(Uashat) Criminalité, exploitation sexuelle, toxicomanie et grande souffrance. Depuis la pandémie, la consommation de dérivés de cocaïne fait des ravages à Uashat mak Mani-utenam, près de Sept-Îles. Les autorités sont débordées, la nation demande de l’aide. Pour le ministre Ian Lafrenière, il est temps de « mettre la lumière sur le crime organisé ».

« Il y a des vendeurs à tous les coins de rue »

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Un détenu donne aux agents Leclerc et Bertrand un poussoir pour fumer du crack qu’il avait dissimulé lors de son arrestation.

Vendredi gris de la fin de mars. Il est 16 h 20 quand l’agente Leclerc* fait réchauffer sa pizza dans le four à micro-ondes du local de relève de la Sécurité publique d’Uashat mak Mani-utenam (SPUM).

La policière n’a pas encore eu le temps de dîner.

« Depuis 11 h, ç’a a déboulé pas mal », souffle-t-elle entre deux bouchées avant d’être interrompue par un bruit sourd. Un homme frappe contre les murs d’une petite salle d’isolement. Le gaillard est hautement intoxiqué. Il est turbulent et agressif. Ses vêtements sont souillés.

La jeune recrue, l’air résigné, dépose son repas et se dirige d’un pas ferme vers la pièce d’à côté. « Là, tu arrêtes. C’est compris ? », lui lance-t-elle à travers l’embrasure vitrée de la porte. Celui-ci maugrée et s’exécute.

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L’agente Leclerc demande à un détenu d’arrêter de frapper la porte d’une salle d’interrogatoire.

Elle tourne les talons et retrouve son collègue. L’agent Bertrand discute au téléphone avec une procureure pour déterminer la suite. Le prévenu n’a pas respecté ses conditions. Il a proféré des menaces à l’endroit d’une femme. Après discussions, les policiers décident de l’amener en cellule.

L’homme, vêtu d’un grand short et d’un t-shirt, titube, tient des propos incohérents. La porte métallique se referme, puis il s’agite, faisant de grands gestes avec ses bras pour faire signe aux agents. Il leur tend ce qu’il avait dissimulé sur lui : une tige pour fumer de la cocaïne.

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Les agents Bertrand et Leclerc écoutent l’appel d’un citoyen.

Le corps policier autochtone a accepté de donner un accès à La Presse pour illustrer les ravages de la consommation de drogue dans la communauté innue de quelque 4500 âmes. Un phénomène est en émergence depuis la pandémie : la présence de dérivés de cocaïne.

Le crack et la freebase, qui consistent en un mélange de cocaïne et de bicarbonate de sodium ou d’ammoniaque, figurent maintenant parmi les substances les plus consommées. Très coûteuses, elles provoquent des effets intenses, immédiats et créent rapidement une forte dépendance.

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Après avoir discuté avec un procureur de la Couronne, les agents Bertrand et Leclerc mettent en détention un homme qui n’a pas respecté ses conditions.

Elles peuvent aussi entraîner des comportements violents, des épisodes paranoïdes et des idées suicidaires, selon le site ToxQuébec. Les services de santé et les services sociaux de la communauté sont débordés.

S’amorce d’ailleurs cette semaine le colloque Pakatan sur la prévention du suicide, la toxicomanie, la santé mentale et l’identité culturelle.

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Mike Mckenzie, chef du conseil Innu Takuaikan Uashat mak Mani-utenam (ITUM)

« Je suis très, très inquiet », lance le chef du conseil Innu Takuaikan Uashat mak Mani-utenam (ITUM), Mike McKenzie, qui fait du « mieux-être la priorité numéro un ».

Le ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuits l’est tout autant : « J’aime pas faire une gradation des drogues, mais on n’est plus dans la même game. Là, tu parles de dettes de consommation qui explosent et les enjeux sociaux, on les voit », ajoute le ministre.

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Ian Lafrenière, ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuits

Des représentants du ministère de la Sécurité publique se sont d’ailleurs déplacés dans la communauté innue, à la fin d’avril, pour « dresser un état de situation préliminaire ».

Selon une source policière bien au fait de la situation, des consommateurs de freebase peuvent dépenser de 600 $ à 1200 $ en une soirée. Certains s’adonnent aussi à des séquences très intenses sur quelques jours. Un binge de consommation.

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La communauté d’Uashat mak Mani-utenam

Un gramme de cocaïne se vend en moyenne 100 $ dans la communauté, ce qui permet de faire deux ou trois « souffles » de freebase, dont l’effet dure environ 15 minutes. « Ça prend de l’argent pour faire ça », indique cette source qui n’est pas autorisée à s’exprimer publiquement.

Le coût élevé de ces substances peut entraîner des vols et l’exploitation sexuelle des consommatrices, a-t-on appris. « On le voit, c’est une problématique. Un échange sexuel contre de la drogue […] avec le vendeur ou du réseau autour », constate notre source policière.

« Le problème, c’est la coke ! »

L’alcool et le cannabis sont encore très présents, tout comme les méthamphétamines, appelées les speeds. L’enquête du coroner Bernard Lefrançois sur la vague de suicides qui a secoué Uashat mak Mani-utenam en 2015 mettait d’ailleurs le doigt sur la présence de ce stimulant. Les speeds « ont pris la relève » de la consommation du PCP, écrivait-il dans son rapport publié en 2017.

« Le crack, la freebase, c’est maintenant ce que l’on voit en émergence », rapporte la coordonnatrice des services communautaires Uauitshitun, Alice Guimond.

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Alice Guimond, coordonnatrice du soutien clinique et administratif pour le centre de santé et services sociaux Uauitshitun

« Il y a des adolescents qui essayent, mais ce que je vois, le bassin plus populaire, c’est chez les 18-35 ans […] Les substances sont facilement accessibles », déplore-t-elle.

Plusieurs membres de la communauté consultés pour ce reportage ont aussi témoigné de la facilité de se procurer les différentes drogues. « Il y a des vendeurs à tous les coins de rue », a illustré une source policière.

La SPUM réclame les moyens financiers pour s’attaquer à ce « fléau » tandis que le ministre Ian Lafrenière a obtenu le mandat du premier ministre de « lutter contre le crime organisé qui sévit dans les communautés » (voir le quatrième onglet).

« Le problème, c’est vraiment la coke ! », lance sans détour l’avocat innu Jonathan Genest-Jourdain, ex-député néo-démocrate de Manicouagan. Ce qu’il constate « dépasse l’entendement ».

« Notre tissu social est hautement affecté et il y a de plus en plus d’enfants qui naissent dépendants [à la cocaïne] », déplore l’avocat, qui traite majoritairement des dossiers judiciaires liés à la santé mentale, à la protection de la jeunesse et à la criminalité.

« Tu t’en rends compte [des ravages de ces substances] parce que ton client, il est de moins en moins en bon état. Sa santé n’est pas bonne, il se néglige, il perd ses dents… », énumère MGenest-Jourdain.

Effets de la pandémie

« La pandémie a créé un besoin chez les gens de se garrocher sur toutes sortes de substances dans les drogues », constate le directeur de la SPUM, Raynald Malec.

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Raynald Malec, directeur de la SPUM

La crise sanitaire a forcé les autorités innues à fermer complètement ses frontières pour protéger sa population plus vulnérable, qui vit avec un fort taux de maladie chronique. Les Innus ont été contraints de s’isoler dans des foyers souvent surpeuplés et inadéquats. Un couvre-feu a été imposé dès le début de la pandémie et le déconfinement a été plus lent qu’ailleurs au Québec.

« Depuis 2020, on a une hausse fulgurante des demandes de service », atteste de son côté la coordonnatrice d’Uauitshitun, Alice Guimond. « Avant, ça tournait autour de 75 demandes par mois […], maintenant, on n’a pas un mois qui est en bas de 200 demandes », dit-elle.

Le centre de santé Uauitshitun observe aussi une « multiplication des problématiques » pour lesquelles la population demande de l’aide. Les problèmes familiaux et les dépendances figurent en tête de liste.

Motifs de consultations

  • Problématique familiale
  • Dépendance
  • Santé mentale
  • Suicide
  • Difficultés d’adaptation

Le soleil se couche sur la communauté d’Uashat mak Mani-utenam. Dans la petite salle de relève de la SPUM, les agents Leclerc et Bertrand s’apprêtent à passer le relais à l’équipe de nuit. Le premier cas au menu : une femme de la communauté est à l’hôpital. Elle veut porter plainte contre un conjoint qui s’en est pris à elle.

L’homme était intoxiqué. « Ça tourne toujours autour de ça », résume la policière.

90 %

Neuf interventions sur dix pour des crimes contre la personne à Uashat mak Mani-utenam sont reliées à une consommation de drogue, d’alcool ou un facteur psychologique.

Source : SPUM, 2020

32 %

Le nombre de demandes aux services sociaux Uauitshitun a augmenté de 32 % en 2021-2022 par rapport à l’année précédente.

Source : Centre de santé et des services sociaux Uauitshitun

Les dérivés de la cocaïne

Selon le site ToxQuébec, le crack est un mélange de cocaïne, de bicarbonate de sodium ou d’ammoniaque, qui se présente en petits cailloux. On peut aussi parler de freebase ou rock (roche de coke). L’usager en inhale la fumée après les avoir chauffés. Cette opération provoque des craquements, d’où son nom. Les effets sont immédiats, plus brefs et beaucoup plus intenses que ceux de la cocaïne reniflée. Ils s’apparentent plus à ceux de la cocaïne injectée.

*Les agents de la SPUM nous ont demandé de ne pas les identifier par leur nom complet pour des raisons de confidentialité, ce que nous avons accepté.

Des défis particuliers

Exercer le métier de policier en milieu autochtone signifie de devenir rapidement autonome avec des ressources souvent limitées. Il faut aussi apprendre à composer avec un esprit de communauté fort qui aide ou parfois nuit au travail. Incursion au sein de la Sécurité publique d’Uashat mak Mani-utenam (SPUM).

  • Changement de quart. Deux policiers seulement patrouillent de 19 h à 7 h. Ils sont chargés de surveiller les deux secteurs de la communauté : Uashat, qui est contigu à Sept-Îles, et Mani-utenam, une quinzaine de kilomètres à l’est.

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    Changement de quart. Deux policiers seulement patrouillent de 19 h à 7 h. Ils sont chargés de surveiller les deux secteurs de la communauté : Uashat, qui est contigu à Sept-Îles, et Mani-utenam, une quinzaine de kilomètres à l’est.

  • L’agent Vassiliou exerce le métier de policier dans sa communauté. Une proximité qui apporte son lot de défis alors qu’on l’interpelle, qu’il soit en fonction ou pas. « C’est difficile de mettre les limites parce que quand tu dis non, les gens peuvent penser que tu ne veux pas les aider », raconte-t-il.

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    L’agent Vassiliou exerce le métier de policier dans sa communauté. Une proximité qui apporte son lot de défis alors qu’on l’interpelle, qu’il soit en fonction ou pas. « C’est difficile de mettre les limites parce que quand tu dis non, les gens peuvent penser que tu ne veux pas les aider », raconte-t-il.

  • Leur travail les amène souvent à l’hôpital de Sept-Îles. Ici, les agents Savard et Vibert prennent la déposition d’une plaignante dans un contexte de violence conjugale.

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    Leur travail les amène souvent à l’hôpital de Sept-Îles. Ici, les agents Savard et Vibert prennent la déposition d’une plaignante dans un contexte de violence conjugale.

  • Les agents Savard et Vibert arrivent chez un suspect pour procéder à son arrestation.

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    Les agents Savard et Vibert arrivent chez un suspect pour procéder à son arrestation.

  • L’homme ouvre sa porte aux policiers et ne résiste pas à son arrestation. Comme il est fortement intoxiqué, les agents lui laissent le temps de retrouver ses esprits avant de l’emmener au poste.

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    L’homme ouvre sa porte aux policiers et ne résiste pas à son arrestation. Comme il est fortement intoxiqué, les agents lui laissent le temps de retrouver ses esprits avant de l’emmener au poste.

  • Cette proximité avec le milieu amène les policiers à adopter une approche plus communautaire que coercitive. « Puisqu’il collabore, on accepte de le laisser fumer. On ne peut pas être en mode répressif parce qu’on revoit souvent les mêmes personnes », illustre l’agent Vibert.

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    Cette proximité avec le milieu amène les policiers à adopter une approche plus communautaire que coercitive. « Puisqu’il collabore, on accepte de le laisser fumer. On ne peut pas être en mode répressif parce qu’on revoit souvent les mêmes personnes », illustre l’agent Vibert.

  • Arrivés au poste, les policiers discutent avec le prévenu de ce qui l’attend, lui ordonnant de joindre un avocat avant qu’il soit placé en détention.

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    Arrivés au poste, les policiers discutent avec le prévenu de ce qui l’attend, lui ordonnant de joindre un avocat avant qu’il soit placé en détention.

  • La plupart des patrouilleurs de la SPUM sont en début de carrière. Parmi ceux rencontrés, certains venaient tout juste de terminer leur première année comme policiers. Ici, ils sont appelés à être rapidement autonomes, ce qui leur permet d’acquérir rapidement de l’expérience.

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    La plupart des patrouilleurs de la SPUM sont en début de carrière. Parmi ceux rencontrés, certains venaient tout juste de terminer leur première année comme policiers. Ici, ils sont appelés à être rapidement autonomes, ce qui leur permet d’acquérir rapidement de l’expérience.

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Le crime organisé dans la ligne de mire

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Ian Lafrenière, ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuits

Été 2021. Le ministre Ian Lafrenière est en tournée sur la Côte-Nord, où il visite les communautés innues. Lors d’un arrêt à Sept-Îles, l’ex-policier a toute une surprise.

« Je suis arrivé face à face avec trois motards. J’ai été surpris parce que je les connais un peu de mon ancienne vie, mais ce qui m’a choqué et déçu le plus, c’est que quand j’ai commencé à creuser, je me suis rendu compte qu’ils faisaient eux aussi leur tournée », lance le ministre en entrevue avec La Presse.

Des photos de membres des Hells Angels portant leur veste et prenant la pose avec des aînés des communautés innues d’Ekuanitshit et Nutashkuan, en Minganie, ont ensuite circulé sur les réseaux sociaux.

« Ils étaient en opération de rapprochement », suppose M. Lafrenière. L’affaire l’a dérangé au point de mettre la lutte contre le crime organisé parmi les priorités établies, avec l’accord du premier ministre François Legault, pour son deuxième mandat.

« Ça me fatiguait parce que je connais l’étape d’après, ils font rentrer la dope […] et c’est le cercle vicieux qui arrive : on parle de dettes de consommation, donc des jeunes forcés d’entrer dans le crime organisé, ou pour d’autres, c’est l’exploitation sexuelle », déplore le ministre.

Tout est possible et c’est pour ça que je suis très alerte.

Ian Lafrenière, ministre responsable des Relatyions avec les Premières Nations et les Inuit

Cette priorité signifie pour lui de travailler avec les communautés à la prévention et pour « leur donner la capacité de s’organiser ». Québec et Ottawa ont notamment allongé l’an dernier 5,5 millions pour permettre la construction d’un poste de la SPUM dans le secteur Mani-utenam.

Ian Lafrenière collabore avec son collègue à la Sécurité publique, François Bonnardel, pour le volet répressif. Des « actions seront présentées bientôt », confirme le cabinet de M. Bonnardel.

« Comme ministre responsable des relations avec les Premières Nations et les Inuits qui voit ça et qui sait très bien que les gens du crime organisé, ce qu’ils veulent c’est [exploiter] un élément de vulnérabilité, la première chose que je veux faire c’est prendre la lumière et la tourner vers eux, et c’est ce que je fais depuis l’année passée », résume-t-il.

Selon lui, le crime organisé « a accumulé beaucoup d’argent » pendant la pandémie. « Présentement, ils sont en mode investissements. Je me sens pas mal à l’aise de dire ça », déclare le ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit.

Le ministre soutient avoir l’appui des neuf communautés innues dans sa bataille alors que la présence de la drogue fait des ravages partout. La Nation innue planche d’ailleurs sur la tenue d’un grand sommet sur la dépendance, qui pourrait avoir lieu à l’été.

« J’appuie le ministre, localement on peut bien prendre des mesures, mais il faut s’attaquer aux gros joueurs », indique le chef d’Unamen shipu, Bryan Mark, qui se dit « à bout de souffle ». La communauté, située près de la Romaine, compose aussi avec des enjeux de consommation liés aux dérivés de cocaïne et des métamphétamines. Selon lui, la drogue transite par Sept-Îles, à plus de 400 kilomètres.

Sept-Îles, la « plaque tournante »

« Tout se passe à Sept-Îles ! », lance sans détour le chef d’Innu Takuaikan Uashat Mak Mani-utenam, Mike McKenzie.

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Mike McKenzie, chef de l’ITUM

C’est la plaque tournante des drogues [vers le nord et l’est de la Côte-Nord]. Et parce qu’on est à proximité de la ville, si on n’a pas l’appui du gouvernement du Québec ou de la Sûreté du Québec, c’est difficile pour nous de contrer ce fléau.

Mike McKenzie, chef de l’ITUM

Mike McKenzie demande que les liens entre la Sûreté du Québec (SQ), la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et la SPUM soient renforcés. « Ça me préoccupe, que ce soit le crime organisé ou des revendeurs, il y a un travail d’enquête qui est important », souligne-t-il.

Plusieurs membres de la communauté ont affirmé à La Presse que les revendeurs sont souvent connus de tous. Mais il existe une promiscuité dans le milieu qui nuit à la dénonciation et rend le travail des enquêteurs laborieux.

Diverses initiatives ont été tentées au fil des années sans rapporter les fruits attendus, comme la création d’escouades mixtes SPUM, SQ et GRC – qui a un détachement à Sept-Îles. « Ça n’a pas levé », dit le chef.

Le ministère de la Sécurité publique a confirmé à La Presse que le protocole établissant une équipe mixte composée de trois policiers de la SQ et d’un policier de la SPUM, qui a été en vigueur de 2017 à 2021, a été interrompu en raison d’un manque de ressources.

« On n’a pas assez de ressources »

Le directeur de la SPUM ne cache pas son impatience. Raynald Malec, après 23 ans dans la police de la communauté, en a vu d’autres. « Je suis tanné d’être à la remorque de la GRC ou de la Sûreté, vraiment tanné », assume l’homme à la carrure imposante.

Pour l’heure, la SPUM compte deux enquêteurs qui en ont plein les bras avec les dossiers d’agressions sexuelles et de voies de fait graves, selon M. Malec. Il voudrait ajouter quatre ressources à son équipe, qui seraient consacrées aux stupéfiants, au trafic et au proxénétisme.

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Raynald Malec, directeur de la SPUM

On n’a pas assez de ressources. C’est comme si tu me dis qu’il y a de la boucane en haut de la montagne, mais que je n’ai pas de véhicule pour m’y rendre.

Raynald Malec, directeur de la SPUM

Le sous-financement des corps policiers autochtones par Ottawa et Québec est une bataille de longue date. Selon M. Malec, la situation s’est quelque peu rétablie depuis 2020.

Il y voit un lien avec le drame de Joyce Echaquan « qui a réveillé beaucoup de monde » au Québec.

Nombre de perquisitions

  • 2023 : aucune
  • 2022 : 5
  • 2021 : 2

Source : SPUM

Exemple de solutions proposées par l’ITUM et la SPUM

• Création d’équipes mixtes d’intervention – un policier et un intervenant communautaire (en voie de réalisation)

• Création d’une police autochtone régionale (5 des 9 communautés innues disposent de leur propre corps policier)

• Policier communautaire en milieu scolaire

• Création d’une escouade mixte pérenne

• Création d’un centre de thérapie pour les 14 à 18 ans

La douleur d’une mère

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Rose-Anne Grégoire, conseillère à l’ITUM. Elle a perdu plusieurs proches à la suite de suicides.

Rose-Anne Grégoire revient de loin. Huit membres de sa famille élargie sont morts par suicide au cours des 25 dernières années. Aujourd’hui, son ventre se serre quand elle pense à son fils, qui souffre de dépendance à la drogue et à l’alcool.

La mère de famille, maintenant grand-mère, allume un bout de sauge et disperse la fumée autour d’elle. Elle en dirige un nuage sur sa poitrine. « Je demande au Créateur d’adoucir mon cœur », souffle-t-elle.

Ce qu’elle s’apprête à raconter est encore difficile. Ses yeux se mouillent avant même le début de l’entretien.

« Mon dernier, lui, il a de la misère », relate-t-elle. Lorsque nous la rencontrons à son domicile d’Uashat, Mme Grégoire est sans nouvelles de son garçon depuis deux jours.

C’est le pire qui lui vient en tête quand son fils, âgé d’une trentaine d’années, disparaît ou qu’il rechute.

Dans ma tête, c’est le suicide qui me revient. J’ai toujours peur qu’on vienne cogner à la porte et qu’on m’annonce de mauvaises nouvelles.

Rose-Anne Grégoire, conseillère à l’ITUM

La nuit, quand elle entend un bruit de voiture, elle se précipite à la fenêtre. « J’ai plein de scénarios [en tête], de l’inquiétude », confie-t-elle. Elle arrive à trouver du réconfort à travers des rituels traditionnels autochtones, qu’elle se réapproprie depuis peu.

« Ça m’aide », dit-elle, montrant la coquille d’ormeau dans laquelle on brûle la sauge. Elle dit travailler son « lâcher prise ».

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Rose-Anne Grégoire, conseillère à l’ITUM

Quand nous la rappelons jeudi pour prendre de ses nouvelles, Rose-Anne Grégoire est avec son fils. Il va mieux, rassure-t-elle.

Si elle tient à prendre la parole, c’est pour réclamer du changement. Elle-même a décidé de s’impliquer en politique, ayant été élue conseillère à l’ITUM, l’an dernier. Mme Grégoire a aussi sensibilisé le ministre Ian Lafrenière lors du passage de ce dernier à Uashat, en mars.

« Il faut que la police agisse, il faut que ça bouge ! », lance-t-elle, expliquant s’attendre à ce que la police autochtone soit plus présente dans la communauté.

Tout le monde sait qui sont [les revendeurs]. Ça prend des enquêtes, c’est trop long. Le besoin est là, il ne faut plus attendre.

Rose-Anne Grégoire, conseillère à l’ITUM

Celle qui a aussi traversé des moments sombres constate par ailleurs que la consommation est maintenant banalisée.

« Quand j’étais jeune, on se cachait quand on fumait ou buvait », se souvient-elle. « Aujourd’hui, c’est comme ouvert. Je les vois, ce n’est pas caché. Je ne trouve pas ça normal. Je veux que tout le monde puisse se promener [dans les rues] sans avoir peur », poursuit-elle.

L’espoir du changement la tient animée, l’aide dans sa guérison. « Il faut croire que ça peut arriver », persiste la femme de 55 ans, grand-mère de 13 petits-enfants. « Si ça bouge, je vais peut-être avoir moins peur pour eux. »

À lire demain : « Vers la guérison : entre l’ombre et la lumière »