Le débat a été relancé le week-end dernier par la photo, publiée sur Twitter, d’un garçon souriant qui tend deux cafés à une cliente, au service à l’auto chez Tim Hortons. J’oubliais presque : le garçon a 12 ans. Il fait partie de ces préadolescents de plus en plus présents sur le marché du travail en raison de la pénurie de main-d’œuvre.

À quel âge est-il raisonnable de travailler pendant l’année scolaire ? D’un côté, il y a ceux qui rappellent qu’ils ont travaillé à un jeune âge et que cela leur a inculqué un désir d’indépendance et d’autonomie. De l’autre côté, il y a ceux qui trouvent qu’à 12 ans, on devrait pouvoir se contenter d’être un enfant et se concentrer sur ses études, sans devenir un rouage de l’économie de marché.

On peut bien soupeser les arguments pour et contre le travail des préadolescents, une chose demeure : le Québec semble être une société distincte en la matière. Le Québec est la seule province canadienne qui ne compte pas d’âge légal minimum pour le travail des enfants. Dans aucune autre province, un jeune de 12 ans ne pourrait servir du café dans un Tim Hortons.

En octobre 2021, la Colombie-Britannique a fait passer l’âge légal du travail de 12 ans — l’âge minimal le plus bas au pays — à 16 ans.

Certains emplois plus « légers » peuvent y être occupés par des jeunes de 14 ou 15 ans (sauveteur, arbitre, moniteur ou, oui, serveur dans un Tim Hortons), mais pas par des préadolescents.

Aux États-Unis, une loi fédérale, le Fair Labor Standards Act, interdit également aux jeunes de moins de 14 ans de travailler, sauf s’il s’agit d’un travail artistique (être acteur dans une série télé, par exemple), de livrer le journal, de garder des enfants, d’effectuer de menus travaux autour d’une maison privée, ou encore d’être employé par une entreprise familiale ou une ferme.

Dans la Communauté européenne, règle générale, on ne peut employer un adolescent de moins de 15 ans, à moins que ce ne soit pour des travaux légers (à 14 ans ou à 13 ans, dans certains cas exceptionnels).

Le travail des préadolescents québécois serait-il une exception en Occident ? Plusieurs considèrent que c’est une aberration et militent pour un encadrement plus rigoureux. La députée libérale Marwah Rizqy a notamment interpellé le gouvernement caquiste à ce sujet, en juin.

Il existe bien sûr des balises au Québec. Un enfant de moins de 14 ans ne peut travailler qu’à condition d’avoir obtenu la permission écrite de ses parents. Jusqu’à 16 ans, un adolescent ne peut occuper un emploi pendant les heures de cours ni s’adonner à un travail « disproportionné à ses capacités ou susceptible de compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique ou moral ». Il y a là, disons, beaucoup de place à l’interprétation…

Les experts s’entendent généralement sur le fait qu’à moins de 15 heures par semaine, un emploi à temps partiel ne nuit pas aux études des adolescents. C’est même le contraire. À plus de 20 heures par semaine, en revanche, l’effet est inverse. On ne mesure pas encore tout l’effet sur le décrochage scolaire du travail des jeunes en période de pénurie de main-d’œuvre. Et surtout pas celui des enfants de 11 et 12 ans.

Pourquoi empêcherait-on un enfant de décrocher de ses écrans afin de se faire un peu d’argent de poche ? Personne n’oblige ces enfants à travailler, diront certains. Dans la quasi-totalité des cas, c’est exact.

Mais comment s’assurer qu’un garçon de 12 ans, qui travaille chez Tim Hortons, ne soit pas la victime des excès d’un client mécontent ou intransigeant ?

On en a vu, au plus fort des mesures sanitaires, crier à la dictature parce qu’on leur demandait de porter un masque. Et si c’est le patron qui est trop exigeant, quel réflexe aura une fille de 11 ans pour faire valoir ses droits ?

Travailler n’est pas sans risques pour la santé, physique et psychologique. Le nombre de blessures (des brûlures, par exemple) subies par des travailleurs de moins de 16 ans est passé de 85 à 203 entre 2018 et 2021, selon la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Parmi les employés blessés des dernières années, certains avaient seulement 11 ans.

Comment se prémunir contre les abus de toutes sortes lorsqu’on dispose d’un cadre législatif aussi laxiste ? Que le travail des jeunes au Québec soit parmi les moins bien encadrés des pays industrialisés me semble incompréhensible en 2022. Nous ne sommes plus à l’époque de la révolution industrielle.

On ne parle pas de préadolescents qui tondent le gazon ou qui gardent des enfants. On parle de filles et de garçons qui travaillent dans des commerces, après les classes, au salaire minimum. On vient de décider qu’ils ne pourront pas voter à 16 ans. Mais ils peuvent vendre des Timbits à 12 ans. Ça en dit long sur nos priorités et sur nos choix de société.