Ça ressemble à chez nous, en mieux. Voilà ce que j’ai retenu de mon unique séjour en Norvège. La même idée me taraude ces jours-ci.

Cette fois, ce ne sont pas les politiques environnementales, les réformes féministes des forces armées et les infrastructures impressionnantes que j’envie, mais plutôt les prises de position du pays scandinave à l’égard de la guerre entre Israël et le Hamas. Des positions qui sont les siennes. Et qui reposent sur des principes forts à l’égard de la primauté du droit.

C’est particulièrement frappant depuis vendredi dernier. Ce jour-là, deux grosses nouvelles ont émergé du conflit au Proche-Orient. En matinée, on apprenait que dans une décision attendue, la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye ordonnait à Israël de prendre des mesures pour prévenir un génocide dans la bande de Gaza, enjoignant notamment l’État hébreu à « prévenir et punir » l’incitation au génocide et à permettre le rétablissement des services à la population palestinienne de l’enclave.

PHOTO JACK GUEZ, AGENCE FRANCE-PRESSE

Char de l’armée israélienne se déplaçant mercredi le long de la frontière entre le sud d’Israël et la bande de Gaza

Quelques heures plus tard, l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés palestiniens dans le Proche-Orient, mieux connu sous l’acronyme anglophone UNRWA, annonçait avoir été informé « d’allégations sérieuses » israéliennes selon lesquelles 12 de ses 13 000 employés auraient joué un rôle dans les attentats meurtriers du Hamas du 7 octobre qui ont fait 1200 morts en Israël ou dans la détention des otages depuis.

En termes journalistiques, ce sont deux bombes qui ont explosé en même temps. La deuxième enterrant les échos de la première.

Comment a réagi le Canada ? Au sujet de la décision de la CIJ, qui, en principe, aurait dû amener le Canada à revoir sa position sur l’opération militaire d’Israël à Gaza, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a publié un communiqué dans lequel elle répétait ce que Justin Trudeau a dit deux semaines plus tôt : le Canada soutient la CIJ, mais « cela ne signifie pas que le pays accepte la prémisse de l’Afrique du Sud », qui soutient qu’Israël est en train de violer la Convention sur les génocides. Tout le monde doit respecter le droit international.

Comme si la décision – portée par la grande majorité des 17 juges – n’avait absolument rien changé. Comme si c’était un coup d’épée dans l’eau.

Et la Norvège ? On est ailleurs. Dans son communiqué, le ministre des Affaires étrangères, Espen Barth Eide, résume la décision et les mesures imposées à Israël. « Le respect de la Cour est essentiel pour renforcer l’adhérence au droit international et nous nous attendons à ce qu’Israël respecte pleinement l’ordre de la Cour. Nous avons dit depuis octobre qu’Israël a le droit de se défendre, mais que cette défense doit être dans les limites du droit international », stipule M. Barth Eide. Diplomatique, mais beaucoup plus ferme.

Le contraste est encore plus fort dans la nouvelle impliquant l’UNRWA. Dans les minutes qui ont suivi la publication des allégations, les États-Unis ont annoncé qu’ils suspendaient leur aide à l’agence onusienne, et ce, même si cette dernière joue actuellement un rôle vital dans la bande de Gaza, où plus de 1,7 million de personnes sont déplacées et où 90 % de la population est au bord de la famine. Le Canada et l’Australie se sont dépêchés de leur emboîter le pas le même jour. Au moins neuf autres pays les ont imités depuis.

La Norvège et l’Irlande sont les deux premiers pays à avoir annoncé publiquement qu’ils maintiennent leur financement à l’UNRWA, jugeant que des allégations frappant une poignée d’employés ne devraient pas rejaillir sur l’organisation tout entière en plein milieu d’une crise humanitaire sans précédent.

« Couper le financement est la mauvaise réponse, parce que ça sent la punition collective. Pour tous ceux qui travaillent [pour l’UNRWA à Gaza], mais de manière plus importante, pour les Palestiniens qui dépendent de l’aide de l’UNRWA », a dit le ministre norvégien lors d’une entrevue avec Al-Jazeera, promettant d’interpeller ses homologues.

PHOTO SAID KHATIB, AGENCE FRANCE-PRESSE

Bombardement israélien à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, mercredi

Le secrétaire général des Nations unies et Amnistie internationale tiennent sensiblement le même discours que le ministre norvégien. Couper les fonds à l’UNRWA maintenant, c’est pousser 2 millions de personnes vulnérables du haut du précipice. Le Canada a compensé la suspension des fonds en allouant 40 millions à d’autres organisations, dont le Programme alimentaire mondial et le Comité international de la Croix-Rouge, mais aucune de ces organisations n’a les capacités opérationnelles de l’UNRWA dans la bande de Gaza.

Il est en fait assez difficile de comprendre un tel désaveu de l’UNRWA, qui opère depuis 1949 et dont les actions sont surveillées année après année par les donateurs. Vendredi, l’agence a résilié les contrats des personnes visées par les allégations et a lancé une enquête, promettant de punir les fautifs.

À notre échelle, c’est un peu comme si on arrêtait de financer du jour au lendemain le système de santé au Québec parce que 12 travailleurs étaient soupçonnés de crimes graves. Les malades seraient les premiers pénalisés.

Et faut-il rappeler que l’UNRWA a perdu plus de 150 employés dans la bande de Gaza depuis le début de l’opération militaire israélienne, qui, à ce jour, a fait plus de 27 000 morts, selon les autorités sanitaires de l’enclave palestinienne ? À ce jour, personne n’a été sanctionné pour la mort des travailleurs humanitaires.

La Norvège n’a pas attendu la semaine dernière pour se démarquer dans le dossier au Proche-Orient. Son implication est un marathon. Pas un sprint.

Vous vous rappelez les accords d’Oslo, conclus en 1993 et qui devaient paver la voie à une paix durable ? Comme leur nom l’indique, ils ont été négociés en grande partie dans la capitale norvégienne. Le diplomate et politicien Jan Egeland a été au cœur de l’organisation des rencontres secrètes entre les représentants d’Israël et de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).

Malgré l’échec des pourparlers de paix, la Norvège ne s’est jamais retirée du processus. Le pays est à la tête d’un comité de donateurs qui coordonne l’assistance internationale dans les territoires palestiniens. La Norvège a aussi accepté de servir d’intermédiaire entre Israël et l’Autorité palestinienne dans l’espoir de dégeler les taxes qu’Israël recueille pour les Palestiniens, mais qui ne sont pas acheminées depuis le mois de novembre. Un rôle qui requiert d’avoir la confiance de toutes les parties prenantes.

Quand, en 2020, le gouvernement de Justin Trudeau a tenté d’obtenir un siège au Conseil de sécurité, affirmant que le Canada était « de retour » sur la scène internationale, le pays s’est fait reprocher en coulisses son manque d’indépendance.

Vous vous souvenez des pays qui l’ont coiffé au poteau ? La Norvège, avec ses 5 millions d’habitants, est arrivée première. L’Irlande était juste derrière.

L’UNRWA déplumé

Responsable des services aux réfugiés palestiniens, l’UNRWA, qui a été créé en 1949, opère en Cisjordanie, dans la bande de Gaza, à Jérusalem-Est, en Jordanie, au Liban et en Syrie. En 2022, l’agence onusienne a reçu 1,2 milliard de dollars américains des pays donateurs. Les États-Unis, l’Allemagne et la Suède, qui ont tous suspendu leur financement dans les derniers jours, ont fourni à eux seuls la moitié du financement de l’UNRWA en 2022. La Norvège est le 5donateur en importance. En 2022, le Canada était au 11e rang.