Mohamed Zarrouk a 77 ans. Il étudie à l’UQAM, il adore donner des petits cadeaux aux gens qu’il croise et il envoie chaque jour des courriels à environ 50 correspondants, dont moi…

En mars 2020, quand la première vague de coronavirus a enfermé les aînés entre leurs quatre murs, mes voisines ont eu la bonne idée de créer un groupe d’urgence pandémique. Notre mission ? Soutenir les résidants du foyer pour personnes âgées au coin de la rue. On leur a transmis nos coordonnées en les invitant à nous joindre s’ils avaient besoin de quoi que ce soit. Ne serait-ce que de jaser.

Le soir même, je recevais l’appel de Mohamed Zarrouk.

Depuis, Mohamed m’envoie de deux à cinq courriels par jour. Pas qu’à moi, en fait. Je fais partie d’un groupe d’une cinquantaine de personnes qu’il tient au courant de ce qui se passe dans sa vie, dans le quartier, dans le monde. J’ai rarement vu quelqu’un s’intéresser autant à sa communauté et si bien veiller à entretenir un réseau…

— Alors, il y a qui exactement, dans ta gang de correspondants, Mohamed ?

— Ce sont principalement des membres de ma famille et des amis restés en Tunisie, d’où je viens. Mais il y a aussi des gens que j’ai rencontrés au fil de mes 15 années à Montréal.

— Et comment tu choisis ce que tu nous écris ?

— Il faut que ce soit du contenu éducatif et enrichissant. Quelque chose qui amène une leçon ou au moins un sourire ! Je n’aime pas ce qui est plate…

Voilà qui explique que je puisse recevoir des statistiques sur l’évolution de la pandémie, une caricature politique, des devinettes, des photos de la fanfare venue égayer les résidants du foyer ou encore le tout dernier essai que Mohamed a écrit dans le cadre d’un de ses cours…

Parce que Mohamed étudie. En fait, du haut de ses 77 ans, il entame tout juste une maîtrise en communication internationale et interculturelle, à l’UQAM.

— Je ne pensais pas étudier, en arrivant au Canada.

— Ah non ? Pourtant…

— J’ai roulé ma bosse, hein ?

* * *

Lorsqu’il est venu rejoindre ses deux fils, en 2006, l’ingénieur avait espoir de travailler en génie mécanique. À défaut d’équivalence de diplôme, Mohamed est retourné sur les bancs d’école, à 63 ans.

Il s’est découvert une folle passion pour l’apprentissage.

Il a enchaîné une formation de préposé aux bénéficiaires, une technique d’intervention en loisir, un baccalauréat en action culturelle et le voilà maintenant aux études supérieures.

Margot Ricard, directrice sortante de la maîtrise en communication, me confirme qu’il est le plus vieux des étudiants inscrits au programme : « On a une grosse clientèle adulte, mais on parle davantage de gens dans la quarantaine. En même temps, on vit dans une société vieillissante… Il va falloir laisser de la place aux générations plus âgées, même à l’école. Et le match d’étudiants d’âges différents est stimulant pour tout le monde ! On voit des jeunes coder pour les étudiants plus vieux, par exemple. En échange, ces derniers corrigent le français des plus jeunes ! »

— Ce n’est pas trop stressant, être le doyen, Mohamed ?

— Je suis un vieillard qui se plaît dans la jeunesse pétillante ! Plus j’avance, plus je me découvre capable d’en faire plus… Plus, plus, toujours plus !

D’ailleurs, si Mohamed s’est lancé dans la maîtrise, c’est parce qu’il a un projet en tête : en faire plus pour les nouveaux arrivants.

« Je veux rapprocher les familles immigrantes de Montréal grâce à des activités de loisir, m’explique-t-il. Je trouve que les communautés sont chacune de leur côté, qu’il manque d’amitié. »

La communauté, on y revient toujours.

* * *

En plus d’être un étudiant actif, Mohamed Zarrouk est un infatigable bénévole. Il s’implique dans des associations, des centres communautaires et deux centres d’hébergement… Auprès de personnes qui ont parfois 10 ans de moins que lui.

— C’est grâce au bénévolat que je découvre la culture québécoise. J’ai visité des lieux où je n’aurais jamais mis le pied par moi-même !

— C’est vrai ? Comme quoi ?

— Le Parc Safari !

— Bon point.

— Et j’ai vu beaucoup de cabanes à sucre…

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Ça me fait penser à un courriel que Mohamed nous a envoyé, il y a quelques semaines. On pouvait y admirer des photos de lui avec les résidants d’un CHSLD, en pleine activité de voile adaptée pour personnes à mobilité réduite. Ensemble, ils avaient vogué sur le fleuve Saint-Laurent et partagé un repas. Sur les clichés, des sourires beaux à en pleurer. Je n’en revenais pas. Entre ses cours universitaires et ses fins de semaine passées à laver de la vaisselle pour payer ses études, Mohamed avait trouvé le temps d’être là pour eux.

— Ma présence ici, je la considère comme un cadeau du bon Dieu. C’est pour ça qu’aujourd’hui, je dois redonner.

— C’est ta mission ?

— En fait, j’ai compris qu’en donnant, je reçois beaucoup. Pas en argent, mais en rencontres et en histoires. J’aime les gens, puis ils m’aiment en retour.

* * *

Difficile de ne pas aimer un homme si dévoué, remarquez. Un homme si libre, aussi. Je veux dire, Mohamed adore mettre de drôles de chapeaux, danser en public et chanter, au restaurant : « Vive le Québec qui nous nourrit ». Il a offert un porte-clefs au photographe de La Presse venu prendre son portrait ! Si je vieillis comme lui, j’aurai gagné au jeu de la vie.

— L’entrevue sera publiée dans le cadre de la Journée nationale des aînés, qui a lieu le 1er octobre. T’en penses quoi, de ce mot-là, Mohamed ?

— Être aîné, pour moi, ça ne veut rien dire. Et ça ne signifie surtout pas la fin d’une vie… Même si 99 % des gens de mon âge ont décroché, mentalement ! Surtout avec la pandémie.

— Comment tu fais, toi, pour ne pas décrocher ?

— Je reste occupé ! Ça me permet de ne pas penser aux maladies et aux soucis. En Tunisie, on dit : « Oublie le mal et il t’oubliera. »

— C’est un beau conseil, ça. Merci de m’avoir donné de ton temps.

Mohamed m’arrête, tandis que j’empoigne mon enregistreuse.

— Je peux te demander quelque chose avant de partir ?

— Évidemment !

— Tu peux indiquer mon adresse courriel dans ton article, stp ?

— Ça m’étonnerait que ça pose problème, mais… pourquoi ?

— Au cas où les gens auraient des questions. S’ils veulent en savoir plus ou échanger avec moi, peut-être…

— Tu te cherches d’autres correspondants, Mohamed ?

Alors voilà, vous pouvez écrire ici à l’équipe de La Presse si vous voulez faire partie de la vaste communauté que tisse cet homme unique. Nous lui ferons parvenir vos messages.

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