Discussion avec les professeurs Gonzalo Lizarralde, de l’Université de Montréal, et Mario Bourgault, de Polytechnique Montréal

Comment le bois permet-il de réduire l’empreinte carbone des grands immeubles ?

Gonzalo Lizarralde : Le bois est souvent perçu au Québec comme une ressource locale, renouvelable et hautement performante. Un argument fréquemment mobilisé est également que le bois permet de « stocker du carbone ». Les composantes en bois produiraient moins de pollution pendant leur exploitation et production que l’acier ou le béton, qui sont des matériaux non renouvelables et hautement nocifs pour les écosystèmes.

Le bois possède-t-il d’autres atouts ?

GL : On reconnaît d’emblée une noblesse architecturale apportée aux immeubles par la présence de bois, que ce soit dans une école, une bibliothèque, une salle de spectacle ou un stade de soccer. Certains évoquent un effet appelé « biophilie », c’est-à-dire une connexion entre l’humain et la nature, qui conduirait à une amélioration de la productivité, de la santé et du bien-être des occupants. Cela dit, peu d’études confirment cette théorie.

Une autre hypothèse avance que la construction permet de stocker du carbone, mais des études récentes suggèrent que cet avantage est probablement faible si on ne respecte pas certaines conditions dans la gestion des forêts, dans la démolition des bâtiments et la réutilisation des produits de construction en bois.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Gonzalo Lizarralde, professeur à la faculté de l’aménagement de l’École d’architecture de l’Université de Montréal

Pourquoi le bois devient-il tout à coup une option possible pour les grandes constructions ?

GL : Parce que plusieurs avancées techniques ont été réalisées au Québec au cours des 10 dernières années. Les fabricants ont développé des produits de bois massif et de bois d’ingénierie qui permettent désormais l’élaboration de systèmes plus performants.

Est-ce que le Québec possède une expertise dans le domaine ?

GL : Oui, notamment grâce à une série de stratégies et de politiques du gouvernement du Québec à partir de 2012 ou 2013. Ces gestes ont conduit à l’adoption en 2017 de politiques qui visent le développement de l’industrie forestière, la protection de l’environnement et l’amélioration de la qualité des bâtiments.

Cette politique n’est pas restée sur une tablette ?

GL : Non. Depuis ce temps, le gouvernement a même fait preuve d’exemplarité. Par exemple, la Société québécoise des infrastructures a commandé des bâtiments en bois et d’autres organismes publics, comme les centres de services scolaires, ont fait la même chose. On a vu des immeubles en hauteur, comme des immeubles résidentiels, des arénas, des stades et des écoles, construits avec la technologie développée ici. Le secteur privé a aussi accepté le défi et a construit de grands immeubles de bois. Ces projets ont permis de bâtir un réseau solide de manufacturiers, de concepteurs, de chercheurs, de conseillers et de laboratoires.

Qu’est-ce qui freine alors l’utilisation du bois au Québec ?

GL : Les études montrent qu’il y a trois mondes qui ne se parlent pas suffisamment. D’un côté, il y a le système bien rodé de l’industrie forestière. De l’autre, il y a les fabricants qui développent les produits. Et enfin, il y a le domaine du design et de la construction. Chacun répond aux normes de son industrie et de ses professions, mais se trouve en décalage avec les deux autres par un niveau insuffisant de communication et de collaboration. Cela donne lieu à des aberrations comme l’importation de poutres en bois des pays nordiques, avec toute la production de GES que cela peut entraîner.

PHOTO FOURNIE PAR POLYTECHNIQUE MONTRÉAL

Mario Bourgault, professeur titulaire au département de mathématiques et génie industriel de Polytechnique Montréal

Mario Bourgault : Les risques et les coûts associés à l’innovation constituent un autre obstacle. La majorité des firmes d’architectes et d’entrepreneurs, au Québec, sont de petite taille, surtout quand on les compare à des firmes américaines. Il est difficile pour elles d’assumer le risque financier d’une nouvelle façon de construire. Le domaine de la construction est aussi un milieu très fragmenté. Cela devient un frein à l’innovation.

Quel rôle l’État peut-il jouer ?

MB : Le gouvernement essaie de donner un bon exemple. Or, il pourrait soutenir davantage des projets-pilotes (ou démonstratifs) pour réduire les risques financiers associés au développement des innovations.

GL : Il peut aussi assumer les coûts d’assurances de ceux qui vont prendre le risque, comme le font certains pays d’Europe. Il peut cautionner certains risques. Il est coûteux pour un professionnel au Québec d’assumer les coûts liés à l’innovation.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Pour augmenter les chantiers utilisant du bois massif, il faut que le code du bâtiment s’adapte.

Le code du bâtiment est-il adapté à la construction en bois ?

GL : C’est une autre barrière. La plupart des innovations exigent des dérogations, ce qui entraîne des procédures longues et complexes. Par exemple, les normes de résistance au feu obligent à recouvrir le bois avec un matériel ignifuge. La beauté du bois se trouve donc parfois cachée derrière le gypse.

L’autre difficulté, c’est que l’application du code de construction combine des ressources et des actions qui impliquent les trois ordres de gouvernement. Ils se sont engagés à discuter de mesures qui répondent aux objectifs de la construction innovante en bois, mais pour l’instant, ils ne parviennent pas à s’aligner.

Le rôle du code du bâtiment est essentiel. Il est normal de prendre le temps nécessaire pour s’assurer de la sécurité des édifices. Mais les changements climatiques nous obligeront à faire des adaptations qui répondent aux objectifs environnementaux contemporains.

Un séminaire est organisé par l’Université de Montréal sur le bilan de la politique du bois du gouvernement du Québec le vendredi 13 octobre.

Consultez le programme du séminaire