Pour certains, c’est un cauchemar ; pour d’autres, une expérience enrichissante. Les parents et les enfants entretiennent une relation complexe avec la soirée pyjama suivie du dodo à l’extérieur de la maison (le fameux sleepover). Moins populaire depuis la pandémie, l’expérience témoigne désormais de l’anxiété chez les petits… et les adultes.

« Ça fait partie de mes plus beaux souvenirs d’enfance avec une ambiance de camping au moment de se coucher et un bon déjeuner fait par les parents le lendemain », raconte Julie-Anne Mathieu, mère de deux filles de 6 et 11 ans.

Pour cette résidante de L’Assomption, il n’y a donc pas d’enjeu lié aux soirées pyjama, que ce soit elle qui reçoive ou une de ses filles qui découche. L’enjeu vient plutôt des expériences, perceptions et interprétations des autres.

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Julie-Anne Mathieu avec ses deux filles, Éloïse Mackie (centre) et Alanis Mackie (à droite), et une amie de la famille, Ariane Brisson (à gauche)

Il est arrivé que mes filles vivent des déceptions, par exemple parce qu’une amie faisait de l’anxiété, devait repartir plus vite que prévu, pour un mal de ventre ou un mal de tête, ou qu’elle se décommande à la dernière minute.

Julie-Anne Mathieu, mère de deux filles de 6 et 11 ans

Julie-Anne n’est pas le seul parent à parler des soirées pyjama comme d’un défi de gestion de stress et d’angoisse.

Marc-André Gaillard, père de deux garçons de 6 et 10 ans, fait le même constat. « Je ne compte plus le nombre de fois où un parent est venu chercher son enfant tard en soirée ou même en pleine nuit parce que celui-ci le réclamait, dit le Montréalais de 39 ans. On doit ensuite gérer la déception, la peine, la frustration et l’incompréhension chez notre propre enfant. »

Surprotection

Est-ce qu’il s’agit ici d’une question d’anxiété chez l’enfant… ou chez le parent ? La question est légitime, croit Lory Zéphyr, psychologue.

« On vit dans une société où il y a beaucoup de surprotection, souligne-t-elle. On a donc la perception que notre enfant sera mal à l’aise dans un autre contexte et dans un autre environnement que ce à quoi il est habitué. Il faut apprendre à départager ce qui nous appartient à nous, comme parent, en termes d’anxiété et ce que vit l’enfant. Est-il prêt ? Est-ce que ça vient de lui ? »

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Alanis Mackie et Ariane Brisson

Trouver le juste équilibre entre le désir de notre enfant et le fait de le pousser un peu à sortir de sa zone de confort, en tenant compte de son autonomie, de ses craintes et de son tempérament, est un critère important, juge Mme Zéphyr.

« Cela va aussi dépendre de nos propres expériences et du lien qu’on a avec l’autre parent, de la confiance qu’on lui porte », rappelle-t-elle.

À quel âge ?

Bien qu’aucune étude ne porte sur l’âge idéal pour participer à une soirée pyjama, la psychologue souligne l’importance de la communication parent-enfant. Selon elle, avant 5 ans, ce sera difficile d’évaluer à distance ce que ressent notre enfant si, par exemple, il voulait partir et rentrer à la maison.

Ses conseils, si cela survient ? Apaiser notre enfant en lui demandant comment il se sent, le guider, l’écouter, bien comprendre ce qui se passe, lui conseiller de prendre un moment calme, coller son toutou par exemple.

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Lory Zéphyr, psychologue

Je ne pense pas que le parent doit se ruer pour aller chercher son enfant au moindre inconfort. Il est bon de se rappeler qu’il n’y a rien de dangereux dans la situation, simplement du nouveau.

Lory Zéphyr, psychologue

Pour Sarah Hamel, psychoéducatrice, la soirée pyjama est un sujet délicat : beaucoup de choses sont à considérer, indique-t-elle. « De nos jours, les enfants vivent beaucoup de séparations entre autres avec leur figure d’attachement principal, dit-elle. Le sleepover est une séparation qui s’ajoute… »

Elle souligne l’importance du lien parent-enfant et du sentiment de proximité entre eux avant l’expérience du coucher à l’extérieur. « Est-ce que vous avez fait le plein de moments ensemble ? Ou alors vous vous êtes peu vus les jours précédents ? », questionne-t-elle.

Renforcer les liens

Martine Gougeon considère les soirées pyjama comme des moments privilégiés pour ses deux filles de 11 et 13 ans et leurs copines.

« Je trouve que ça renforce leur amitié, explique la Montréalaise de 41 ans. En plus, elles se gèrent, elles jouent ensemble, elles s’occupent et pendant ce temps, je peux faire mes trucs. C’est aussi le moment de faire de petites exceptions comme dormir dans le salon et manger des bonbons ou du popcorn. »

Les anecdotes d’Isabelle*, mère d’une adolescente, sont un peu moins drôles : sa fille, partie dormir chez une amie, a dû faire face au somnambulisme de sa copine. « Elle s’est fait réveiller par son amie qui criait en pleine nuit et qui s’est mise à lancer des affaires dans la chambre. Elle était déchaînée ! Ma fille a fini par dormir dans le lit à étages du petit frère… »

Cela rappelle à Andrée-Anne* une situation similaire : l’ami de son fils de 5 ans a fait des terreurs nocturnes alors qu’il dormait sous son toit… et elle n’avait pas été mise au courant.

« Je ne savais pas quoi faire. Cette fois, c’est moi qui ai appelé les parents à minuit pour qu’ils viennent chercher leur enfant ! »

* Isabelle et Andrée-Anne ont témoigné sous le couvert de l’anonymat, craignant des représailles ou des jugements de la part des autres parents.