D’une part, il y a les alarmistes⁠1, pour qui le taux d’obésité est le présage d’une crise de santé publique. De l’autre, les sceptiques⁠2, selon qui on accorde beaucoup trop d’importance au poids. Y a-t-il des points de convergence entre ces discours ? Plus qu’on le pense.

Clivage

Le domaine du poids évolue, et la prise en compte de la grossophobie fait de plus en plus consensus. N’empêche, il persiste une forme de clivage dans les messages que le public reçoit à l’égard du poids. À propos du contrôle qu’on a sur son poids, des liens entre le poids et la santé, de la définition de l’obésité. Il faut s’accepter comme on est… tout en s’attaquant à « l’épidémie d’obésité ». « C’est normal de se sentir perdu », nous rassure Joëlle Emond, présidente de l’Ordre des diététistes-nutritionnistes du Québec.

65 %

Proportion de Québécois qui souhaitent maigrir, selon un sondage réalisé par Léger pour le compte d’ÉquiLibre en 2021. Quelque 37 % des répondants se sont dits « obsédés » par le contrôle du poids.

Acceptation

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Andrée-Ann Dufour Bouchard

Le discours de santé publique et celui de l’acceptation de la diversité sont loin d’être contradictoires, estime Andrée-Ann Dufour Bouchard, cheffe de projet chez ÉquiLibre. Parler de diversité corporelle, dit-elle, ça ne veut pas dire encourager les gens à ne plus se soucier de leur santé. Au contraire. « Quelqu’un qui s’accepte, c’est quelqu’un qui reconnaît qu’il a de la valeur indépendamment de son poids, dit-elle. Quand on reconnaît sa valeur, on est enclin à prendre soin de soi. » L’obsession du poids est dommageable, rappelle-t-elle, tant physiquement que psychologiquement.

Décentraliser le discours

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Caroline Huard

Pendant des décennies, les professionnels de la santé ont mis la perte de poids au cœur de leur action. « On a des données probantes qui nous montrent que ce discours contribue à l’insatisfaction corporelle, ce qui nous rend vulnérables aux troubles alimentaires, et vulnérables à tomber dans les panneaux de l’industrie des diètes, qui, ultimement, va être mauvaise pour nous », explique Caroline Huard, créatrice culinaire, qui s’est plongée tête première dans le sujet dans la balado À plat ventre.

Inclusion

Le poids est un indicateur de santé, mais il y en a d’autres : mieux manger, bouger plus, mieux dormir, gérer son stress. « La population doit se rendre compte que, peu importe son poids, en adoptant de saines habitudes de vie, on en retire des bienfaits », résume Safiétou Sakala, directrice de projets en santé mentale positive à l’Association pour la santé publique du Québec. « Les gens qui ont un certain poids se font régulièrement exclure dès l’école primaire, se désole Pierre Lavoie, coauteur du livre Faut que ça bouge ! avec Jean-François Harvey. Il faut les inclure, enlever les chronomètres, amener le plaisir. » À ses yeux, la note en éducation physique n’a pas sa place.

Cercle vertueux

Selon le kinésiologue Jean-François Harvey, le but est de passer d’un cercle vicieux à un cercle vertueux. « Quand on se sent bien, qu’on a bougé, qu’on a bien dormi, qu’on se sent moins stressé, ça favorise la sécrétion de l’hormone responsable de la satiété », illustre-t-il. Est-ce que ce changement de mode de vie se traduira par une perte de poids ? Peut-être que oui, peut-être que non, mais « l’objectif premier ne devrait jamais être de perdre du poids ; ça devrait être le plaisir et le bien-être ».

Obésité saine

Attention aux généralités : bien des personnes grosses sont en forme (Pierre Lavoie en voit plein à ses évènements), et des personnes grosses n’ont pas de dérèglements associés (inflammation, résistance à l’insuline, hyperglycémie, hypertension, etc.). « La plupart des scientifiques s’accordent pour dire qu’il existe une obésité saine », dit Stéphanie Fulton, professeure au département de nutrition de l’Université de Montréal. Des chercheurs soutiennent toutefois que l’« obésité métaboliquement saine » est temporaire, les gens demeurant plus à risque de développer des problèmes plus tard. Soulignons qu’un surplus de gras aux hanches et aux cuisses est moins corrélé avec des problèmes de santé.

Effet protecteur

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Stéphanie Fulton

L’exercice et le type d’alimentation ont « un effet protecteur » contre les risques associés à l’obésité, indique Stéphanie Fulton : « On peut avoir le même poids, mais avec une disposition de la graisse moins viscérale, moins centrale. Et c’est associé à une alimentation méditerranéenne avec des acides gras polyinsaturés, du poisson… » L’exercice a des effets bénéfiques, peu importe le poids, mais aux yeux du cardiologue Martin Juneau, il n’annule pas les effets néfastes de l’obésité. « La graisse périviscérale, celle autour du foie, du cœur, du pancréas, est très toxique, dit-il. On connaît les mécanismes. »

Meilleur accès

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Le DMartin Juneau

S’il est si difficile de perdre du poids, c’est parce que les gens ne sont pas accompagnés, estime le DMartin Juneau, directeur de l’Observatoire de la prévention de l’Institut de cardiologie de Montréal. Il plaide pour un accès gratuit et simplifié à des professionnels. « Au lieu d’investir massivement dans plein de pilules, réservons une fraction de ces sommes-là pour donner accès à des nutritionnistes et des kinésiologues », propose-t-il. « À notre clinique, on accompagne les gens, on leur fait perdre du poids, et 40 % n’ont plus de diabète après un an. Zéro. »

En parler, mais comment ?

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Gabrielle Lisa Collard

Comment aborder la hausse de la prévalence de l’obésité et l’impact que cela pourrait avoir sur le système de soins ? L’indice de masse corporelle est un indicateur imparfait, moins précis que le tour de taille, mais statistiquement, l’obésité est associée au diabète de type 2, à l’hypertension, aux maladies cardiovasculaires, à certains cancers… À cet effet, difficile d’obtenir un consensus. Les uns disent qu’on se cache la tête dans le sable si on n’en parle pas, les autres rétorquent que ce discours génère un stress nocif. « Ça ne m’aide pas, de me faire constamment dire que je vais crever », résume la journaliste et militante Gabrielle Lisa Collard.

Manque de données

Dans leur livre Faut que ça bouge !, Pierre Lavoie et Jean-François Harvey soulèvent un enjeu : les pressions de certains groupes font en sorte que les professionnels de la santé ne prennent plus systématiquement le poids des enfants. L’idée, c’est de ne pas générer de troubles alimentaires, mais la conséquence, c’est qu’il manque de données récentes sur l’obésité. Le DJuneau se questionne pour sa part sur le message envoyé aux adultes. « La stigmatisation, c’est très mauvais, mais dire aux gens que tous les poids sont corrects, d’arrêter de se peser et de ne plus s’inquiéter, je trouve cela irresponsable », dit-il.

Consentement

La perte de poids demeure l’une des raisons les plus fréquentes de consultation auprès des diététistes-nutritionnistes. « Moyennant qu’une personne désire en parler ou y consente, la question du poids doit être abordée », estime Joëlle Emond, de l’Ordre des diététistes-nutritionnistes du Québec. Andrée-Ann Dufour Bouchard, d’ÉquiLibre, croit elle aussi qu’il faut parler de poids, ne serait-ce que pour défaire certaines croyances. « Et si les gens pensent que les professionnels de la santé sont contre la perte de poids, le risque, c’est qu’ils se dirigent vers des pseudo-experts », ajoute-t-elle.

Les bonnes raisons

« Le défi, avec la question du poids, c’est qu’on souhaite une réponse simple à un enjeu complexe et unique à chacun », résume Joëlle Emond. Plus on a d’outils, dit-elle, mieux c’est. Et c’est peut-être cette expression – « unique à chacun » – qui permet le mieux de concilier les discours. Christina St-Amour a subi une opération bariatrique parce qu’elle vivait son obésité grave comme un handicap, et qu’elle en souffrait. « C’est correct, de vouloir perdre du poids, mais il faut le faire pour les bonnes raisons ; pour soi », conclut-elle.

Recherche de consensus

1 et 2 : Les termes « alarmistes » et « sceptiques » sont tirés d’un rapport de 2021 produit par un groupe de travail créé par l’Association pour la santé publique du Québec. L’un des objectifs était de trouver un consensus autour des questions liées au poids et à la santé.

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