Le plancher de la salle de bains est couvert de tapis bleu royal. Les rideaux bruns arborent des motifs de fleurs orange. Les armoires de la cuisine sont d’un pastel qui s’approche du saumon… La décoration de cette maison n’a pas de commune mesure.

Plus je fais défiler les photos de la demeure à vendre sur mon écran, plus je considère déménager à Sainte-Émélie-de-l’Énergie. Moi aussi, je veux vivre dans un lieu qui, comme l’a si justement souligné un collègue, ressemble à la maison du caïd dans C’est comme ça que je t’aime…

Qui peut bien habiter dans ce décor figé dans une autre époque ? J’ai appelé les vendeurs de la propriété.

Natasha et Éric sont mariés depuis 10 ans. Ils préfèrent taire leur nom de famille, par souci de discrétion. Il travaille en télévision, elle transforme des choses cueillies dans la forêt en savons, couronnes et chandelles. Ils sont dans la cinquantaine et ils collectionnent les objets rétro.

« On adore le vintage depuis l’adolescence, mais il y a plus que le look, m’explique Natasha… En évitant d’acheter du neuf, on s’assure que notre maison soit unique. Chaque objet a une histoire ! Et quand les choses brisent, tu peux les réparer, comme elles ne sont pas électroniques. Tu sais, c’est facile de réparer un huit pistes ! »

PHOTO ÉMILIE SABA, FOURNIE PAR MÉLANIE JETTÉ DE PROPRIO DIRECT

La salle de bains

Derrière ce refus d’adhérer au consumérisme de notre époque se cache aussi un bon fond de nostalgie. En adoptant des univers rétro, Natasha a l’impression de vivre dans le décor des émissions de télé qu’elle adorait, enfant. Quand elle met une cassette dans son lecteur huit pistes, ce sont les balades qu’elle faisait dans le Trans-Am de son père qui lui reviennent en mémoire. Elle aime que son nid soit rassurant.

Pas surprenant, donc, que le jour où elle a vu passer une vieille maison de Sainte-Émélie-de-l’Énergie sur un site de vente immobilière, elle l’ait aussitôt montrée à son mari.

« J’ai dit : “Éric, c’est capoté ! Il y a du tapis dans la toilette, dans la cuisine et même sur les murs”, se rappelle-t-elle. Trouver une capsule temporelle, c’est rare… La déco de cette maison n’avait pas été touchée depuis les années 1960. Les propriétaires n’avaient pas cru bon la changer, au fil du temps. »

Le lendemain, le couple visitait la demeure. Coup de foudre.

C’était over the top ! Quand j’ai ouvert les armoires, j’ai vu que l’intérieur était couvert de dentelle fleurie. J’ai demandé aux vendeurs de laisser tout ce qu’ils ne voulaient pas !

Natasha

Éric et Natasha ont donc quitté Montréal pour le bord d’un lac de Lanaudière. Dans le coin, la maison avait attiré l’attention. Les résidants de la région étaient curieux de savoir qui avait osé l’acquérir… Un jour, deux d’entre eux sont venus s’informer.

« C’est vous qui avez acheté ? Vous avez dû faire beaucoup de travaux parce que c’était laid en ostie, là-dedans !

— Non… Nous autres, on aime ça laid en ostie ! »

Natasha éclate de rire en me racontant l’anecdote. En fait, du « flyé », son mari et elle en voulaient encore plus. Ils ont épluché les boutiques en ligne pour trouver des rouleaux de papier peint originaux des années 1970 et les poser aux murs.

« Notre voisine nous a dit que ça commençait à être un peu intense, notre affaire… Mais on voulait toujours plus de motifs ! On est très maximalistes. »

Natasha poursuit en énumérant les nombreux trésors dégotés dans les marchés aux puces et brocantes. Sa meilleure prise ? Le vieux foyer orange qui trône au salon.

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Le salon et son foyer orange

Puis, un long silence…

« Allo ? Il y a quelqu’un ? » (Non, personne.)

Je rappelle mon interlocutrice.

« Excuse-moi, mon téléphone à roulette lâche souvent, ces temps-ci !

— Mon doux, cette chronique-là s’écrit toute seule, Natasha… »

Pourquoi le couple vend-il maintenant sa capsule temporelle, quatre ans après y avoir emménagé ? L’artisane m’explique que c’est en s’établissant en campagne qu’elle a saisi l’importance des ressources naturelles.

« Quand tu as un puits, tu réalises la quantité d’eau que tu consommes ; quand tu as une fosse septique, tu penses beaucoup plus à ce que tu mets dans ta toilette ; quand tu as un lac, tu ne veux pas de produits chimiques dedans, etc. »

  • La maison de Natasha et Éric à Sainte-Émélie-de-l’Énergie

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    La maison de Natasha et Éric à Sainte-Émélie-de-l’Énergie

  • Le décor d’une autre époque de la maison de Natasha et Éric à Sainte-Émélie-de-l’Énergie

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    Le décor d’une autre époque de la maison de Natasha et Éric à Sainte-Émélie-de-l’Énergie

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    Le décor d’une autre époque de la maison de Natasha et Éric à Sainte-Émélie-de-l’Énergie

  • Le décor d’une autre époque de la maison de Natasha et Éric à Sainte-Émélie-de-l’Énergie

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    Le décor d’une autre époque de la maison de Natasha et Éric à Sainte-Émélie-de-l’Énergie

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Éric et Natasha ont donc graduellement entamé un processus vers l’autosuffisance. Ils ont bâti une serre pour leurs semences, un jardin, un poulailler… Et ils y ont pris goût.

S’ils voulaient jadis plus de motifs, ils veulent aujourd’hui plus de terre. Ils ont justement trouvé une jolie maison victorienne entourée de 10 acres de terrain. Dans quelques semaines, ils partiront donc vivre à l’Île-du-Prince-Édouard.

« Ce qui est drôle, c’est qu’on n’est jamais allés à l’Île-du-Pince-Édouard, me confie Natasha… Mais bon, on aime la maison ! »

Moi, c’est ce couple que j’aime. Je n’ai pas un dixième de sa spontanéité.

Quand je lui demande si sa nouvelle demeure sera aussi atypique que celle dans laquelle elle vit présentement, Natasha me répond que ça reste à voir. « On va laisser la maison parler ! Prendre le temps de découvrir son caractère et s’y adapter. Pour moi, c’est important de la décorer en fonction de sa personnalité. »

Parlant de personnalité, celle de la maison de Sainte-Émélie-de-l’Énergie a attiré de nombreux amateurs de rétro. Parmi les acheteurs potentiels venus la visiter dans le dernier mois, la plupart ont été charmés par le décor. Ceux qui prendront bientôt possession de la demeure comptent d’ailleurs en préserver plusieurs éléments, tout en en modernisant quelques-uns.

« Parce qu’on s’entend que du tapis dans une toilette, ce n’est pas pour tout le monde », résume Natasha.