« Ils m’ont suspendue parce que j’ai poussé le gars qui me harcèle et me touche. »
« On a claqué mon soutien-gorge et on a agrippé mes fesses. La directrice m’a dit : “C’est à toi de t’habiller convenablement.” »
« Ils m’ont violée et filmée. J’avais 14 ans. »
« J’ai dû côtoyer mon agresseur toute l’année. »

Quatre témoignages que l’on retrouve, parmi d’autres, sur les réseaux sociaux du collectif La voix des jeunes compte. Quatre cas qui illustrent tristement le large spectre des violences sexuelles que peuvent subir les jeunes, entre les murs de leur école.

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Parfois dès le primaire.

Prenez un moment pour vous rappeler ce que vous avez vu ou vécu dans les corridors de votre établissement, dans un tournoi parascolaire, dans le bus... On aime croire que les temps changent, mais ils ne changent pas assez.

C’est pour que les prochaines générations n’aient plus à subir la violence d’un autre, parce qu’elles ont été témoins d’actes inacceptables ou parce qu’elles en ont été les victimes qu’une vingtaine de femmes de 15 à 21 ans font aujourd’hui partie du collectif La voix des jeunes compte.

PHOTO ZOYANNE CÔTÉ, FOURNIE PAR LE COLLECTIF LA VOIX DES JEUNES COMPTE

Membres du collectif La voix des jeunes compte

Le groupe est né il y a près de cinq ans, dans la foulée du mouvement de dénonciation #moiaussi, pour mettre en lumière ce qu’il appelle un « #metooscolaire ».

Le 18 janvier dernier, trois de ses représentantes prenaient la parole devant la Commission de la culture et de l’éducation, dans le cadre du projet de loi 9 sur le protecteur national de l’élève. Leur demande ? La création d’une loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les écoles primaires et secondaires de la province.

J’en ai discuté avec six membres du collectif.

Elles s’appellent Kenza, Oumy, Youveline, Mickaella, Keteline, Sha’Nyce. Et puisque leur voix compte, permettez-moi de lui laisser toute la place, un instant...

« Ce n’est pas normal de ne pas être en sécurité à l’école ; on y passe plus de temps qu’à la maison ! C’est à cause de situations comme ça que certaines personnes manquent de motivation scolaire ou arrêtent complètement d’aller à leurs cours », lance Sha’Nyce.

Parfois, les profs savent que quelqu’un ne va pas bien, mais ils ne font pas les premiers pas. Ce n’est pas aux victimes à chercher de l’aide !

Sha’Nyce

« Des fois, il n’y a qu’une travailleuse sociale pour 1500 élèves. Oui, le service est là, mais il n’est pas accessible », rappelle Youveline.

« La plupart des gens veulent aider, mais ils sont mal formés. J’aimerais qu’il y ait des protocoles clairs et qu’on en parle dès la formation des futurs enseignants », souligne Oumy.

« Il faudrait aussi qu’il y ait une meilleure éducation sexuelle. On ne parle pas assez des relations saines, du plaisir ou du respect des partenaires. Il faut entendre parler du consentement pour savoir si le nôtre est respecté ou non », pense Kenza.

« J’aimerais que les personnes qui posent des actes violents aient des conséquences à la hauteur de leurs gestes », dit Mickaella.

« C’est l’école qui décide quelle conséquence va avoir la personne qui agit... Et la conséquence n’est pas nécessairement égale à son comportement. Avec une loi, on saurait clairement ce qui doit arriver. Il n’y aurait plus d’opinion en jeu », croit Keteline.

Limpide.

J’ai lu le mémoire présenté par le collectif, la semaine dernière, à la Commission de la culture et de l’éducation. Sans surprise, il m’a bouleversée. Un passage m’a particulièrement happée.

« Selon Statistique Canada (2014), 55 % des victimes d’agression sexuelle au Canada sont des personnes mineures, alors qu’elles ne représentent que 20 % de la population [...] Il s’agit d’actes criminels à potentiel hautement traumatique qui nécessitent des interventions immédiates, spécialisées et intégrées. »

Il faut non seulement savoir réagir convenablement, mais il faut également le faire aussi vite que possible. D’où l’importance de pouvoir compter sur du personnel formé et des politiques claires.

« On veut qu’un réseau de ressources spécialisées se déploie autour des jeunes, résume Mélanie Lemay, co-coordonnatrice du collectif La voix des jeunes compte. Que le gouvernement arrête d’être toujours en réaction et qu’il fasse de la prévention. »

Maintenant, est-ce qu’une loi assurant ces différents aspects est envisageable ?

Il en existe déjà une, en fait. La loi P-22.1 s’applique aux établissements d’enseignement supérieur. Pourquoi ne pas en imaginer une pour les niveaux primaire et secondaire ?

Certaines écoles s’y penchent déjà, après tout...

En 2018, la Commission scolaire de Montréal s’est dotée de protocoles d’intervention en matière de violences sexuelles. C’est l’une des grandes fiertés du collectif, dont les dénonciations ont influencé ce changement.

« Ce n’est pas normal que ce soit des filles qui portent le dossier des violences sexuelles dans les écoles, se désole toutefois Clorianne Augustin, également co-coordonnatrice du collectif. C’est l’État qui devrait aller de l’avant avec ça... »

D’ailleurs, en octobre dernier, la députée solidaire Christine Labrie proposait le projet de loi n394. Celui-ci combattrait les violences sexuelles dès le préscolaire. Que se passe-t-il, depuis ?

Trop peu de choses, estiment les militantes.

Le sujet est si confrontant qu’on préfère peut-être regarder ailleurs...

Or, les filles ne lâcheront pas le morceau. Elles veulent rencontrer le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, et lui faire entendre toutes ces voix qu’elles portent dans leurs tripes.

Je ne sais pas si le gouvernement s’en rend compte, mais on a de 15 à 21 ans. On va à l’école, on travaille, on est censées profiter de notre jeunesse, mais on est là à se battre pour que des adultes fassent leur travail !

Kenza

« Dans ce contexte-là, je me demande : c’est qui, les adultes ? C’est eux ou c’est nous ? », a ajouté Sha’Nyce.

Je n’ai pas su lui répondre.

Si je pouvais revenir en arrière, je lui dirais que chose certaine, ses complices et elles n’avaient rien de la naïveté propre à la jeunesse. Que leur implication, si importante, avait visiblement dynamité leur innocence. Si leur propre vécu ne l’avait pas déjà fait... Et que donc, oui, on avait collectivement failli à notre tâche d’adultes.