Les enfants patientent devant la porte du local, surexcités. N’arrivant plus à se contenir, l’un d’eux lève le poing au ciel, tout sourire, et crie : « Trisomie 21 ! » Impossible de résister ; je pars à rire.

Pendant ce temps, dans une salle du Regroupement pour la trisomie 21, six aînés attendent les petits. Ils m’ont confié être contents, mais un peu gênés aussi. Ils n’ont pas vu leurs jeunes amis de l’été. Heureusement, ils les connaissent bien. Aujourd’hui, ils entament une troisième année d’activités avec le CPE d’à côté.

Le Regroupement pour la trisomie 21 existe depuis 1986. Conférences, ateliers, physiothérapie, psychoéducation, karaoké, cours de jeu… L’offre est vaste. Comme c’est souvent le cas dans le milieu communautaire, elle repose sur le dévouement d’une petite équipe dont le travail est financé à 30 % par le système public. Le reste dépend des dons.

En 2021, c’est l’appui de la Ville de Montréal qui a permis à Geneviève Labrecque (directrice générale du Regroupement pour la trisomie 21) et à Marie Eve Lalonde (directrice du centre de la petite enfance RHEA), d’unir leurs efforts pour soutenir les aînés.

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Geneviève Labrecque, directrice générale du Regroupement pour la trisomie 21, et Marie Eve Lalonde, directrice du centre de la petite enfance RHEA

C’est que les personnes ayant la trisomie 21 connaissent un vieillissement précoce. « L’espérance de vie est autour de 60 ans et le vieillissement commence souvent vers 40 ans, m’a expliqué Geneviève Labrecque. Quand on pense à la retraite, on pense à du temps pour soi, des voyages ou des activités entre amis. Pour les personnes avec la trisomie 21, la retraite, ce n’est rien… Elles ont été sur l’aide sociale, elles n’ont pas accès aux voyages. Et elles perdent souvent leurs acquis plus rapidement que la population générale. »

Le programme qui leur est voué comprend donc plusieurs activités pour rendre cette période de leur vie plus fertile. Parmi elles, des plages de jeux hebdomadaires avec les enfants du CPE RHEA, tels que du bricolage, des cours de yoga sur chaise, des parcours de motricité et des sorties au parc – l’activité préférée du doyen du groupe, Stéphane, 62 ans.

L’objectif est double : sensibiliser les enfants à la différence intellectuelle tout en permettant aux aînés de garder un rôle actif dans la société. Comme leurs pairs, souvent grands-parents, ils souhaitent pouvoir s’occuper de tout-petits.

Par la bande, des liens se créent.

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Noémie et France font de la pâte à modeler avec deux de leurs jeunes amis.

« L’an dernier, un jeune garçon s’est planté devant notre porte, se rappelle Geneviève Labrecque. Sa mère lui a dit : “Je ne pense pas que tu viens au Regroupement, aujourd’hui.” Il a répondu : “Oui, mais je m’ennuie !” »

D’ailleurs, les enfants se sont clairement ennuyés, pendant l’été. Les aînés aussi. Dès que les petits entrent dans la pièce, les plus vieux se lèvent. France, 58 ans, serre des mains. Apercevant Lia dans sa belle robe rouge, Patrick, 57 ans, s’approche pour lui dire qu’elle ressemble à un cadeau de Noël. Rapidement, tous les enfants se joignent à la conversation. Plusieurs insistent pour qu’on sache que leur anniversaire est près de Noël, justement…

(J’adore comment les enfants de 4 ans pensent.)

Pour lancer cette nouvelle année d’activités, l’intervenante Jessyka Brosseau orchestre d’abord un cercle de discussion. Tous doivent rappeler leur nom, dire leur âge et identifier un truc qu’ils aiment. France suscite l’appui général lorsqu’elle déclare adorer la poutine.

Ce qui me frappe, c’est que certaines personnes vivant avec la trisomie 21 ont des soucis de locution. Quand elles parlent, les enfants se concentrent et les écoutent. Ils cherchent patiemment à les comprendre. La volonté d’entrer en contact est bien réelle.

Je discute avec trois d’entre eux, à l’écart. Quand je demande à Olivia si elle sait ce qu’est la trisomie, elle hoche la tête. « C’est des amis ! »

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Léonard, Olivia et Julia

Julia, elle, me répond que la trisomie, « c’est ici ».

— Et Léonard, quand on t’annonce que tu t’en viens jouer au Regroupement, qu’est-ce que tu te dis ?

— Qu’il y aura plus d’amis, ce matin !

Mon cœur fond.

Ghislain Leblond, l’éducateur des enfants, m’explique qu’ils ne voient ni la différence intellectuelle ni celle relative à l’âge. On leur a lu des contes au sujet de la trisomie 21 et on est prêt à répondre à leurs questions, mais le fait est qu’ils n’en ont pas vraiment…

« Ce sont de futurs adultes qui auront côtoyé la différence très tôt dans leur vie. Ils n’en auront pas peur », croit Geneviève Labrecque.

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Les aînés et les enfants dansent au même rythme pendant une journée d’activités ensemble.

Quel préjugé pourrait-on voir disparaître avec plus d’initiatives de la sorte ? Ils sont nombreux, estime la directrice du Regroupement pour la trisomie 21, mais celui qui la chicote particulièrement, c’est l’âge mental : « Une personne de 55 ans a une expérience de vie de 55 ans, elle n’a pas l’âge mental d’un enfant de 5 ans. Il y en a qui connaissent bien mieux le cinéma que moi, pourtant on a tendance à les infantiliser… Déjà qu’on infantilise les aînés ! »

Elle poursuit sa réflexion, particulièrement pertinente en cette Journée nationale des aînés.

« Même les personnes âgées neurotypiques, on les met dans un centre. On a besoin de cohabiter ensemble, on a besoin de cette jeunesse-là. »

Tandis qu’aînés et enfants se lèvent pour danser au même rythme, je me dis qu’il est difficile de ne pas lui donner raison.

Des fêtes comme ça, on en prendrait beaucoup plus.

Consultez le site du Regroupement pour la trisomie 21