Le tourbillon des Fêtes est de retour. Il ne reste que trois semaines pour boucler les dossiers au bureau, planifier les vacances (si on a ce privilège !), organiser les réceptions à venir et trouver les cadeaux à offrir. Un sprint qui pourrait nous entraîner vers un intéressant phénomène, j’ai nommé : la procrastination vengeresse du sommeil.

L’expression, née en Chine il y a quelques années, est très populaire sur les réseaux sociaux. On la retrouve surtout sous sa dénomination anglaise : « Revenge bedtime procrastination ». En gros, il s’agit de se coucher plus tard pour obtenir un peu de contrôle sur le rythme effréné de nos journées. Frustrés par une surcharge de travail qui nous empêche de relaxer, on fait des coupes dans nos heures de sommeil pour s’offrir un peu de loisirs…

Un réflexe qui se justifie, mais qui est nocif, selon le Dr Roger Godbout, directeur du Laboratoire et de la Clinique du sommeil de l’hôpital Rivière-des-Prairies : « Pour plusieurs personnes, le travail est accaparant et la charge mentale est lourde. Je comprends qu’on puisse vouloir se venger et se dire : “Tant pis, je prends un verre de vin et je regarde une série pendant que les enfants dorment !” C’est vrai que ça fait du bien, mais cette vengeance est vaine. Le sommeil est rancunier. Quand on le bouscule, on n’en sort jamais gagnant. »

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Le Dr Roger Godbout, directeur du Laboratoire et de la Clinique du sommeil de l’hôpital Rivière-des-Prairies

Au bout du fil, le psychologue tente de me faire comprendre en quoi l’idée de dormir moins pour en faire plus est absurde… « Chercher à comprimer notre sommeil, c’est comme vouloir se rapetisser les pieds », finit-il par lancer.

Je trouve qu’il a une belle poésie.

S’ensuit un fascinant cours en accéléré sur les cycles de 24 heures qui régissent notre corps. J’apprends que l’hormone du stress atteint son maximum au petit matin, que l’hormone de croissance se sécrète en début de nuit et que celle du sommeil commence à se manifester en fin de journée.

Quand on bouscule le sommeil, on lutte contre quelque chose qui est biologique ; c’est difficile !

Le Dr Roger Godbout, directeur du Laboratoire et de la Clinique du sommeil de l’hôpital Rivière-des-Prairies

Voilà qui explique pourquoi on peut subir des troubles de concentration, connaître une plus grande impulsivité et manquer de jugement, quand on dort peu. Pourtant, on choisit parfois de brimer notre dodo pour « profiter » de nos journées surchargées…

Le problème, comme me l’indique le Dr Godbout, c’est que le repos qu’on perd au cours de la semaine ne peut pas être rattrapé le samedi ou le dimanche : « Une mauvaise nuit, ce n’est pas grave, dit-il. C’est l’accumulation d’une dette de sommeil qui peut l’être… »

D’autant plus que la procrastination vengeresse du sommeil veut que nous repoussions l’heure du coucher pour nous divertir… Alors que plusieurs sources de plaisir peuvent perturber nos nuits, comme prendre un verre, manger un repas copieux ou boire un café en fin de journée pour demeurer éveillé plus tard.

C’est d’ailleurs ce que craint particulièrement la Dre Rébecca Robillard. La directrice du groupe de recherche clinique sur le sommeil du Centre de santé mentale Royal Ottawa a trouvé quelques minutes dans son horaire chargé pour me parler (en espérant qu’elle ne les ait pas retranchées à sa nuit)…

PHOTO FOURNIE PAR LA DRE RÉBECCA ROBILLARD

La Dre Rébecca Robillard, directrice du groupe de recherche clinique sur le sommeil du Centre de santé mentale Royal Ottawa

« Un des points qui m’inquiètent le plus est le fait qu’on peut utiliser cette procrastination pour regarder notre téléphone, m’explique-t-elle. Mais comme nos écrans sont lumineux, ils suppriment ou retardent les hormones qui devraient être en train de monter pour favoriser notre sommeil, telle la mélatonine. Et on sait à quel point c’est facile de lire un article qui débouche sur un autre ! C’est une spirale descendante… Le petit hamster commence à rouler, on se met à cogiter. Il y a une différence entre se coucher un peu plus tard pour regarder notre téléphone et se coucher un peu plus tard parce qu’on est en train de faire une activité qui n’a pas de côté addictif. »

Un problème passager ou une étape vers l’insomnie ?

En plein sprint des Fêtes, il se peut que l’envie de s’enfiler quelques petites nuits se fasse sentir. Entre les dossiers à clore au boulot et les festivités à planifier, on pourrait décider de s’endormir plus tard pour prendre le temps de souffler un brin. Est-ce grave de sombrer dans une procrastination vengeresse du sommeil momentanée ?

La Dre Robillard réfléchit un instant. « L’insomnie devient chronique en s’ancrant dans nos habitudes et nos comportements. La procrastination est un comportement qui pourrait devenir un patron, oui… »

En m’entendant paniquer, elle ajoute que si une période de l’année nous tient plus occupés, au point où on décide de moins dormir, l’important est que la situation soit temporaire. Qu’on s’assure d’éventuellement retrouver notre routine habituelle.

Ce n’est pas toujours facile de s’autodiscipliner. Heureusement, on peut utiliser des outils… Des alarmes, par exemple. On en met une pour se réveiller le matin, pourquoi ne pas le faire pour se rappeler qu’il est l’heure de se coucher ?

La Dre Rébecca Robillard, directrice du groupe de recherche clinique sur le sommeil du Centre de santé mentale Royal Ottawa

Le Dr Roger Godbout me suggère quant à lui d’ingénieuses pauses toilettes…

« C’est vrai qu’on a souvent plus de boulot, durant cette période-ci de l’année. Je recommande donc des temps de relaxation. Allez aux toilettes, au travail ! Personne n’ira vous achaler là-bas. Faites une pause de cinq minutes avec de la respiration profonde ou encore la méthode de Jacobson. Serrez les poings, ramenez-les vers votre poitrine pendant quelques secondes et laissez-les ensuite tomber. Vous sentirez vos bras picoter. Concentrez-vous activement sur ces sensations. »

Ça semble chouette, mais à quoi ça sert, concrètement ? La psychologue m’explique que le stress n’est pas dû à notre quantité de boulot, mais plutôt au fait de ne pas avoir le contrôle. Quand on se donne une pause relaxante, on s’offre un peu de ce fameux contrôle.

« On a autant de travail, mais on se sent moins submergé, affirme le Dr Godbout. On prend soin de soi, ce qui peut nous encourager à avoir une attitude bienveillante envers notre sommeil aussi… Mais on ne se lance pas là-dedans le 22 décembre ! Il faut commencer à se pratiquer un peu avant. »

Parfait, Docteur ! Je vous promets de publier ma chronique assez tôt pour qu’on prenne de bonnes habitudes avant Noël.