Les bébés de classe reçoivent davantage de diagnostics de trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Ce fait a été démontré aux États-Unis, en Espagne, en Finlande, en Allemagne, en Australie, en Norvège, en Suède, au Canada…

Au Québec, les enfants nés en juillet, août et septembre ont des taux de diagnostic et de médication du TDAH 35 % plus élevés que ceux nés en octobre, novembre et décembre, selon une vaste étude CIRANO publiée l’an dernier dont les résultats ont été publiés dans La Presse. Ce sont 20,8 % des plus jeunes qui ont reçu au moins un diagnostic de TDAH, contre 15,4 % des plus vieux.

Le Danemark fait toutefois figure d’exception sur la scène internationale. Dans ce petit pays de Scandinavie, le mois de naissance a peu ou pas d’impact. Il est vrai qu’au Danemark, seuls les spécialistes sont en droit de poser un diagnostic de TDAH, mais les chercheurs avancent aussi une autre hypothèse pour expliquer cette particularité danoise : la pratique du redshirting.

Le terme redshirting est inspiré de la couleur du chandail porté par les athlètes universitaires américains appelés à se développer une année supplémentaire. Sur le plan scolaire, il désigne la dérogation tardive.

Au Danemark, 40 % des enfants nés en octobre, novembre et décembre retardent d’une année leur entrée à l’école pour gagner en maturité. C’est particulièrement le cas des garçons.

Professeure titulaire au département de sciences économiques de l’ESG-UQAM et coauteure de l’étude québécoise, Catherine Haeck souligne qu’au Québec, les taux de diagnostic très élevés traduisent probablement un surdiagnostic, encore plus marqué, donc, chez les bébés de classe.

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Catherine Haeck, professeure titulaire au département de sciences économiques de l’ESG-UQAM

« C’est en partie parce que l’on confond l’immaturité avec les troubles d’attention », pense la chercheuse. Le diagnostic de TDAH ne repose pas sur des marqueurs biologiques, mais sur l’observation de comportements (faire des erreurs d’inattention, être dans la lune, perdre ses choses, etc.).

La fille de Karine Daraiche, née en août, a reçu un diagnostic de TDA (léger) en quatrième année. Le fait qu’elle soit bébé de classe a-t-il eu un impact ? Sa maman pense que oui. « On l’a fait évaluer, parce qu’elle en arrache à l’école malgré tous ses efforts à la maison, dit-elle. Et même si l’orthopédagogie figure à son plan d’intervention, elle n’y a pas droit, parce qu’elle ne coule pas… »

La majorité des enfants au Québec reçoivent un premier diagnostic de TDAH entre l’âge de 6 et 8 ans, et c’est à cet âge que les chercheurs de l’UQAM ont observé les écarts les plus importants. À partir de 11 ans, l’effet de mois s’estompe, et après 13 ans, il semble disparaître.

Selon Catherine Haeck, on aurait avantage, dans la mesure du possible, à retarder l’âge du diagnostic et la prise de médication, et aussi à permettre une « certaine variabilité » dans le moment d’entrer à l’école, comme c’est le cas au Danemark, aux États-Unis, en Alberta, en Nouvelle-Zélande… Pour obtenir une dérogation au Québec, il faut soumettre un « rapport d’études » composé de plusieurs avis. Cette année, seulement 97 élèves québécois ont fait une entrée tardive, contre 41 passages précoces. « Je comprends que certains enfants en ont vraiment besoin, mais je suis très mal à l’aise avec le fait qu’on médicamente des enfants sans être vraiment sûr qu’ils en ont besoin », dit Catherine Haeck.

Le redshirting a un côté moins reluisant, selon Kelly Bedard, professeure d’économie à l’Université de Californie. Elle souligne qu’aux États-Unis, les enfants qui en bénéficient sont essentiellement issus de milieux favorisés – ce qui risque d’exacerber encore plus les inégalités. Pour la chercheuse, il est difficile de changer le système pour pallier l’écart d’âge, mais une chose est « clairement importante » : « il faut être conscient que ces écarts existent et en tenir compte ».

TDAH ou immaturité ?

Avant de faire évaluer un enfant, les parents et le milieu scolaire devraient d’abord tenter une approche psychothérapeutique, estime la neuropsychologue et psychothérapeute Isabelle Fournier. D’autres facteurs peuvent avoir un impact sur les manifestations associées au TDAH, souligne Mme Fournier, qui pense au manque de sommeil, à la dépression, à l’anxiété…

Lorsqu’elle travaillait en milieu scolaire, la neuropsychologue a ressenti une forme d’insistance pour évaluer des TDAH. Au privé aussi, remarque-t-elle, les professionnels peuvent se mettre une pression.

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Isabelle Fournier, neuropsychologue et psychothérapeute

Quand les critères diagnostiques sont là, il faut être solide pour conclure que l’enfant n’a pas de TDAH.

Isabelle Fournier, neuropsychologue et psychothérapeute

Isabelle Fournier a cessé de faire des évaluations neuropsychologiques et se concentre désormais sur l’accompagnement parental. Elle est aussi appelée à nuancer des plans d’intervention à l’école. Sa mission : soutenir le développement des enfants, leur estime, leur sentiment de compétence.

« Quand on est moins dans l’urgence, les changements arrivent souvent plus rapidement, note-t-elle. Ça vaut lorsque j’interviens auprès de mon enfant, et peut-être aussi, de façon plus large, avec nos petits enfants qu’on veut faire diagnostiquer. »

Une version précédente de cet article indiquait que 4 élèves québécois avaient fait un passage précoce cette année, mais c’est plutôt 41 élèves qui ont fait un passage précoce cette année. Nos excuses.