Des parents ont fait faire quelques exercices scolaires à leurs enfants, d’autres ont payé un tuteur, et bien d’autres ont laissé les leçons de côté, faisant de leur mieux pour conjuguer leurs obligations. Les parents devraient-ils enseigner aux enfants pendant la grève ? Ou profiter du congé de Noël pour reprendre les savoirs perdus ?

Comme bien des parents, Rachel Blanchard s’est retrouvée avec ses deux enfants à temps plein lors du déclenchement de la grève générale illimitée de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE). Elle appuie sans réserve les enseignants, mais comme bien des parents, une émotion l’habite : l’inquiétude.

« Ce qui me dérange le plus, c’est le principe des deux vitesses : ceux qui paient pour l’école privée, ils en ont, de l’éducation, et les autres… ils sèchent. C’est injuste », dit Rachel, qui souligne que cette génération d’enfants a déjà subi les fermetures liées à la pandémie.

Son plus jeune est en cinquième année du primaire (« une grosse année »), et son plus vieux est en première secondaire, une période charnière.

« Avec mon grand, on en a profité pour faire un devoir en anglais. On étudie aussi les verbes, en français et en anglais », indique Rachel, mais cette dernière n’a rien d’autre à sa disposition : les cahiers sont restés à l’école. Alors ses enfants lisent, vont jouer dehors…

Massothérapeute, elle a des parents parmi sa clientèle, et plusieurs partagent ses préoccupations, dit-elle. « Qu’est-ce qu’on fait pour que nos enfants ne prennent pas de retard ? »

Des parents ont fait encore plus : au début de décembre, des médias ont rapporté que les entreprises de tutorat ont vu leur clientèle augmenter en flèche… ce qui n’a certainement pas rassuré les nombreux parents qui, eux, n’ont pas fait faire de devoirs ou de leçons.

Julie Gascon et son conjoint sont plutôt en mode « survie », entre leur rôle de parent, leur emploi respectif et les lignes de piquetage. « C’est difficile de maintenir une routine de devoirs, confie-t-elle. Mon fils dit souvent qu’il s’ennuie de l’école et qu’il n’apprend rien en ce moment, même si nous faisons notre possible. »

Effet inégal

Les quelque 368 000 élèves des écoles affiliées à la FAE ont manqué 19 jours d’école depuis le déclenchement des grèves, soit 10 % de l’année scolaire. C’est considérable.

« C’est sérieux, ce qui se passe, et ce l’est plus pour certains élèves que pour d’autres », estime Égide Royer, psychologue et spécialiste de la réussite scolaire.

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Égide Royer, psychologue et spécialiste de la réussite scolaire

Les fermetures d’écoles ont tendance à exacerber l’écart entre les élèves faibles et les élèves forts, se désole Égide Royer. Il pense aux élèves en difficulté, à ceux dont les parents sont analphabètes, et encore à ceux en situation de handicap, pour qui la routine est si importante.

Professeure agrégée à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, Mélanie Paré se préoccupe aussi des traces que pourrait laisser cette fermeture sur les élèves qui ont des besoins plus importants. Mais chez l’élève moyen, dont les parents sont présents, l’effet sera moindre, dit-elle. « La majorité des enfants sont très résilients ; ils vont vite s’adapter au retour en classe », prévoit-elle.

Le mois de décembre – celui qui a été perdu – n’est pas le plus chargé en matière d’apprentissages, rappelle Mélanie Paré. À leur retour, les enseignants vont s’adapter et privilégier les savoirs essentiels. « Et ils vont tenir compte du fait que beaucoup d’enfants n’auront pas touché à des matières scolaires pendant la grève », indique la professeure.

Est-ce aux parents de compenser ? Les deux chercheurs à qui La Presse a parlé s’entendent : enseigner la matière n’est pas quelque chose qui est attendu. « En fait, confesse Mélanie Paré, les enseignants n’aiment pas trop que les parents prennent en charge les nouveaux apprentissages, parce que ça crée des doubles apprentissages qui peuvent nuire au travail des enseignants. »

Égide Royer ne lance pas la pierre aux parents qui ont offert un tuteur à leurs enfants, évidemment, mais selon lui, ce sera à l’école d’offrir des heures de tutorat aux enfants qui en auront besoin, et de donner tout le soutien nécessaire aux élèves plus vieux qui voudront décrocher au terme de ce long conflit de travail.

Le rôle des parents

Ce que les parents peuvent faire, pendant ces semaines d’arrêt, c’est d’offrir à leurs enfants une forme de routine, selon la professeure Mélanie Paré. Une heure de coucher, une heure de lever, des repas en famille, et des activités hors des écrans. Comme jouer dehors… et se réserver un moment de lecture tous les jours, afin de limiter la perte des acquis. On peut notamment réviser les tables de multiplication, indique-t-elle.

« Dire à son enfant : “Viens, on va lire, parce que c’est plaisant”, c’est une base plus intéressante que de lui dire : “Je vais faire de l’école avec toi parce que sinon, tu vas accumuler du retard” », illustre Mélanie Paré, selon qui les parents doivent veiller à ne pas transmettre leurs propres anxiétés à leurs enfants.

Égide Royer estime que les enfants peuvent aussi profiter de cette période pour faire de nouvelles choses. Le fils aîné de Rachel Blanchard, par exemple, a commencé à garder deux petits voisins. « Ça le rend responsable et je suis fière de lui », dit la maman.

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Comme bien des parents, Rachel Blanchard s’inquiète des répercussions que la grève pourrait avoir sur ses garçons.

C’est incontournable : bien des jeunes ont passé plus de temps qu’à l’habitude devant les écrans pour aider leurs parents à concilier leurs responsabilités. Les fils de Rachel Blanchard n’y font pas exception. « Ce n’est pas ce dont j’ai envie », confie-t-elle.

Ni Égide Royer ni Mélanie Paré ne s’en formalisent. Les enfants peuvent aussi faire des usages positifs des écrans, comme communiquer avec des amis et – pourquoi pas – écouter une émission en anglais. « L’ado de 11 ans qui a le nez dans son téléphone en attendant qu’on lui envoie une photo de chat… il devrait passer au travers, résume Égide Royer. Les gens font leur possible, et je ne vais pas leur demander d’intervenir comme s’ils avaient un baccalauréat de quatre ans en pédagogie. »