« Ma mère est morte subitement, m’a écrit une certaine Marie. De matériel, je n’ai que sa tasse couleur volcanique. Lorsque j’ouvre mon armoire et qu’elle est sur la tablette, je dis un beau bonjour à mère. Je bois dans la même tasse qu’elle. »

Depuis samedi, je reçois plusieurs courriels de lecteurs qui me font part de leurs réflexions au sujet de la chronique « Que restera-t-il de nous ? », dans laquelle je me penchais sur le sort des objets qu’on laisse derrière soi, à sa mort.

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Vous m’avez tellement touchée avec vos témoignages que je souhaite en faire partager quelques-uns. Ce n’est pas vrai que votre sagesse va rester dans ma boîte de réception…

Le poids des objets

« Ce qui me reste de mon père est une balance Starfrit, m’a confié Pascale Cécyre. Lorsqu’il venait passer deux ou trois jours à la maison et qu’il faisait du pain, il aimait pouvoir peser sa farine. Depuis son décès en 2010, je prends soin de cette balance. S’il fallait qu’elle ne fonctionne plus, je serais d’une tristesse innommable. »

Incroyable comme un objet banal peut encapsuler tout l’amour que l’on voue à un être perdu. Une balance comme une présence.

D’ailleurs, Paul Lemay m’a écrit pour me pister vers l’artiste montréalaise Raphaëlle de Groot et son cycle de production Le poids des objets (2009 à 2016).

Oh, la belle découverte !

Pendant des années, l’artiste a demandé à des individus de se départir d’un objet pour qu’elle puisse en porter le poids. Elle les a en quelque sorte délivrés, dans le cadre de multiples performances et installations.

Parmi les soumissions : plusieurs objets ayant appartenu à une ancienne flamme et un nombre étonnant de trophées !

« Je m’intéresse beaucoup aux angles morts en art, m’a expliqué Raphaëlle de Groot. Ça m’a amenée à travailler sur la question des restes : les retailles et les débris à côté de l’œuvre finale. J’ai voulu transposer ça à notre vie. Quels sont les restes de nos vies ? Au fond, ce sont ces objets cachés dans le garde-robe. Ceux qui nous gênent par leur charge émotive. »

L’une des premières femmes ayant combattu dans les Forces armées canadiennes lui a par exemple légué sa botte droite. Grâce à Raphaëlle de Groot, cette botte a côtoyé plusieurs autres chaussures qui ont marqué l’histoire, dont celle de Napoléon, derrière une vitrine du Musée des beaux-arts de Montréal.

« Les gens se délaissaient parfois d’un poids en m’offrant leur objet, m’a dit l’artiste. D’autres fois, ils lui redonnaient de la valeur. »

Par exemple, une jeune femme a légué un cordon de téléphone rouge à Raphaëlle de Groot. Ce fil, qui traînait dans un tiroir, c’est celui avec lequel elle jouait quand son père l’appelait pour lui dire « bonne nuit », jadis. L’artiste l’a branché dans un vieux téléphone beige qui, lui, avait appartenu à un homme. C’est à travers son combiné qu’il avait appris la mort de ses parents, de son meilleur ami et d’un cousin…

« J’ai connecté le cordon rouge de l’amour au téléphone des mauvaises nouvelles, m’explique Raphaëlle de Groot. Quel appel pourrait-on recevoir maintenant ? Est-ce qu’on a court-circuité le fil des choses ? »

L’avenir

Dans son courriel, une dénommée Johanne m’a expliqué que son père était d’une génération pour laquelle les biens se faisaient rares. Contrairement à lui, elle avait pu accumuler les objets et les garder « au cas où elle ou son entourage en auraient besoin ». Mais c’est bien différent pour ses enfants… Ils préfèrent l’activité à la possession.

« La jeune génération considère qu’on garde nos choses trop longtemps, avec raison. Que feront-ils de nos maisons ? », se demande-t-elle.

C’est justement la question que se pose Lucie Thibault.

Il y a quelques années, sa sœur aînée est morte des suites d’une tumeur au cerveau. Ses nièces lui ont proposé de venir cueillir certains articles dans son appartement : « Je m’y suis rendue en pensant à une scène du film Zorba le Grec, où les femmes d’un petit village se précipitent dans la maison d’une personne qui vient de rendre son dernier souffle pour tout “piller”… J’ai vivement chassé cette affreuse image, en me disant qu’Hélène serait très heureuse que je donne une seconde vie à ses vêtements. Que je les porterais avec fierté, en gardant en tête le souvenir de cette magnifique personne qu’a été ma Grande Sœur. Depuis, j’ai pensé mettre des prix sous chacun de mes objets qui ont de la valeur pour faciliter la lourde tâche qu’auront mes fils, à mon départ. »

J’ai transmis ces témoignages à Raphaëlle de Groot. Elle m’a confirmé que les Québécois des plus vieilles générations avaient un autre rapport aux objets, ce qui pourra causer certains maux de tête à leurs successeurs.

« Peut-être que certains enfants n’auront aucun souci à tout mettre aux poubelles, alors que d’autres y verront un problème de sens. S’ils veulent être cohérents avec l’Œuvre de leur mère — celle de tout garder, parce que ça peut servir —, ils devront trouver une utilité à ses possessions. »

Ce qui n’aide pas, selon l’artiste, c’est l’absence de rites de passage. Avec sa pratique, Raphaëlle de Groot espère nous donner des idées : « Peut-être que ça peut inspirer les gens à trouver des manières honorables de se départir des objets de leurs proches tout en leur donnant un sens personnel. »

« On a tous des histoires qu’on n’écrira jamais, on espère seulement que ceux qui y ont participé s’en souviennent à l’occasion… », m’a joliment écrit André Poulin.

J’aime bien l’idée de laisser filer les objets pour qu’ils racontent leur histoire. Pour que leur rencontre avec d’autres articles engendre des discussions et que le deuil se fasse bavard…

« Jusqu’à preuve du contraire, être un “bon souvenir” pour quelqu’un est pas mal le mieux que l’on peut espérer… », croit Michel T.

Ou, dans les mots de Jean-François Couture : « Finalement, la perpétuité, cela ne serait-il que la continuation de la chaîne du souvenir ? »

Vous me faites réfléchir et vous écrivez bien. Merci pour tout ça.