Le Forestier en chef invitait récemment à une réflexion sur nos pratiques d’aménagement. Nous souscrivons à cette idée, mais que faire ?

D’abord ne pas nuire

L’immensité du territoire québécois est difficile à visualiser. Notre forêt est vaste et peu habitée. Notre capacité d’intervention reste limitée et l’intention de transformer la forêt pour la rendre moins vulnérable ne peut s’inscrire que sur le long terme. Force est d’admettre qu’au cours des prochaines décennies, face au feu, la forêt sera en quelque sorte livrée à elle-même.

La forêt boréale possède des mécanismes écologiques qui lui confèrent une résilience naturelle. La plupart du temps, elle se régénère d’elle-même. Toutefois, les peuplements jeunes sont davantage vulnérables à subir des échecs de régénération étant donné que leurs arbres n’ont pas eu le temps de développer leurs cônes. Or, au cours des dernières décennies, nous avons considérablement rajeuni la forêt en pratiquant des coupes à grande échelle. À certains endroits, la proportion de jeunes peuplements a tant augmenté que la probabilité d’échec de régénération a pratiquement doublé.

Avec de plus en plus de peuplements jeunes et des incendies de plus en plus fréquents, nous courons vers une coûteuse catastrophe.

Selon certaines prévisions, il y aura environ 300 000 hectares de forêts mal régénérées à la suite des incendies qui ont touché les peuplements jeunes (souvent issus de coupe). La remise en production de ces sites sera une tâche difficile et onéreuse. Nous estimons qu’elle coûtera probablement autour de 2 milliards de dollars et sera techniquement difficile à réaliser. Et il est clair que de telles dépenses s’imposeront à chaque fois que nous connaîtrons des saisons d’incendies importants. Ce pourrait devenir un gouffre financier pour l’État québécois. Il faudra à chaque fois dépenser cet argent ou se résigner à assister à une dégradation progressive du couvert forestier.

Il est toutefois possible de limiter l’aggravation de ce problème à court terme. Pour ce faire, il faut maintenir davantage d’arbres aptes à se régénérer naturellement en réduisant le taux de coupe actuel. De plus, là où des coupes seront pratiquées, la rétention d’au minimum 10 % d’arbres semenciers assurerait une meilleure régénération. Ces gestes sont des exemples d’actions à effet immédiat sur la résilience de la forêt.

Nous avons à notre disposition des mécanismes naturels qui peuvent opérer « gratuitement » si nous savons les préserver et les renforcer. Si nous les affaiblissons, les problèmes et les coûts s’aggraveront.

Un chantier comme un laboratoire

Avec l’augmentation de la fréquence des incendies, il est possible que nous ne puissions qu’atténuer leurs effets sans empêcher la forêt de reculer. En plus de ne pas nuire aux processus naturels, d’autres options doivent être envisagées. L’idée de modifier la composition et la disposition des forêts pour contrer la propagation des incendies mérite d’être explorée avec rigueur. Si cette approche est faisable près des installations humaines, elle sera plus difficile à appliquer dans la grande forêt publique. Plusieurs options sont envisageables, mais aucune n’a encore fait l’objet d’analyses rigoureuses et d’expérimentations concrètes.

Le gouvernement est placé devant l’obligation d’entreprendre un vaste chantier de remise en production des forêts mal régénérées dans l’immédiat. Nous voyons là une occasion pour réaliser un banc d’essai d’envergure. Tester et mettre au point de nouvelles façons de faire permettrait de préparer le terrain pour la mise en place d’une stratégie d’adaptation sur des bases solides.

Un tel banc d’essai permettrait aussi de préciser les objectifs poursuivis. La quantité de bois produit ne devrait certainement pas être le seul critère. Les conséquences sur le bilan carbone, la biodiversité sont aussi des éléments incontournables. L’intérêt des Premières Nations ne peut non plus être ignoré.

On ne peut envisager de modifier la composition forestière des territoires ancestraux sans impliquer les communautés autochtones en amont dans la réflexion.

Une transition économique à amorcer maintenant

Nous le savons tous, le feu frappera encore. Les incendies forestiers répétés auront un impact sur la quantité de bois disponible pour l’industrie. Si l’option d’augmenter la proportion de feuillus dans les forêts est retenue, la raréfaction du bois résineux s’accentuera. L’industrie sera forcée de changer. C’est inéluctable.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Si l’option d’augmenter la proportion de feuillus dans les forêts est retenue, la raréfaction du bois résineux s’accentuera. L’industrie sera forcée de changer.

Faire perdurer le modèle d’affaires actuel nous rapprochera du point de rupture et de l’effondrement de la filière bois telle qu’on la connaît. Cette menace planera au-dessus des communautés tant et aussi longtemps qu’une transition économique ne sera pas engagée. Plus vite l’adaptation de l’industrie forestière aux nouvelles conditions s’amorcera, plus variées seront les options. En présentant un projet de diversification économique aux communautés forestières, le gouvernement leur offrirait une réponse porteuse d’espoir.

Plus que jamais, nous avons besoin d’un débat ouvert qui mette à contribution tous les acteurs du milieu forestier. Il est maintenant urgent de s’entendre à propos d’un plan d’action qui offre des options concrètes et qui sache gagner l’adhésion de tous les publics intéressés.

Cosignataires : Sylvie Gauthier, chercheuse émérite à Ressources naturelles Canada, et Alain Leduc, professeur associé au Centre d’étude de la forêt à l’UQAM

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