Après des mois cloués à la maison à cause de la pandémie, la dernière chose dont les élèves du Québec avaient besoin, c’est d’une grève qui s’éternise.

Le retour en classe reste bien hypothétique, même si la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) avait un ton plus optimiste, lundi soir. Cette semaine ? La semaine prochaine ? On se croise les doigts. Mais un retour de quelques jours, avant de repartir pour le congé des Fêtes, ne sera pas très productif. Autant dire que de nombreux élèves auront été en pause durant un mois et demi lorsque les cours reprendront en janvier. S’ils reprennent.

La réussite scolaire va en pâtir. Et malheureusement, les élèves ne sont pas tous égaux devant la grève. De nombreuses études ont démontré que les élèves en difficulté paient davantage le prix des interruptions de cours⁠1.

Alors que les plus forts rattrapent le temps perdu, ceux qui traînaient déjà la patte oublient la matière acquise et accentuent leur retard.

Ainsi, l’écart se creuse entre les forts et les faibles.

Entre ceux provenant de milieux plus favorisés du point de vue scolaire et ceux dont les parents n’ont pas le bagage suffisant pour les épauler à la maison (n’oublions pas que 20 % des adultes sont analphabètes).

Entre ceux dont la famille a les moyens de payer un tuteur (il y a des professeurs en grève qui font du tutorat à 25 ou 40 $ l’heure) et les familles qui tirent le diable par la queue pour nourrir leurs enfants privés des repas fournis à l’école⁠2.

Les conséquences à long terme pourraient être considérables. Après la pandémie, des chercheurs anticipaient un accroissement des inégalités de réussite de près de 30 % au Canada⁠3. Ce n’est pas la grève qui va améliorer la situation.

Mais ce n’est pas irrémédiable. En préparant dès maintenant le retour en classe, Québec peut réduire l’impact sur les élèves en difficulté. Voici quatre pistes pour y arriver.

Premièrement, il faudrait ajuster les contenus.

Dans les classes qui auront perdu plusieurs semaines d’école, il est illusoire de penser que les professeurs pourront rattraper toute la matière. Nécessairement, ils devront se concentrer sur les contenus essentiels, comme après la pandémie.

Le hic, c’est que certains élèves dont le professeur est syndiqué avec la FAE auront perdu davantage de journées que ceux dont le professeur fait partie du Front commun et que les élèves du privé qui n’ont pas manqué d’école du tout (sauf exception).

Ils n’auront donc pas le même degré de préparation pour les examens du Ministère qui arriveront très vite en janvier. Un report serait donc approprié pour permettre aux élèves de se rafraîchir les idées. Mais une annulation pure et simple des épreuves n’est pas une bonne idée, car il est important de mesurer l’impact qu’aura eu la grève sur les résultats scolaires.

Cependant, il faudra s’assurer que les élèves qui ont été davantage pénalisés par la grève ne sont pas désavantagés dans la poursuite de leurs études. On pense notamment à des jeunes du secondaire dont les notes seront cruciales pour entrer dans un programme contingenté au cégep.

Deuxièmement, il faudrait bonifier le tutorat pour les élèves qui tirent de l’arrière. La recherche scientifique est très claire : c’est une des meilleures façons d’améliorer l’apprentissage⁠4.

Mais pour que ce soit vraiment efficace, il faut limiter le tutorat à trois ou quatre élèves par tuteur. Il faut miser sur un programme régulier de deux ou trois fois par semaine, durant une bonne partie de l’année. Et il faut recruter les tuteurs chez les professeurs ou les paraprofessionnels (par exemple, des étudiants en éducation) plutôt que chez les parents ou les bénévoles.

Aussi, il est préférable que le tutorat se déroule durant les heures de classe, sans gruger sur les activités parascolaires, pour que les jeunes n’aient pas le sentiment d’être en punition.

Troisièmement, on devrait profiter de l’été pour faire du rattrapage. Par exemple, Québec pourrait épauler les organismes qui offrent des camps afin qu’ils ajoutent dans leur programme des activités scolaires. En consolidant leurs apprentissages, les élèves seraient mieux outillés pour recommencer l’année du bon pied.

Quatrièmement, il faudra réserver des ressources pour faire des démarches personnalisées afin de ramener en classes les jeunes qui sont au bord du décrochage, comme en Ontario. Ceux qui se sont trouvé du travail, durant la grève, doivent revenir en classe. On ne peut pas se permettre de les perdre, avec 30 % des garçons et 20 % des filles qui n’ont pas de diplôme sept ans après le début du secondaire.

Finalement, une question devra se poser lorsque la poussière sera retombée : est-il normal que l’éducation ne soit pas du tout considérée comme un service essentiel ?

Ça devrait l’être minimalement pour les jeunes lourdement handicapés qui fréquentent des classes spécialisées en réadaptation. Les conséquences d’une interruption de service sont particulièrement graves pour eux. Cela peut mener à une véritable régression, voire à des comportements agressifs.

Le Code du travail devrait être revu en ce sens.

Il est clair que les syndiqués ont le droit de faire la grève. C’est un droit fondamental reconnu par la Charte canadienne. Mais les enfants ont aussi le droit d’aller à l’école. C’est un droit enchâssé dans la Convention internationale des droits de l’enfant⁠5.

Dans ce bras de fer entre adultes, ne perdons pas de vue l’essentiel : la réussite scolaire de tous les enfants.

La position de La Presse

Québec doit tout mettre en œuvre pour réduire l’impact de la grève sur les élèves en difficulté qui seront les plus affectés. Quatre solutions doivent être envisagées.

1. Lisez un texte sur les effets des perturbations scolaires des années 2020 et 2021 2. Lisez l’article « Des offres de tutorat controversées – et parfois non déclarées – en pleine grève » 3. Lisez un texte sur l’effet des fermetures d’écoles au Canada (en anglais) 4. Lisez un texte sur l’importance du tutorat (en anglais) 5. Consultez la Convention internationale des droits de l’enfant