C’est la première fois que j’assiste à une messe.

J’ai bien connu quelques funérailles et un baptême, mais c’est tout. Pas même une messe de minuit… Je ne sais rien du protocole, j’ai peur d’insulter les paroissiens avec mon absence de culture religieuse. Je monte timidement les escaliers couverts de glace, j’entre dans l’église et je m’arrête aussitôt pour admirer l’autel, éclairé de rouge et de mauve.

Le mauve, c’est la couleur de l’avent et de l’espoir. Le rouge, c’est celle du sida.

Depuis des décennies, à l’église Saint-Pierre-Apôtre, située dans le quartier gai de Montréal, on célèbre une messe annuelle à la mémoire des personnes mortes du sida. L’évènement se tient le dimanche le plus près du 1er décembre, journée mondiale de la lutte contre le virus.

En ce 28 novembre, plus d’une soixantaine de paroissiens sont réunis. L’un d’eux porte fièrement un masque aux couleurs du drapeau gai. Il me confie qu’il se recueille chaque semaine, mais que la messe d’aujourd’hui aura une signification particulière.

Il en a perdu, des amis, à cause de cette maladie… Voilà une occasion de se rappeler leur doux souvenir.

Je m’assois près de lui, au fond de l’église, question de pouvoir imiter mes pairs (à défaut de savoir quand me lever ou quoi chanter).

Puis, la cérémonie débute avec une procession silencieuse. Elle se déploie jusqu’à la chapelle de l’Espoir, un espace de prière permanent dédié aux personnes vivant avec le VIH et à celles mortes du sida. Le prêtre passe tout près de moi. Je souris en me rappelant notre première rencontre, qui a eu lieu quelques jours plus tôt.

* * *

J’étais curieuse d’en savoir plus sur cet homme qui officie une messe si inclusive, alors que la religion qu’il représente ne l’est pas toujours. Le père Philippe Morina a accepté mon invitation et m’a donné rendez-vous à même l’église. Quand je suis arrivée, il sortait pour sa pause cigarette.

Je l’ai accompagné dehors.

Il s’est mis à rouler son tabac, tout en jasant. Devant mon regard étonné, il m’a expliqué que ça l’aidait à fumer moins. Ça prend plus de volonté, quand on doit assembler soi-même ses cigarettes…

Mon genre de personnage.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

À l’église Saint-Pierre-Apôtre, un espace de prière permanent est dédié aux personnes vivant avec le VIH et à celles mortes du sida : la chapelle de l’Espoir.

Le père Philippe Morina œuvre à l’église Saint-Pierre-Apôtre depuis 11 ans. Il est également bénévole à la Maison Plein Cœur, dont la mission est de soutenir les individus vivant avec le VIH.

« J’ai commencé par le centre de jour, me raconte-t-il. Je servais le café, je jouais aux cartes et je discutais. Maintenant, je fais partie du groupe des pairs aidants qui accompagnent des gens apprenant leur séropositivité. Comment gérer ça ? Est-ce qu’il faut le dire ou non ? Quels sont les effets secondaires des médicaments ? Moi, je ne peux pas les aider à ce niveau-là, n’étant pas séropositif, mais je peux leur offrir un regard extérieur. »

Selon lui, la messe pour la Journée mondiale de lutte contre le sida est une manière de rappeler aux gens dans l’assemblée que le VIH est toujours d’actualité. C’est aussi l’occasion de redonner leur dignité à toutes les personnes mortes de la maladie et auxquelles on a refusé des funérailles, par le passé…

Et c’est fréquent, une messe pareille ?

Une trentaine de secondes se sont écoulées dans un parfait silence, avant qu’il ne me réponde.

« Il peut y avoir des intentions de prière. C’est la sensibilité de l’équipe pastorale, du prêtre et de l’équipe de liturgie qui dicte la célébration.

– … Est-ce que c’est votre façon de me dire que ce n’est pas très commun ?

– Je ne sais pas, a-t-il dit en riant. Une messe annoncée de manière aussi claire que la nôtre, je crois que c’est effectivement plus rare… »

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Une fois sa procession silencieuse terminée, le père Philippe Morina entame la célébration en nous invitant à avoir une pensée pour les chercheurs qui tentent de guérir le VIH et les personnes atteintes du virus, avec l’espoir qu’un traitement soit trouvé.

Il appelle ensuite le Seigneur à garder près de lui, dans sa lumière, les victimes du sida : « Souviens-toi de tous ces hommes et de toutes ces femmes », lui demande-t-il.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, LA PRESSE

Emmanuel Cree, travailleur de rue pour le programme « travail du sexe » de l’organisme RÉZO, a pris la parole lors de la cérémonie.

Puis, rapidement, il donne la parole à Emmanuel Cree. Parce que plutôt que faire une homélie, chaque année, le prêtre met de l’avant un organisme de lutte contre le VIH. (Les Sœurs de la perpétuelle indulgence – mes préférées – ont d’ailleurs déjà été ses invitées.)

Lisez la chronique « Heureusement, les Sœurs de la perpétuelle indulgence sont là »

Emmanuel Cree est travailleur de rue pour le programme « travail du sexe » de l’organisme RÉZO, qui veille à la santé et au mieux-être des hommes gais et bisexuels. Juste avant la célébration, il m’a confié qu’il en était lui aussi à sa toute première messe.

Il semble pourtant très à l’aise…

Il nous parle de l’évolution de la lutte entreprise par RÉZO, des besoins des travailleurs du sexe – « qui sont marginalisés aux yeux de la Santé publique, des autorités policières et parfois même de leur propre communauté » –, de prévention et de trithérapie.

Debout, au centre de l’autel, il nous rappelle l’importance du port du condom, de l’éducation, d’une vie sexuelle et même d’une consommation de drogues sécuritaires. Sans oublier le dépistage, qui dépend d’un système de santé qui se doit d’être inclusif et accessible.

« Philippe parlait d’espoir, tantôt. Pour moi, c’est là-dedans qu’il se trouve. »

Les paroissiens l’applaudissent.

Le père Philippe Morina reprend la parole. « C’est un temps d’espoir, dit-il. Peut-être pas encore joyeux, mais qui le deviendra. »

Autour de moi, des têtes acquiescent. Certains hommes sourient. Et tout le monde espère.