Les documents de bibliothèque renferment de belles histoires ou connaissances, mais aussi, à l’occasion, les petits secrets de certains abonnés, qui les rendent parfois avec un supplément de leur cru, égaré entre les pages ou dans les boîtiers. Mots doux, argent, nourriture, préservatifs : les employés récupérant les ouvrages, qui font ces trouvailles quotidiennes parfois stupéfiantes (oui, de la drogue aussi), nous confient les perles de ces petits oublis.

Un récent article du Washington Post présentait une bibliothécaire d’Oakland diffusant sur Instagram sa collection de découvertes tirées des livres rendus par les usagers, entre dessins d’enfants et mots tendres. Rapidement s’est posée la question : retrouve-t-on de tels oublis au goût de bonbon dans nos bibliothèques québécoises ? Nous l’avons posée aux employés de la Grande Bibliothèque, à Montréal, et des bibliothèques de la Ville de Québec, et bien que la réponse ait sa part de suavité, elle comporte aussi son lot de piquant.

Consultez l’article du Washington Post (en anglais)

Ainsi, dans les salles de tri, sitôt que les documents arrivent sur le tapis roulant, le personnel a souvent la puce à l’oreille. « Généralement, on voit que quelque chose dépasse des livres », indique Sophie Burelle, commis à la Grande Bibliothèque qui, depuis une douzaine d’années, a vu passer des dizaines de milliers de documents. Au fond de la salle, on aperçoit un babillard où sont épinglées quelques-unes des dernières trouvailles en date : des dessins d’adulte bellement exécutés, une tête de Garfield, une carte postale venue d’Europe... D’autres échouent dans le bac 23, celui des objets trouvés ; ce jour-là, un billet de loterie abandonné et un livre n’appartenant pas à la bibliothèque (ils se mêlent parfois par erreur aux ouvrages rendus) attendaient leur sort.

  • La commis Sophie Burelle, dans la salle de tri de la Grande Bibliothèque

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    La commis Sophie Burelle, dans la salle de tri de la Grande Bibliothèque

  • Sur ce babillard sont épinglées quelques-unes des belles trouvailles les plus récentes.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Sur ce babillard sont épinglées quelques-unes des belles trouvailles les plus récentes.

  • Le panier des objets trouvés. Le billet de loterie est-il gagnant ?

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Le panier des objets trouvés. Le billet de loterie est-il gagnant ?

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Chaque semaine, de 25 000 à 50 000 documents sont rendus à l’institution ; il est donc peu surprenant qu’une partie d’entre eux reviennent avec un petit supplément – entre 5 et 10 par jour, selon Mme Burelle. « Ceux sans valeur, comme des factures ou des cartes postales, sont triés, fichés avec un numéro et disposés dans le panier des objets perdus », explique la commis. Après 90 jours, les objets non réclamés sont donnés à des organismes, jetés ou recyclés. « Ceux ayant de la valeur, comme un passeport ou de l’argent, sont mis dans un tiroir barré et on cherchera à retrouver l’usager. »

Dans cette masse, quels sont les oublis les plus marquants ? Sophie Burelle, sa collègue Emmanuelle Floriot (agente administrative aux communications et ancienne commis) ainsi que les employés des bibliothèques de Québec nous ont concocté un petit florilège.

Les fréquents

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Signets, cartes postales et petits messages sont fréquemment oubliés.

Le classique du classique ? « Le carré de papier de toilette. Au moins, on sait où lisent les gens ! », s’esclaffent Sophie et Emmanuelle, qui en voient défiler des rouleaux. En deuxième position, on trouve les signets, dont certains peuvent être ravissants (Mme Floriot nous en a présenté une jolie collection), puis, en vrac, les cartes postales, photos, reçus, titres de transport, factures, dessins, Post-it, crayons...

Les deux femmes soulignent que, même s’ils ont peu de valeur, ces articles sont fichés et peuvent être réclamés par les usagers, ce qu’ils ne pensent pas toujours à faire.

Les charmants

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Certains messages oubliés sont des portes d’entrée dans la vie quotidienne de certains usagers, véhiculant parfois des émotions fortes.

« Ma choupette chérie... », commence cette magnifique carte de Noël récemment oubliée dans un livre. Lorsqu’ils mettent la main sur des notes personnelles, les employés vivent parfois toutes sortes d’émotions, du rire à la déférence. « Ça peut être émouvant ; quand on trouve un signet mortuaire, on dirait qu’on le dépose plus délicatement dans le panier. On voit aussi le bonheur de la personne qui retrouve son objet oublié », raconte Sophie Burelle.

Des mots d’amour, des poèmes coquins, des cartes de félicitations... les bibliothèques de Québec en ont trouvé une belle collection, dont des oublis d’enfants : une lettre exposant un plan secret pour jouer avec une amie malgré le confinement, un mot d’excuse destiné à une maman après une dispute fraternelle, une carte de hockey à l’effigie de Carey Price, qui a fait scintiller « des étoiles dans les yeux » du jeune étourdi qui l’a récupérée. Tout comme ceux de l’usager qui a retrouvé une vieille carte postale des années 1980, plus précieuse qu’à première vue, car incarnant le souvenir d’un ami mort...

Les gourmands

En dévorant les livres, certains les agrémentent parfois d’un supplément. Et les lecteurs de Québec ont l’air particulièrement gourmands : leurs bibliothécaires ont déjà pêché dans les pages... une tranche de fromage Kraft ! Mais aussi une fraise entière aplatie, un sachet de tisane, une barre tendre écrasée...

À Montréal, on a carrément vu un sandwich et une canette arriver sur le convoyeur de documents rendus. Parfois, les oublis ont un autre goût, celui du voyage dans l’espace et le temps : billets d’avion, particulièrement à destination de l’Europe, antiques billets de correspondance de métro, titres de transport du monde entier...

Les décoiffants

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Emmanuelle Floriot, agente administrative aux communications et ancienne commis, a eu de drôles de surprises, particulièrement le jour où le contenu du boîtier DVD rendu était très différent de ce qu’il aurait dû être.

Le meilleur pour la fin, certains bibliothécaires ayant un réservoir d’anecdotes estampillées sexe, drogue et... argent ! Emmanuelle Floriot raconte avoir ainsi déjà trouvé, dans le boîtier d’un DVD, non le disque emprunté, mais un film pornographique probablement tiré de la collection personnelle de l’abonné. L’histoire ne dit pas s’il est venu le récupérer...

Dans la même catégorie, à Québec, des employés ont déniché des condoms (parfois usagés, beurk !), un mode d’emploi de vibromasseur ou une photo instantanée d’un couple BDSM.

Moins sexuel, mais tout aussi pervers : une note insérée dans un polar, qui en dévoilait cruellement le dénouement. Bouh ! De la drogue ? Aussi. Mme Floriot a mis la main sur un sachet de poudre, tandis qu’un abonné de la capitale a oublié un joint prêt à consommer dans un coffret de DVD.

De l’argent ? Également. Des liasses de billets verts atteignant 600 $ ont déjà été retrouvées et restituées, secouant un peu les employés. « Ça provoque toujours une réaction “oh mon Dieu” quand on tombe là-dessus ! », lance Sophie Burelle. À Québec, on fait aussi dans le chèque : on en a vu de gros non encaissés et en quantité glissés entre les pages.

Du glauque ? Bien sûr : perce-oreilles écrasés, serviette hygiénique déballée, copie d’un jugement de divorce, fausse moustache collée sur une couverture, ou encore... un dentier égaré ! « Un livre rapporté a souvent traîné dans un sac ou sur une table de chevet, dans lequel s’insère un objet qui n’était pas nécessairement destiné à être un marque-page », fait remarquer Emmanuelle Floriot, histoire d’élucider ces trouvailles insolites.

Laissez parler les p’tits papiers

Ces oublis qui font sourire ou grimacer racontent-ils quelque chose au sujet de nos lecteurs inattentifs ? Selon Marik Trépanier, directrice des bibliothèques de proximité et des services à la clientèle de la Bibliothèque de Québec, ils prouvent leur belle intégration à notre vie quotidienne. « C’est beau de voir que les gens s’approprient les livres, les font vivre à la maison, et que le document fait partie de leur quotidien. Ça peut créer parfois du dommage ou de mauvaises surprises, mais ça prouve que les gens profitent des documents et s’en servent », dit celle qui préfère largement les signets, même incongrus, aux coins de page pliés et aux annotations.

Ces petits fragments créent aussi une méta-histoire de l’ouvrage, se superposant à celle qu’il contient. « Ça raconte la destination des livres, où ils ont été lus, où le livre s’est promené. La feuille aux belles couleurs insérée entre les pages peut évoquer l’agréable promenade dans un parc en automne. Certains signets peuvent être des cartes postales revenues de Grèce. Ça nous sert de voyage ! », dit Sophie Burelle.