Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à l’animateur et humoriste Dany Turcotte.

J’ai 12 ans, mon père, surnommé Tit-Luc (5 pieds 6 pouces), entre dans la cour de notre bungalow du 105, rue Vauquelin à Jonquière avec son camion vert forêt. Il en sort avec beaucoup d’énergie, se dirige vers la boîte arrière et fait apparaître un magnifique vélo « Motobike » de Yamaha, le véhicule de mes rêves ! Une bicyclette avec une suspension vendue 800 $ en 1975, une folie pour l’époque, mais mon père, fier bipolaire dans sa phase « high », l’a achetée ! Je la chevauche sur-le-champ, tenant avec autant de fermeté que de fierté́ le guidon du plus beau « bicyk » du quartier Gagnon ! Tit-Luc vient de transmettre son amour des vélos à son p’tit gars !

Depuis ce fameux jour, j’ai toujours accordé une place prioritaire à ce mode de transport aussi ludique qu’écologique ! J’ai le souvenir de mes balades en « Motobike », ma petite radio bien accrochée aux poignées, grésillant un beaucoup trop cool I Love to Love de Tina Charles !

Après trois balades, tout comme on le serait pour le crack, je suis accro, un junkie du vélocipède est né ! Pour plusieurs, la bicyclette est une religion au même titre que l’automobile l’est pour d’autres. D’où la fracture idéologique entre les fidèles de la religion du guidon et de celle du bidon !

Chez les cyclistes comme chez les automobilistes, il y a, bien sûr, des « crinqués » de chaque côté ! Selon ma firme de sondage personnelle, on compte 10 % de primates dans chacune des chapelles.

Certains irréductibles du véhicule à gaz ignorent totalement les réalités des cyclistes. La dernière fois qu’ils ont posé leurs pieds sur une pédale, leur vélo avait trois roues. Dans leur tête, les cyclistes sont la pire calamité sur terre depuis la peste noire de 1347 !

C’est un très faible pourcentage des conducteurs, mais ils sont tonitruants et intimidants ! La vue d’une piste cyclable ou, pire, du projet d’une piste provoque chez eux un reflux gastrique à l’amertume d’une IPA avec un IBU de plus de 80. Chaque place de stationnement disparue évoque à leurs yeux l’extraction d’une dent de sagesse sans anesthésie.

Du côté des cyclistes, ce n’est guère mieux ! Un des pires modèles : le « vélocentrique » « lycraté » du nez jusqu’aux pieds dominant une monture de 5000 $, les souliers solidement vissés à ses pédales. Sa vie est un long vélodrome pas tranquille ! Tasse-toi, mononcle passe ! (Beaucoup de baby-boomers ont investi leurs REER dans la pédale.) Il roule dangereusement et met la vie de tout le monde en danger. Son objectif ? Être le premier à attendre… avec nous tous, à la prochaine lumière rouge ! On le retrouve sur les rues piétonnes slalomer sans l’ombre d’une rumeur d’empathie entre les vieux, les enfants ou, encore plus excitant, les fauteuils roulants. Ceux-ci deviennent des bornes qu’il adore dépasser ! Détail intéressant, il sue abondamment et son visage ne donne aucun signe d’amusement. Il rentabilise son kit, that’s it !

Les pistes cyclables sont des autoroutes, il y a des heures de pointe, des bouchons, et… de la rage au guidon ! Que de majeurs dressés farcis de vociférations chargées de mots d’église, le tout se terminant souvent par des coups de pied dans les portes des « chars d’assaut » ! « Y m’a coupé su ma lumière, le ta… ! » « C’est la guerre », comme disait Bernard Derome !

Avec toutes les campagnes de sensibilisation, on a finalement réussi à rentrer le casque dans la tête des gens, il faudra maintenant leur apprendre à faire rimer cyclisme avec civisme ! Ces cowboys roulants qui intimident les piétons et qui exaspèrent les chauffeurs de gros chars sont là pour de bon et, pire, l’épidémie risque de se propager !

Peut-être devrait-on mieux adapter le code de la route pour les deux-roues ? On ne peut pas faire un copier-coller de celui des autos. Un vélo en sens inverse n’a pas le même impact qu’un Hummer dans un one way ! Faire un arrêt complet sur un stop pour un vélo, c’est absurde, nos angles morts sont vivants ! La confusion qui règne aux panneaux d’arrêt est généralisée !

Disons-le une fois pour toutes, les cyclistes n’ont la priorité NULLE PART ! Certains automobilistes le croient et insistent pour les faire passer alors que d’autres ne le croient pas et pestent contre les vélos qui passent, se croyant prioritaires, une chorégraphie chaotique et dangereuse !

Évidemment, les automobilistes percutés à mort par des bicyclettes sont choses moins courantes que l’inverse. Mais il faudra inévitablement apprendre à cohabiter et à se respecter. J’ose même espérer qu’il y aura de plus en plus de gens âgés adeptes du transport à deux roues !

Les habitudes de déplacement se modifient et l’arrivée des vélos électriques devrait faire grandir la secte du lycra. Personnellement, j’espère continuer à rouler le plus longtemps possible, et ce été comme hiver ! Je souhaite même vivre assez vieux pour devenir le Jackrabbit du « bicyk ». Je mange mou mais je roule en BIXI sera la nouvelle tendance !

J’ose même penser que plus les gens bougent, moins le système de santé est paralysé. Merci à mon paternel de m’avoir transmis cet amour ! J’entends encore son légendaire rire sifflant ronronner de satisfaction au retour de sa p’tite ride quotidienne.

Mon père a fait du vélo jusqu’à sa mort à 79 ans ! Vous me direz : « Oui, mais, il fumait au guidon ! » C’est un fait, mais prenez votre gaz égal : au moins, il bougeait en fumant ! C’est beaucoup moins nocif, disait Tit-Luc, qui avait toujours raison ! Sortez de vos chars et venez jouer dehors !