On dit que les réseaux sociaux favorisent la circulation de fausses nouvelles ou de désinformation, mais on pourrait aussi défendre un autre point de vue. Sur des plateformes numériques fleurissent des discours qui prônent une meilleure littératie médiatique. Partout sur le web, des créateurs de contenu portent notre attention sur le contexte des messages envoyés et les idéologies qui les traversent. Une frange de la population devient alors de plus en plus critique envers les médias.

Ce rapport changeant est d’autant plus visible qu’il a récemment teinté la séparation très médiatisée du musicien américain Joe Jonas et de l’actrice britannique Sophie Turner, un feuilleton qui secoue la Toile depuis plusieurs semaines.

Dans les jours qui ont suivi la demande de divorce de Jonas, une véritable opération de communication semble avoir été lancée par son équipe. Les tabloïds américains et britanniques se sont empressés de relayer les dires de « sources proches du chanteur » dépeignant Sophie Turner comme une fille de party et une mère absente.

Après ce « mom-shaming », le média américain TMZ est allé jusqu’à publier une série de photos croquées « sur le vif » où on voit Jonas en « mode papa », qui mange avec ses filles dans un restaurant. Tous les moyens possibles semblent donc avoir été déployés pour consolider son image de père irréprochable. Mais depuis quand est-ce exceptionnel pour un père de s’occuper de ses enfants ?

On se serait attendu à voir les foudres du web s’abattre sur Sophie Turner, mais non ! De nombreux internautes ont plutôt fortement critiqué le traitement médiatique réservé à l’actrice et ils ont même accusé son ex d’avoir orchestré une campagne de salissage contre elle.

Selon la journaliste Kate Lindsay, ce changement de cap serait en partie dû aux médias sociaux, et particulièrement à TikTok, qu’elle considère comme un lieu d’éducation sur le monde des célébrités et sur la mécanique des relations publiques. « [Ça] veut dire que le grand public est davantage en mesure de déceler les instances où on le trompe ou quand on tente de cacher la poussière sous le tapis », écrit-elle⁠1.

Grâce à des tiktokeurs qui prennent le parti de disséquer la culture pop et de nous initier à la théorie des médias, plusieurs internautes savent désormais que les disputes fortement médiatisées comme celle de Jonas et de Turner impliquent plus que deux personnes : bien souvent, des professionnels sont embauchés afin d’orienter l’opinion publique, qu’ils peuvent manipuler notamment avec l’aide de certains médias.

Il semble qu’une meilleure compréhension de ces stratégies nous ait permis de voir que le parti pris contre l’actrice émanait d’une opération de communication ratée, mais aussi d’une forme de sexisme endémique qui nous pousse à juger les compétences parentales des mères.

Pour ceux et celles qu’on dit « chroniquement en ligne » comme moi, ce revirement de situation est rafraîchissant, mais pas si étonnant que ça. En fait, passer son temps sur les réseaux sociaux équivaut souvent à consommer énormément de métadiscours, c’est-à-dire du contenu créé en périphérie des médias de masse et portant précisément sur l’étude et l’analyse du discours véhiculé par ces médias.

Chaque semaine, j’écoute par exemple la balado Les ficelles, qui décortique la téléréalité Occupation double. La communauté multiplateforme des Ficelles commente le contenu de l’émission, les idéologies qui la traversent et les choix faits par la production. Pour étoffer leurs analyses, les filles font appel à de nombreuses disciplines, comme la psychologie, la sociologie ou encore les études féministes.

Je dois dire que ce type de contenu m’apparaît parfois plus intéressant que celui qu’il étudie, car ce métadiscours répond aux exigences d’un public qui souhaite qu’on fasse honneur à son intelligence. Il nous permet aussi de rejoindre une conversation, voire une communauté, et d’y participer. D’ailleurs, c’est précisément ça, le web social : un endroit où l’on conjugue notre consommation médiatique à de la production de contenu.

Dans un monde où notre présence numérique nous rend hypervisibles, parfaire notre éducation médiatique se présente aussi comme un atout essentiel, une vraie stratégie de survie.

Pour contrôler minimalement notre image, on n’a plus vraiment le choix d’acquérir une littératie médiatique de base. Et au chapitre des communications, admettons que certaines personnes sont plus habiles que d’autres.

Ainsi, Sophie Turner a récemment fait deux apparitions publiques remarquées au bras d’une des reines de la pop, Taylor Swift. Si le geste audacieux véhicule une image forte de solidarité féminine, il nous rappelle aussi que Swift elle-même s’est fait laisser par Jonas en 2008, lors d’un appel téléphonique. Sur les photos des deux femmes qui circulent sur le web, on les voit réprimer un sourire. Leurs moues amusées me fascinent, car on dirait presque qu’elles nous envoient des clins d’œil. Oui, il s’agit d’une opération de communication, mais au lieu de nous le cacher, les deux stars nous invitent à devenir leurs complices… et à y participer.

1. Lisez le texte « The TikTokker bursting the celebrity bubble » (en anglais) Écoutez la balado Les ficelles