« On ne peut pas se fier à toi, tu trouves toujours tout beau. »

C’est ce que ma sœur a fini par m’avouer après avoir essayé une quatrième robe, toujours insatisfaite. Son commentaire m’a fait rire. C’est vrai, je la trouve belle tout le temps. Est-ce que je manque d’esprit critique pour autant ?

Peut-être que lorsqu’on dit trop souvent le bien qu’on pense des gens, ils en viennent à douter de notre sincérité.

Le problème, c’est que j’aime les compliments. J’en donne à la pelletée, aux amis comme aux inconnus. Jolie chemise, splendides cheveux, chouette attitude. J’adore dire aux enfants qu’ils sont pertinents, même s’ils ne savent pas encore parler. Ils sont beaux, tout le monde le leur dit. Mais qui souligne leur pertinence, hein ?

J’aime l’hyperbole ; tout nouveau coup de cœur devient « mon préféré ». J’ai plusieurs « meilleures chansons de l’existence » et « plus grands films de l’histoire ». Quand j’aime, j’aime beaucoup. Et j’adore souvent.

Pourquoi se garder une gêne ? La pudeur des sentiments, c’est quelque chose que j’observe avec fascination. Comment font les gens posés ? Ceux en contrôle, réservés et mystérieux, qui ne se laissent lire que lorsqu’ils le veulent bien ? Est-ce qu’ils bouillent par en dedans et réussissent à le cacher, ou est-ce qu’ils n’éprouvent vraiment pas l’envie de crier leur admiration devant un chien ?

Qui peut garder son calme devant un chien ?

Je suis la personne chaudaille dans la toilette des filles. Pour ceux qui l’ignorent, aucun lieu n’est empreint de tendresse comme la toilette des femmes dans un bar. Vous croyez qu’on s’éclipse pour se vider la vessie ou retoucher le maquillage ? Non. On se regroupe pour dire à de parfaites étrangères que leur rouge à lèvres est beau, que leur chum ne les mérite pas, qu’elles sentent bon et qu’elles doivent négocier une augmentation de salaire.

En manque d’amour propre ? Tenez-vous là.

Quoique ce ne sera peut-être pas suffisant. La science des compliments nous apprend que notre niveau d’estime de soi influence beaucoup notre rapport aux éloges. Avertissement : la science s’est étonnamment peu intéressée au sujet. Jusqu’à maintenant, on l’a surtout fait en éducation pour comprendre les effets des compliments sur la motivation des enfants, mais une étudepubliée en septembre 2022 dans Current Psychology1 se penche sur leur lien avec la psychologie sociale, la psychologie des émotions et les traits de personnalité.

Ce que les chercheurs Jessica S. Morton, Moïra Mikolajczak et Olivier Luminet avancent, c’est que le concept de mérite est central aux compliments. Si nous félicitons quelqu’un, c’est que cette personne a atteint un standard élevé, selon nous.

Quand on reçoit un compliment, on le compare donc à ses propres standards et à la vision qu’on a de soi.

Selon les chercheurs, ce n’est pas tant le message qu’on entend qui va générer un effet chez soi, mais ce qu’on en perçoit, comprend et retient. Par exemple, les personnes ayant une faible estime d’elles-mêmes auront tendance à rejeter les éloges. Comment composer avec une information positive si on se croit moins bon que la moyenne ?

L’admiration d’autrui peut susciter la méfiance même lorsqu’on se sent digne de recevoir des compliments. En fait, selon les chercheurs, notre réaction dépend du niveau de sincérité que nous percevons chez l’autre et du but des louanges… Est-ce qu’on essaie de nous manipuler ? Est-ce qu’on a maintenant une dette envers la personne qui nous flatte l’ego ?

La norme de réciprocité peut nous encourager à retourner les compliments qu’on reçoit. Le réflexe se comprend, mais tout éloge n’est évidemment pas offert dans l’espoir d’en encaisser à son tour. Parfois, c’est une question de personnalité.

Jean Descôteaux, professeur agrégé au département de psychologie de l’Université de Sherbrooke, m’a appris que « [l’]une des théories dominantes de la personnalité (Allport) considère que chaque personne possède des traits plus ou moins prononcés sur cinq volets : extraversion, névrosisme, ouverture, aspect consciencieux et agréabilité. Comme on peut s’en douter, les gens extravertis ont davantage tendance à ressentir et à exprimer des affects positifs et à entretenir des points de vue optimistes. Ils ont également tendance à rechercher le contact interpersonnel et à être chaleureux ».

Les extravertis ont le compliment plus facile, les trois chercheurs l’ont aussi souligné dans leur article. Après tout, féliciter ceux qui nous entourent, c’est une bonne façon de consolider des relations… D’ailleurs, Jean Descôteaux ajoute : « Une autre des théories dominantes sur la personnalité (Murray) considère plutôt que les personnes varient en termes de motifs ou besoins : pouvoir, accomplissement et affiliation/intimité. Celles dont le motif ou besoin d’affiliation/intimité est plus élevé ont tendance à décoder les situations où figurent d’autres personnes comme des occasions d’entrer en relation et de créer de nouvelles amitiés. »

Je pense que c’est ça.

Le monde est absurde, je ne sais pas où on s’en va, je me demande souvent à quoi je sers, et ce qui me permet de trouver un peu de sens dans ce chaos, c’est de créer des liens. Idéalement en rappelant aux autres leur valeur.

J’y gagne aussi, bien sûr. Je deviens celle qui arrive, peut-être, à les faire sentir plus légers pendant un quart de seconde. Donnant-donnant.

Tout ça pour vous informer que je suis de retour pour une nouvelle saison de chroniques et que je compte bien écrire avec passion au sujet de gens que j’estime beaux, de sujets que je juge bons et de questions qui tuent chez moi toute neutralité. Comme toujours, vos pistes sont les bienvenues. J’aime découvrir ce qui vous fait vibrer.

Et qu’importe ce que dit ma sœur : vous pouvez vous fier à moi, je sais reconnaître la beauté (même si je la vois partout).

1. Lisez l'article New perspectives on the praise literature : towards a conceptual model of compliment (en anglais)