La génération Z a tranché : les téléphones à clapet, ou flip phones, ne sont plus ringards. « Avoir un flip phone, ça m’a fait réaliser à quel point tout le monde est tout le temps sur son cellulaire. »

Au premier coup d’œil, Juliette Angers pourrait sortir d’un vidéoclip de Britney Spears ou d’un épisode de Lizzie McGuire.

Des bijoux fantaisie aux imprimés superposés, tout y est jusqu’au téléphone à clapet, ressuscité des archives au même titre que le jeans à taille basse et la couleur aquamarine.

Pour ceux qui ne l’avaient pas remarqué, les années 2000 sont de retour, et pas seulement leur garde-robe éclatée.

Nées dans un monde hyperconnecté, les jeunes générations sont aussi nostalgiques d’une époque avant les réseaux sociaux et leurs catalyseurs, les téléphones intelligents.

« Je pense que c’est quelque chose qui est difficile à comprendre dans notre société. On a l’impression que tout le monde devrait nous répondre dans les minutes qui suivent », remarque Juliette Angers, 25 ans.

Avec son flip phone, elle peut se déconnecter. Enfin, pas totalement. Joignable pour les urgences, indisponible pour les courriels qui peuvent attendre.

Car elle n’est pas complètement débranchée. Certes, son téléphone ne peut pas accéder à l’internet ou télécharger des applications, mais il peut faire des appels et, avec un peu de patience, envoyer des textos.

Parce qu’écrire avec un téléphone à clapet, les plus vieux s’en souviendront, c’est long et un peu emmerdant. « Il faut quand même que tu sois important pour que je prenne le temps de te texter ! », dit en rigolant la jeune designer.

« Comme un cercle vicieux »

En janvier, le New York Times faisait le portrait d’un groupe d’adolescentes qui ont troqué leur iPhone pour des flip phones.

Baptisé en honneur du mouvement ouvrier anglais qui s’opposait à la production mécanisée au XIXsiècle, le Luddite Club fait la promotion d’une vie libérée des chaînes des réseaux sociaux.

Ironiquement, le reportage a fait le tour du web, interpellant en particulier les adolescents de la génération Z. Sur l’application TikTok, le mot-clic #flipphone a récolté près de 700 millions de vues.

PHOTO PASCAL RATTHÉ, COLLABORATION SPÉCIALE

Juliette Angers

Quand on voit mon flip phone, le monde capote ! Tu es comme une star. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être que les jeunes reconnaissent un défi qu’ils aimeraient accomplir.

Juliette Angers

Comme la plupart des jeunes de sa génération, Juliette a eu son premier téléphone intelligent à l’école secondaire. Son premier compte Instagram ? Elle devait avoir 15 ou 16 ans.

Tout ce qu’on dit en mal des réseaux sociaux, la comparaison malsaine, les heures perdues à faire défiler, la culpabilité qui suit, elle l’a expérimenté à un certain degré.

Avec les téléphones intelligents, c’est pire – c’est tout le temps.

Dans le métro, dans la file à l’épicerie, dans un souper entre amis, impossible de fuir les notifications, elles suspendent sans gêne les conversations, interrompent constamment le fil de la pensée.

« C’est correct de passer quelque temps sur ton cellulaire, mais après, j’avais plein de culpabilité. C’était comme un cercle vicieux », confie-t-elle.

Alors quand elle a brisé son iPhone, l’automne dernier, elle l’a remplacé par un téléphone à clapet usagé aux fonctions limitées, sans se douter que, des mois plus tard, sa petite expérience durerait toujours.

« C’est devenu un running gag. Tout le monde sait que j’ai un flip phone ! », s’exclame-t-elle.

PHOTO PASCAL RATTHÉ, COLLABORATION SPÉCIALE

Les téléphones à clapet demeurent en voie de disparition et leurs ventes sont en baisse à l’échelle mondiale, malgré une légère augmentation l’année dernière.

Se reconnecter à l’humain

Des avantages à faire le grand saut ? Il y en a plusieurs. « Je suis beaucoup plus conscient de mon utilisation, je suis plus présent pour les gens que j’aime », énumère Luca Havah Salas, 23 ans.

À la fin de l’été dernier, l’étudiant en science politique s’est fait voler son iPhone. Un appareil dont le coût peut facilement s’élever à plus de 1000 $. Pour une centaine de dollars, il a opté pour le choix économique : un flip phone, acheté neuf chez Koodo.

Et il ne le regrette pas une seconde.

Il faut dire qu’il caressait depuis un moment l’idée de se débarrasser de son téléphone intelligent pour se reconnecter « au présent, à l’humain, à ce qu’était notre monde avant l’arrivée de ces technologies ».

Ça me tue quand je vais au restaurant et que je vois deux personnes sur leur téléphone en attendant leur repas.

Luca Havah Salas

L’étudiant s’est récemment résolu à s’acheter un téléphone intelligent, indispensable pour son travail. Mais il continue d’utiliser son téléphone à clapet, qui a changé sa relation à la technologie, assure-t-il.

« On a constamment la tête baissée sur ces écrans-là », déplore-t-il.

Le retour du flip phone sera-t-il plus qu’une tendance TikTok ? Ce serait surprenant. Les téléphones à clapet demeurent en voie de disparition et leurs ventes sont en baisse à l’échelle mondiale, malgré une légère augmentation l’année dernière.

« Ce récent regain d’intérêt pour les portables à l’ancienne ne va pas inverser la tendance de fond, qui est celle de leur déclin », a déclaré la directrice de recherche au cabinet mondial International Data Corporation Nabila Popal, à l’Agence France-Presse.

Mais l’intérêt est là, croit Juliette Angers. La preuve, les réactions à son téléphone sont étonnamment positives.

« Les jeunes de mon âge ont besoin de se déconnecter. Le flip phone les attire et honnêtement, je pense qu’il y a un marché », conclut-elle.