« Est-ce qu’on a encore le droit de vouloir perdre du poids ? » Un nutritionniste a récemment posé la question sur Instagram, en faisant référence à des proches qui n’osaient pas parler de leurs démarches de perte de poids par peur du jugement. La publication a suscité beaucoup de réactions, dont celles de ces deux femmes. Deux histoires, deux vécus, deux façons de voir les choses.

Anne-Claude Robitaille

L’impression d’une double stigmatisation

Anne-Claude Robitaille se présente comme un « cas classique ». Une hérédité de gens bien portants des deux côtés, des années de diètes, un poids en yoyo. À 39 ans, elle a choisi d’avoir recours à la chirurgie bariatrique, « une grosse démarche », qui impose une série d’adaptations à tous les niveaux.

« Mon père, pourtant actif, est mort d’un arrêt cardiaque foudroyant à 58 ans. Dans ma tête, si je continuais sur ce chemin-là, c’est ce qui m’attendait », raconte Anne-Claude, intervenante psychosociale dans le réseau de la santé. « Je n’étais pas bien non plus dans ce corps-là, admet la Gaspésienne. Je ne me reconnaissais pas. »

Voilà quatre ans qu’elle s’est fait opérer. Le « privilège de la minceur », Anne-Claude le trouve « très, très confrontant ». « En acceptant les compliments qu’on me fait, c’est comme si je rejetais une partie de moi-même », dit-elle.

On lui pose aussi des questions. Pourquoi voulais-tu maigrir ? Combien de kilos ? N’a-t-elle pas assez maigri ? « D’une certaine façon, il faut que je justifie mon choix, parce que la meilleure chose aurait été que je m’accepte comme j’étais », résume Anne-Claude, qui offre aujourd’hui des ateliers dans un cabinet de nutritionnistes-diététistes spécialisées en chirurgie bariatrique.

Anne-Claude défend le droit des êtres humains, peu importe leur grosseur, d’être considérés équitablement et dignement. Elle encourage ses filles à embrasser leurs courbes. Mais elle se questionne aussi sur l’impact de la frange la plus militante du mouvement pour l’acceptation corporelle, qui selon elle peut aussi faire preuve de stigmatisation.

« Tu es stigmatisé quand tu es dans un corps gros, mais tu es aussi stigmatisé quand tu veux perdre du poids », soutient-elle. Des militantes lui ont déjà écrit que son choix de se tourner vers la chirurgie bariatrique était en soi grossophobe, qu’elle devrait se garder d’en parler publiquement et se « renseigner » sur ces questions.

Sur les réseaux sociaux, dit-elle, on trouve du contenu « bienveillant, nuancé et normalisant », mais aussi du contenu qui, à ses yeux, normalise l’obésité de classe 3 – qui est selon elle un problème de santé grave.

« C’est un sujet qui est polarisant parce qu’il est ancré dans beaucoup de blessures, beaucoup de souffrances, beaucoup de détresse psychologique », constate Anne-Claude Robitaille.

Gabrielle Lisa Collard

Prendre un temps d’arrêt

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, LA PRESSE

Gabrielle Lisa Collard

Voilà des années que Gabrielle Lisa Collard milite pour les personnes grosses. Elle a tenu un blogue, écrit des livres, en a parlé sur plusieurs tribunes. Et elle le fait toujours avec la même passion.

À peine a-t-on le temps de lui expliquer l’angle de notre article que Gabrielle se lance dans un fougueux exposé sur toutes les nuances à apporter lorsqu’on établit des liens entre le poids et les problèmes de santé. La société a tellement intégré qu’être gros, « c’est la pire affaire », qu’on tire des parallèles là où il n’y en a pas nécessairement, plaide-t-elle. « Excuse-moi à l’avance, je suis facile à lancer ! »

Selon Gabrielle Lisa Collard, la société entretient une « panique morale » autour de l’obésité – un terme qu’elle n’emploie d’ailleurs pas. Tout est axé sur la perte de poids, dit-elle. « Ce focus-là est d’une cruauté extrême, encore plus quand on sait que ce n’est pas une question de choix », dit Gabrielle, qui s’est demandé jusqu’à l’âge de 30 ans ce qu’elle pouvait bien faire de mal tant on lui a renvoyé l’image que le surpoids est la conséquence de mauvais choix.

Les personnes qui veulent perdre du poids, dit-elle, ne sont pas ostracisées. Au contraire, estime Gabrielle, « rien n’est plus valorisé ».

Comme il est normal de réfléchir avant de dire une blague raciste digne des années 1990, il est normal, selon elle, de prendre un temps d’arrêt avant de parler de perte de poids. On commence à peine, dit-elle, à soulever les enjeux de grossophobie dans la société. « À partir du moment où une personne se sent mal à l’aise de se vanter de maigrir, c’est parce qu’il y a quelque chose de nocif dans tout ça ; ça renforce le message qu’un corps mince vaut plus qu’un corps gros », estime-t-elle.

Gabrielle « comprend » les gens qui veulent maigrir. « Ce n’est pas l’approche que je préconiserais, parce que je sais qu’ils seront probablement plus gros dans deux ans, mais ça ne me regarde pas. » À ses yeux, le désir de perdre du poids implique nécessairement une forme de grossophobie, qu’elle vienne de soi, des autres ou des médecins. « Et ici, je ne parle pas de la volonté d’améliorer sa santé, de devenir plus actif ou de manger plus de légumes ; ce sont, pour moi, des choses très distinctes. »