Quand son enfant souffre d’un trouble alimentaire, c’est comme si une mauvaise herbe envahit l’espace et prend le contrôle de la famille. Mais l’enfant est toujours là, derrière, et il a besoin de ses parents pour se rétablir. Comment ces derniers doivent-ils réagir ? Avec les émotions d’un saint-bernard et le comportement d’un dauphin.

Ces analogies peuvent paraître enfantines, mais elles décrivent de manière efficace l’impact du trouble alimentaire et la posture à adopter, comme parent, pour soutenir son enfant, peu importe l’âge de ce dernier. Dans leur livre Le corps pris en otage, la psychothérapeute Marie-Michèle Ricard et la psychologue Annie Aimé offrent des solutions concrètes aux parents, souvent démunis devant l’emprise du trouble (anorexie, boulimie, hyperphagie, etc.).

Marie-Michèle Ricard et Annie Aimé ont cofondé en 2013 la clinique privée Imavi, en Outaouais, spécialisée dans les problèmes d’image corporelle, de poids et de troubles alimentaires. Au fil des années, elles ont soutenu de nombreux parents, qui arrivent souvent inquiets, apeurés, avec l’impression d’être en train d’échapper quelque chose. Beaucoup composent aussi avec un sentiment de culpabilité.

« Cette vieille idée que la famille est la cause unique du trouble est l’un des mythes les plus dommageables », se désole Marie-Michèle Ricard. Les parents, disent les auteures, font plutôt partie de la solution.

Le saint-bernard dauphin

Dans leur livre, Marie-Michèle Ricard et Annie Aimé utilisent des métaphores animales proposées par des chercheurs britanniques, en 2017, pour qualifier les différentes réponses des parents face au trouble alimentaire de leur enfant.

Sur le plan émotionnel, il y a le parent « méduse », qui réagit fortement, qui se sent coupable, impuissant, épuisé. Il y a le parent « autruche », qui fuit la situation et espère que le trouble s’estompera de lui-même. Et le parent « saint-bernard », qui encadre son enfant avec calme, chaleur, amour, respect et constance.

Côté comportemental, on trouve le parent « kangourou », qui a tendance à surprotéger son enfant et qui accommode le trouble ; le parent « rhinocéros », rationnel, qui fait prévaloir ses idées pour régler rapidement le problème ; le parent « chien terrier », qui tourne autour de son enfant pour lui dire quoi faire et ne pas faire ; et le parent « dauphin », qui nage avec son enfant pour le guider, sans le harceler, conscient du contrôle qu’exerce le trouble sur lui.

PHOTO JOSÉE LECOMPTE, FOURNIE PAR GROUPE LIVRE QUÉBECOR

Marie-Michèle Ricard, psychothérapeute

Quand on est épuisé et terriblement inquiet, n’est-ce pas difficile d’adopter la posture ô combien mûre du saint-bernard dauphin ? L’idée n’est pas d’être parfait, insiste le duo, mais de s’observer, de reconnaître quand on l’a échappé, et de tendre, doucement, vers ces modèles.

S’il y a quelque chose qu’on veut laisser avec ce livre-là, c’est qu’il y a toujours quelque chose à faire. Toujours.

Marie-Michèle Ricard, psychothérapeute

Stratégie et soutien

En plus de donner des stratégies concrètes pour encadrer l’heure des repas (et de nombreuses autres situations), les auteures consacrent un chapitre entier au soutien émotionnel. Comment prêter attention à ce que l’enfant ressent, le valider surtout, répondre aux besoins associés aux émotions... Elles proposent même des phrases précises. « Je comprends que tu as peur de manger des pâtes, parce que ça fait très longtemps que tu en as mangé. »

« Il y a des troubles, notamment l’hyperphagie, pour lesquels les émotions constituent une cause très importante, souligne Annie Aimé. Ce n’est pas la seule explication, mais c’est une façon de gérer ses émotions, de se réguler. »

PHOTO JOSÉE LECOMPTE, FOURNIE PAR GROUPE LIVRE QUÉBECOR

Annie Aimé, psychologue

L’hyperphagie boulimique consiste en des compulsions alimentaires récurrentes, accompagnées d’une perte de contrôle, sans comportement compensatoire. Il peut être difficile, pour un parent, de distinguer la surconsommation d’un ado en pleine croissance et les compulsions alimentaires, associées à une forme de déconnexion et d’engourdissement émotionnel. Si pratiquement toutes ses émotions dans pratiquement toutes les occasions transitent par l’alimentation, écrivent les auteures, il faut amorcer le dialogue.

Et on ne parle pas ici de commenter le poids de son enfant, mais bien de s’interroger sur son comportement. « Pour moi, un comportement d’excès alimentaire à répétition, c’est un comportement nuisible », dit Annie Aimé.

« Le point central, c’est d’être présent pour son enfant, croit Annie Aimé. Des fois, on va se tromper, et ce n’est pas grave. Mais si on est là, qu’on l’aime et qu’il le sent, on a déjà tellement de points de gagnés. »

Le corps pris en otage

Le corps pris en otage

Éditions Trécarré

232 pages

En savoir plus
  • 5 %
    Jusqu’à 1 adolescent sur 20 (5 %) reçoit un diagnostic de trouble alimentaire
    Source : Mohori et coll., 2022