Vous avez une idée pour l’éducation ? Une force irrésistible attirera les micros vers la personne la plus fâchée. À la fin de la journée, ça devient « une controverse ».

Depuis lundi, on en a une nouvelle toute fraîche : l’idée du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, de créer un palmarès sur les écoles. En fait, il ne le promet pas. Il a seulement lancé la réflexion, sans se donner d’échéancier.

Avant d’examiner l’idée, commençons par rappeler ceci : ce ne serait pas tout à fait neuf.

M. Drainville a dévoilé cette semaine un tableau de bord composé de neuf indicateurs. N’importe qui peut maintenant effectuer son propre palmarès par indicateur pour chaque centre de services scolaire.

Les directions des centres de services scolaires se réunissent déjà dans des « communautés de pratique », où elles peuvent comparer leurs résultats et s’inspirer de leurs réussites.

Autre exemple : en Ontario, l’Office de la qualité et de la responsabilité en éducation publie les résultats des écoles et des conseils scolaires, ce qui permet cette comparaison.

La proposition de M. Drainville ne sort pas de nulle part. Depuis son arrivée au pouvoir, la Coalition avenir Québec a augmenté la transparence en éducation. Davantage de données sont accessibles au public et aux chercheurs.

Voilà pour le positif. Mais faut-il aller jusqu’au bout de cette logique et publier un palmarès officiel des écoles ? Cela comporterait trois risques importants.

Le premier, c’est que les enseignants soient incités à orienter leur travail en classe en fonction des évaluations, et non des apprentissages.

Le deuxième, c’est que les directions d’école fassent pression sur les enseignants et jouent avec les notes afin de bien paraître dans le palmarès.

Pour contourner ces écueils, Québec pourrait s’en remettre aux épreuves ministérielles uniformes. Mais il y aurait encore un autre biais. Et celui-là est inévitable. C’est l’incapacité de savoir ce qu’on mesure exactement.

Les données des écoles seraient contaminées par leur profil sociodémographique. On ne saurait pas si les différences viennent de l’école elle-même ou du profil des élèves qui la fréquentent. En d’autres mots, on comparerait des pommes avec des ananas.

À cela s’ajoute la crainte d’inciter au magasinage des écoles, et d’aggraver le fossé socioéconomique.

Dans un monde idéal, on pourrait isoler statistiquement ce facteur afin de mettre les écoles sur une base comparable. Or, les données actuelles ne permettent pas de le faire précisément, explique Catherine Haeck, professeur d’économie spécialisée en éducation à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). « Pour obtenir le profil sociodémographique d’une école, on doit s’en remettre aux données sur le quartier. Elles ne sont pas récentes – elles viennent du dernier recensement. Et surtout, elles sont indirectes. Elles portent sur le voisinage, et non sur les élèves et leurs familles. Ce n’est pas assez fiable », explique-t-elle.

Même si les caquistes ont amélioré l’accès aux données, énormément de travail reste à faire, souligne Mme Haeck. Par exemple, les chercheurs ne peuvent pas vérifier si les élèves en difficulté ont un enseignant expérimenté, si cette personne est souvent remplacée, ou encore avoir des chiffres sur les plans d’intervention et les intervenants spécialisés qui les aident.

Mme Haeck reconnaît que le paquebot ne changera pas de direction en quelques semaines. Mais beaucoup reste à faire, insiste-t-elle. « Aucune organisation d’une si grande taille n’accepterait d’être gérée avec aussi peu d’informations. »

Si M. Drainville a évoqué l’idée d’un palmarès, c’est afin de déterminer les meilleures pratiques et de favoriser l’émulation. Cet objectif est pertinent et il n’est pas inatteignable malgré les limites des données, souligne Catherine Haeck.

Sans prétendre noter précisément la performance de chaque école, Québec pourrait mettre en évidence certaines écoles qui semblent se démarquer. Un exemple souvent mentionné : le centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys, dont des écoles situées en milieu relativement défavorisé se démarquent malgré tout.

M. Drainville veut reproduire les histoires de succès, et le palmarès n’est pas son principal moyen pour y arriver. Il mise davantage sur le futur Institut national d’excellence en éducation, qui vise à déterminer les meilleures pratiques. Par exemple, quelle est l’utilité des devoirs à la maison ? Voilà le genre de questions pour lesquelles on cherche un éclairage plus objectif.

Un vif débat fait rage entre chercheurs. Certains se réjouissent de la création de l’Institut. D’autres craignent que ces études basées sur des données probantes occultent l’effet des inégalités sociales et minent l’autonomie des enseignants.

Sans trancher ce débat, disons au minimum ceci : le Ministère manque encore de données, et même quand il en a, il n’en tient pas suffisamment compte. J’y reviendrai d’ailleurs bientôt.

L’idée derrière le palmarès, soit de favoriser le partage des histoires à succès, est bonne. Mais le moyen choisi semble très imparfait. L’énergie devrait maintenant être consacrée à la recherche d’autres moyens, et non à s’indigner de l’existence même de cette réflexion.