Notre journaliste se balade dans le Grand Montréal pour parler de gens, d’évènements ou de lieux qui font battre le cœur de leur quartier.

« Les amis, venez voir, il y a des ours polaires dehors. Venez voir ! », a lancé lundi dernier sous le coup de l’émerveillement le petit Clovis aux camarades de son groupe de la fenêtre de leur local de garderie.

Cet hiver, les gens de Villeray ont vu apparaître comme par enchantement des sculptures de glace d’animaux rue De Castelnau. Après celles devant le café Ferlucci, d’autres ont pris forme devant l’église Sainte-Cécile, ajoutant ainsi de la féerie au froid de janvier.

L’œuvre d’Édouard aux mains d’argent ? Plutôt celle de l’artiste Pascale L’Italien.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Les deux ours sont dans un corridor scolaire.

« J’ai vraiment sous-estimé la réaction des gens », lance la sculptrice qui se souvient pourtant comment, petite, elle était impressionnée par les œuvres enneigées de son oncle d’Ottawa. « Dans le regard d’un enfant, les animaux sont énormes », souligne-t-elle.

Il y a deux ans, Pascale a commencé à faire des sculptures dans la cour arrière de son appartement de la rue Lajeunesse, tout simplement parce qu’elle avait facilement accès à de la neige. « Ma propriétaire a tellement trippé que j’ai décidé d’en faire sur la terrasse de mes amis du café Ferlucci », raconte-t-elle.

En décembre dernier, elle a profité d’une bordée de neige pour transformer des flocons en chiens, qui ont fondu, mais auxquels se sont ajoutés ensuite un manchot et un phoque.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Les sculptures du Ferlucci ont résisté aux écarts de température.

Encore là, la magie a opéré au-delà des espérances de l’artiste, si bien qu’elle a décidé de profiter d’une autre tempête pour sculpter deux ours polaires devant l’église Sainte-Cécile.

Comme nous habitons dans le quartier, c’est vraiment beau de voir les gens s’arrêter spontanément pour admirer les bêtes enneigées avec curiosité. Soulignons que les deux colosses sont à un coin de rue de l’école primaire Sainte-Cécile et de deux centres de la petite enfance.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Les sculptures prennent de deux à trois heures à faire à partir d’un bloc de neige. Pascale L’Italien revient ensuite régulièrement les tailler et les arroser pour glacer la surface.

J’aime tellement faire ça. Je le fais par plaisir, mais tant mieux si ça prend de l’envergure.

Pascale L’Italien

Les sculptures sont belles à voir, mais elles sont aussi la source d’interactions sociales spontanées. Lors de notre rencontre avec Pascale L’Italien, un homme avec un écusson d’ours sur son manteau s’est approché d’elle. « Je travaille pour les bières Boréal. Est-ce que je pourrais prendre des photos avec des cannettes ? », a-t-il lancé.

L’hiver en nous

Quand l’idée de cet article est née un soir après la sortie des classes, Pascale L’Italien prenait soin de ses ours en jasant avec la mère du petit Clovis cité en début de texte. Un autre beau hasard puisque Marie-Hélène Roch – c’est son nom – est une artiste-chercheuse qui a fondé le projet Hiver en nous (dont vous a déjà parlé notre collaboratrice Rose-Aimée Automne T. Morin⁠1).

Celle qui a entrepris un doctorat en études et pratique des arts s’intéresse à l’« humanité de l’hiver urbain ». En 2021, elle a notamment accompagné la Coalition des amis du parc Jarry dans la mise en œuvre de la forêt éphémère au parc Jarry.

Pour Marie-Hélène Roch, la neige est un privilège. Elle souhaite que les gens développent une sensibilité nordique au lieu de pester contre l’hiver.

« La neige est éphémère, surtout en ville. Elle peut apparaître ou disparaître en quelques heures, ce qui la rend à la fois énigmatique, précieuse et magique », expose-t-elle, ce qu’incarne dans toute sa splendeur le geste artistique de Pascale L’Italien. « C’est de l’art public de proximité qui a l’effet puissant de nous rassembler et nous apaiser collectivement. C’est aussi une invitation à ralentir et à prendre le temps de s’arrêter. »

PHOTO FOURNIE PAR MARIE-HÉLÈNE ROCH

Clovis Quintal-Roch, 4 ans, s’amuse devant l’ours figé dans la neige.

« Des animaux en neige, c’est de l’art naïf, surtout auprès des enfants, mais tant mieux si ça peut éveiller une conscience quant à leur nature éphémère », lance avec humilité Pascale L’Italien.

Elle est la preuve qu’il faut s’approprier l’hiver à sa façon pour l’aimer. « C’est depuis que je joue avec la neige que j’apprécie l’hiver. »

Ne rien tenir pour acquis

Dans sa pratique artistique, Pascale L’Italien s’est fait connaître pour ses sculptures en forme d’aliments ou de plats, qu’elle a notamment vendues à plusieurs restaurants, dont Fleurs & Cadeaux. Il faut savoir qu’elle travaille dans le milieu de la restauration depuis l’âge de 14 ans.

C’est au début de la pandémie, sous le choc de voir son milieu cesser ses activités, que l’artiste s’est mise à créer des produits qui ont une résonnance nostalgique, que ce soit un Pogo, un Cherry Blossom ou un sac ouvert de Party Mix.

Consultez le site web de Pascale L'Italien

En cette période d’inflation, constate-t-on à la dure, disons que la nourriture, comme la neige, est une autre chose que l’on a peut-être trop tenue pour acquise…

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Pascale L’Italien

Rêver enneigé

Un artiste souhaite toujours que son art ait une portée et un sens, souligne Pascale L’Italien.

Mais ses sculptures de glace lui donnent un contact avec les gens qu’elle n’a pas dans son atelier. « Je ne m’attendais pas à ce que les gens m’arrêtent autant, et ce n’est que pour du positif. »

Pascale L’Italien aurait aimé faire plus de sculptures enneigées, mais jeudi dernier, elle a subi une opération à une épaule qui nécessitera une convalescence. « Je vais me reprendre l’année prochaine », promet-elle.

En attendant, Marie-Hélène Roch se permet de rêver. « Et si les artistes intervenaient dans les opérations de déneigement de nos trottoirs ? »

L’idée est lancée.

1. Lisez la chronique « Fatiguée comme novembre »