L’ergonomie a trop longtemps été absente de ma vie. Je l’écris alors que je ressens à l’index une décharge chaque fois que j’appuie sur mon clavier (je tape à deux doigts) et qu’un torticolis a rendu mes mouvements de tête aussi fluides que ceux de Catherine Deneuve dans ses plus récents films. C’est-à-dire pas du tout.

J’ai enfin décidé de m’offrir une chaise de bureau digne de ce nom. Je soupèse ces jours-ci les avantages et inconvénients de différents modèles. La semaine dernière, j’ai acheté un écran compatible avec mon ordinateur, qui sera livré dans un mois. Oui, ma vie est palpitante.

Après bientôt trois décennies à travailler n’importe où et n’importe comment – surtout sur un portable à la table de la salle à manger –, j’ai décidé qu’il était grand temps de profiter d’un peu de confort. Je me suis choisi, comme dirait Fred Savard.

La cinquantaine approche sournoisement, à petits pas. Je la crains comme une épée de Damoclès. Je tire déjà vers le haut, à défaut d’autre chose, l’âge moyen des Québécois (43 ans). Je ressens, en mon for intérieur – et tout ce qui l’enrobe de plus en plus –, que je paie le prix d’années de négligence des préceptes élémentaires de l’ergonomie.

C’est un paiement en plusieurs versements. Cette semaine, c’est le torticolis. Depuis un mois, c’est l’index. Pendant la première année de la pandémie, c’était une tendinite.

Il aura du reste fallu la pandémie pour que je me décide enfin à me doter d’un bureau de télétravail en bonne et due forme, en « chassant » Fiston au sous-sol. Plus d’un an après un refoulement d’égout dont j’ai déjà trop parlé ici, les derniers travaux ont enfin été exécutés cette semaine. Il ne reste que le terrassement…

Tout ça pour dire que pour la première fois de ma vie, j’ai un espace de travail à la maison où je ne prends pas aussi mes repas. Une bibliothèque toute neuve, un bureau retapé. Ne reste qu’à trouver un fauteuil ergonomique et à recevoir mon écran d’ordinateur – j’ai dû rapporter ceux que j’avais empruntés à la salle de rédaction de La Presse, cette semaine – et je serai enfin équipé convenablement pour ce que l’on appelle le travail hybride.

Je lisais les reportages de mes collègues Silvia Galipeau et Catherine Handfield sur ce phénomène de plus en plus répandu, et je me disais qu’il y a presque 30 ans que je pratique le travail hybride. À l’exception des deux dernières années, et de cinq ans, à la fin de la vingtaine et au début de la trentaine, où ma présence a été requise au bureau tous les jours (j’étais chef de la division des Arts), j’ai toujours travaillé la moitié de la semaine chez moi.

Pour répondre à la question que pose Silvia : oui, le bonheur est dans l’hybride. Je dirais même que l’essayer, c’est l’adopter. Je le crois autant pour les employés que pour les employeurs, qui ont constaté dans bien des cas, malgré leur appréhension, que la productivité ne diminuait pas avec le télétravail. Bien au contraire.

Le travail hybride est tellement ancré dans mon mode de vie professionnel, que je serais incapable de faire autrement. Ne serait-ce que pour une raison d’efficacité. Et je ne parle pas que du temps perdu dans les déplacements, même si j’habite à moins de 5 km de La Presse et que je me promets depuis longtemps de faire du transport actif.

En plus de 20 ans de chroniques, j’ai écrit autant de chroniques dans la salle de rédaction de La Presse que de fois que je suis rentré chez moi du bureau en courant. Ça se compte sur les doigts des mains. Ce n’est pourtant pas faute d’essayer.

J’aime le bruissement inspirant, unique, d’une salle de rédaction. Le concert de doigts qui tapent sur des claviers, les conversations impromptues, le brassage d’idées qui nourrit les chroniques. Tout ça m’a beaucoup manqué depuis deux ans. Mais pour l’écriture, j’ai besoin de silence et de calme plat. Heureusement que j’ai des patrons indulgents et compréhensifs.

Ce n’est pas pour moi une question de décor. J’ai tenté d’écrire mes premières chroniques dans l’ancienne salle de rédaction du troisième étage, celle avec un vieux tapis brun qui a connu l’époque des machines à écrire. Puis j’ai abandonné l’idée d’être efficace au bureau, lorsque notre section a été déplacée dans la chambre d’échos d’un étage intermédiaire aux plafonds bas.

Cette semaine, je retrouverai pour la première fois en deux ans mes collègues, dans notre salle de rédaction moderne, au même étage que les journalistes des autres sections du journal, ce qui n’était pas arrivé depuis environ dix ans. En plus de jaser avec Hugo, Chantal, Josée, Alex, Marc-André ou Marissa, je vais pouvoir plus facilement sonder Yves Boisvert (tout le monde, à La Presse, aime sonder Yves Boisvert).

J’aurai le sentiment d’une réunion de famille, après une longue pause covidienne. Un Noël des reporters, en quelque sorte. Puis ce sera le retour à la maison… parce qu’il faut bien travailler !