats d’infraction salés de la part du service d’inspection. Patricia Mercier, de l’organisme Infologis, a elle aussi vu des citoyens atteints de troubles mentaux écoper de tels constats. Une première pour Mme Mercier, qui travaille à l’organisme depuis 10 ans.

Quand ce sont les propriétaires qui ne respectent pas le règlement, on ne leur donne pas de constat d’infraction. Mais avec les locataires, ils sont rapides sur la gâchette. Ces gens-là vivent de l’aide sociale. Comment vont-ils payer ça ? Et en plus, ça ne règle absolument pas le problème !

Patricia Mercier, de l’organisme Infologis

Combien de constats ont été remis aux locataires au cours des trois dernières années ? Nous avons posé la question à l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve. L’arrondissement a répondu à 1365 requêtes d’inspection, et on a délivré 150 constats depuis 2021, nous a répondu le chargé de communications, Vincent Fortin, qui s’est dit incapable de déterminer combien de ces constats avaient été remis à des locataires. À la suite de nos questions, le maire de l’arrondissement, Pierre Lessard-Blais, a demandé au personnel de faire l’exercice pour 2023. Seulement cinq constats ont été donnés à des locataires, plaide-t-il.

« Et ces constats ont été donnés après, au minimum, une dizaine d’interventions, incluant le propriétaire, l’arrondissement ou le service d’incendie », dit-il. Ces interventions se sont déroulées sur plusieurs mois, jusqu’à un an. Et quand on a tout essayé, résume-t-il, « le dernier recours de l’inspecteur, c’est l’amende ».

Déficit démocratique ?

D’anciens maires aux intervenants de comités logements, en passant par de simples citoyens qui ne reçoivent pas de réponses à leurs courriels aux élus ou aux fonctionnaires, de nombreuses personnes se posent des questions sur la gouvernance de l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve.

Deux anciens maires d’arrondissement, Réal Ménard et Lyn Thériault, ont publié une lettre ouverte en février dernier pour exprimer des inquiétudes quant à l’état de la démocratie locale. « Les élus de l’opposition sont traités de façon cavalière. Ils n’ont pas de personnel de soutien pour faire leur travail, ils n’ont pas accès aux données budgétaires, dit M. Ménard en entrevue à La Presse. Je trouve ça déplorable. »

Le maire rejette ces allégations, qui sont sans fondement, dit-il. Réal Ménard « est un ancien adversaire politique », souligne-t-il. L’arrondissement fournit aux conseillers tout ce dont ils ont besoin : des bureaux, des rencontres régulières avec la direction, du personnel de soutien. « Nous allons bien au-delà de ce que la loi requiert. »

Au fil des derniers mois, dans l’arrondissement, Annie Lapalme a constaté les grandes difficultés qu’elle a eues, et qu’ont eues plusieurs citoyens, à obtenir des réponses à des questions simples de la part des élus ou des fonctionnaires.

On a des gens de toutes les classes sociales qui se plaignent à l’arrondissement, et la réponse est la même : on vous prend pour des valises ou on ne vous répond carrément pas. C’est un niveau de mépris qui est quand même important.

Annie Lapalme, d’Entraide-logement Hochelaga-Maisonneuve

Le maire a aussi supprimé des instances consultatives, notamment en matière de logement, ajoute Réal Ménard. « C’est inacceptable qu’il n’y ait plus d’instance sur le logement où il y a des élus et des groupes du quartier qui siègent. »

Le maire indique que le personnel de l’arrondissement a collaboré de très près avec le comité logement sur plusieurs dossiers, communiquant notamment à plus d’une vingtaine de reprises avec Mme Lapalme concernant le dossier du 4790, rue Sainte-Catherine, un immeuble acheté en août par le spéculateur immobilier Henry Zavriyev, qui a été la proie des flammes en septembre, et inondé en octobre. Au début de décembre, six locataires habitaient toujours dans l’immeuble. Il convient toutefois que la relation est tendue. « Ces organismes sont super importants pour nous, mais ils nous demandent parfois de leur fournir de l’information qu’on n’est pas légalement autorisés à donner. »

Recommandations rejetées

De plus, les autorités de l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve ont rejeté en bloc depuis 2019 toutes les recommandations formulées par l’ombudsman de la Ville de Montréal. Dans le plus récent rapport, remis en 2022, cinq des dix recommandations de l’ombudsman, qui enquête sur la totalité du territoire, visaient l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve.

« Historiquement, c’est très rare » que les recommandations soient rejetées en bloc, soulignait Me Nadine Mailloux, l’ombudsman de la Ville, en entrevue avec le journal Métro en juin dernier. « Les seules fois où j’ai vu des recommandations refusées […], c’est l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve. »

Le maire Lessard-Blais dit avoir rencontré l’ombudsman à la suite de ce rapport, afin de lui expliquer que certains dossiers soulevés dans son rapport présentaient des enjeux de sécurité. « Et quand il y a des enjeux de sécurité, on n’est pas en mode sondage. » La rencontre a été très constructive, souligne-t-il. L’arrondissement est d’ailleurs aussi cité dans le rapport comme un bon exemple de collaboration avec les citoyens, dit-il.

* Prénom fictif