Lobna se demandait comment on fête Noël, ici.

Elle arrivait au pays après avoir fui une Syrie mutilée. La guerre lui avait volé son frère et l’espoir d’élever sa famille en toute sécurité. Elle s’était réfugiée un an en Afrique, avec ses quatre enfants et son mari, avant de rejoindre sa sœur, déjà installée au Québec. On était en 2017 et elle vivait ses premières Fêtes enneigées.

« J’étais curieuse de savoir ce qui se passait derrière les portes. Comment fêtaient les Québécois ? Je ne voulais pas être étrangère, je voulais faire partie de la société », me dit-elle.

Lobna Najar sentait qu’elle avait tout à apprendre.

À l’époque, elle ne parlait pas un mot de français. Elle s’est donc rapidement inscrite à des cours de francisation, qu’elle a adorés. Ils étaient « [sa] première période de communication avec la société québécoise ».

Or, l’apprentissage de la langue – que la femme de 39 ans manie aujourd’hui magnifiquement – n’a pas suffi à sustenter sa curiosité. « J’avais dans ma tête beaucoup de questions, se rappelle-t-elle. Je ne comprenais pas le système politique canadien ni les détails de l’Histoire ! »

En 2019, Lobna s’est rendue à la Cinémathèque pour voir un documentaire au sujet de trois femmes syriennes. Elle y a croisé Rafaëlle Sinave, alors présidente du conseil d’administration de Singa Québec, une organisation qui favorise les rencontres entre personnes réfugiées et citoyens.

« J’ai été courageuse ! Je lui ai demandé où je pourrais trouver quelqu’un avec qui parler français et découvrir l’histoire québécoise. Tout de suite, elle m’a dit : “C’est Jocelyne Lavoie qu’il te faut.” »

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Jocelyne Lavoie a longtemps enseigné l’intégration sociale, au cégep. Or, elle n’a jamais expérimenté la réalité des immigrants. « Je me demandais ce que ça représentait, concrètement, arriver dans un nouveau pays », me dit-elle.

Jocelyne voulait également transmettre sa passion pour les arts et le patrimoine québécois. Elle s’est donc inscrite à la banque de jumelage de Singa Québec.

Quand elle a rencontré Lobna, elle a aussitôt su qu’elle venait de trouver sa candidate de rêve.

PHOTO PATRICE LAROCHE, LE SOLEIL

Jocelyne Lavoie

« On a conversé très naturellement autour d’un souper, se souvient-elle. Dans ses intérêts, sa vivacité et son enthousiasme, on sentait un réel désir de faire partie de la société québécoise. »

Match parfait. Réalisé… le 10 mars 2020.

Pas le choix, les femmes ont entamé une relation virtuelle.

Deux fois par semaine, elles se sont retrouvées en visioconférence. Les trois premières séances ont porté sur les compétences des différents ordres de gouvernement – avec des tableaux créés par Jocelyne à l’appui ! Ont suivi la Conquête britannique, la lutte pour la sauvegarde du français (de la révolte des patriotes jusqu’à l’élection du Parti québécois), les référendums, l’héritage de la Révolution tranquille et… Gabrielle Roy.

« On a lu Bonheur d’occasion ensemble, m’explique Jocelyne. Ça nous a permis d’échanger sur la guerre, Saint-Henri, Westmount, la vie de l’époque et la conscription. Lobna a adoré Gabrielle Roy. »

Elle a également adoré Jocelyne, qu’elle appelle aujourd’hui sa « jumelle ».

PHOTO FOURNIE PAR JOCELYNE LAVOIE

Lobna Najar et Jocelyne Lavoie

« C’est une femme formidable, intelligente et pleine de connaissances ! En plus, elle était enseignante de travail social et c’est le programme auquel je rêve, depuis mon arrivée. Je suis en train de finir mon certificat en année préparatoire pour suivre ce programme. J’espère être acceptée et j’y travaille très fort ! », me lance Lobna, le regard déterminé.

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Bien qu’un jumelage dure formellement six mois, ça fait près de deux ans que les femmes se côtoient.

« Maintenant, on s’aime », résume simplement Jocelyne.

« Avoir Jocelyne dans ma vie, ça me donne de la force », glisse pour sa part Lobna.

Je sens que je ne suis plus une étrangère, que j’ai de la famille ici. Lorsqu’on quitte un pays, on quitte notre vie sociale. On apporte seulement quelques souvenirs. Pour compenser ce vaste manque, je pense que la solution idéale, c’est de se faire de vrais amis.

Lobna Najar

Grâce à Singa Québec, Lobna a trouvé une consœur. Un appui qui a fait toute la différence pour elle. Au point où la mère de famille travaille aujourd’hui pour l’organisation ! Elle est affectée à la mobilisation au programme de jumelage.

« C’est fascinant, parce qu’on crée des jumelages sur la base d’intérêts communs, ce qui est un peu superficiel… Pourtant, ils se transforment souvent en relation très profonde, en une amitié dont on ne pourrait se passer. »

PHOTO FOURNIE PAR JOCELYNE LAVOIE

Lobna Najar et Jocelyne Lavoie

Si Lobna n’a aucune difficulté à recruter de nouveaux arrivants, elle admet qu’il est plus ardu de rallier des citoyens québécois prêts à s’investir dans l’aventure. Ce n’est pas par manque d’intérêt, à son avis. C’est plutôt parce qu’on ne connaît pas assez ce programme. Elle entend donc bien le faire rayonner…

Et as-tu fini par trouver une réponse à ta question initiale, Lobna ?

Elle rit.

« Finalement, au Québec, on fête comme partout ailleurs ! On se retrouve en famille. Chez nous, on a mélangé Noël et nos fêtes musulmanes ! C’est rendu ma célébration préférée… On parle avec nos proches en Syrie, on fait des activités avec les enfants et j’invite des amis de toutes origines à manger à la maison. Je prépare une dinde et le reste, c’est de la cuisine syrienne ! »

Puis, elle profite évidemment des vacances pour retrouver sa précieuse jumelle.

Au menu, cette année : une visite du Musée du Monastère des Augustines, à Québec, où Jocelyne est depuis peu guide-animatrice.

Parce que Lobna a encore plein de questions sur notre histoire.

Et, surtout, une passion débordante pour sa culture d’adoption.

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