C’est la fois dans l’année où je dis ma peur des Américains. À un an de la prochaine élection présidentielle, je ne sais pas si la république américaine va devenir une dictature soft, mais je sais ceci : il y a des Américains qui travaillent très fort pour ça.

Comme Donald Trump, encore et toujours…

Inquiété par des procès criminels et un procès civil, l’ex-président demeure une force politique irrésistible. Sans faire campagne, il est en passe de remporter l’investiture républicaine.

Il sera le candidat de son parti en 2024… J’allais dire s’il n’est pas en prison, mais non, même de prison, semble-t-il, il pourra se présenter à l’élection.

Et assurément, ses fans voteront pour lui.

Le Washington Post a sorti un scoop effrayant, il y a quelques jours⁠1. Autour de Trump, ses sbires s’activent déjà à imaginer quels seront les premiers gestes de la version 2.0 d’une administration Trump.

Les « penseurs » du Trump World s’activent déjà pour qu’au deuxième mandat on ne refasse pas les « erreurs » du premier. On apprend dans le Post que si Trump devient président en 2025, ne seront nommés aux postes clés que des loyalistes sans compétences particulières.

Exemple : Trump songe déjà à l’identité de son procureur général, parmi une courte liste d’avocats flagorneurs… qui l’encensent à la télévision.

Oui, c’est le critère de l’ex-président pour sélectionner l’attorney general : que celui-ci lui cire les bottes à la télé.

Premier point à l’ordre du jour d’une administration Trump 2.0 : utiliser l’appareil d’État pour se venger de ses critiques et de ses adversaires politiques. Trump, selon le Post, a déjà sa liste d’ennemis à talonner en utilisant le département de la Justice. Son ex-chef de cabinet John Kelly, l’ex-procureur général Bill Barr, son ex-avocat Ty Cobb et l’ex-chef d’état-major des armées Mark Milley sont dans le viseur.

Et, bien sûr, les crimes imaginaires de la famille Biden feront eux aussi l’objet d’enquêtes politiquement dirigées, si Trump redevient président des États-Unis…

Une muraille de Chine sépare le politique du judiciaire, aux États-Unis. Pour éviter, justement, que le pouvoir politique ne soit tenté d’utiliser l’appareil d’État pour harceler des adversaires. Cette muraille de Chine a été renforcée après le scandale du Watergate, après que l’administration Nixon a justement tenté de s’immiscer dans des enquêtes du FBI…

Les sbires de Trump sont déjà à l’œuvre pour abattre ces murailles de Chine et s’assurer que l’indépendance des procureurs de la Justice puisse être rapidement piétinée.

Extrait de l’article du Post : « Pour faciliter le désir de Trump de diriger les actions du département de la Justice, ses associés ont élaboré des plans pour saborder 50 ans de politiques et de pratiques destinées à protéger les enquêtes criminelles des considérations politiques. Des critiques ont qualifié ces idées de dangereuses et inconstitutionnelles… »

Suis-je le seul à freaker un peu ?

Selon les classements de Freedom House⁠2, la tentation autoritaire gagne du terrain dans le monde : Hongrie, Israël, Brésil, Inde, Pologne, Tunisie flirtent ou ont flirté avec un recul des normes démocratiques, de moins en moins d’humains vivent dans des pays libres…

Et ce pays qu’on a pompeusement (mais de manière pas totalement fausse) naguère qualifié de « leader du monde libre », les États-Unis d’Amérique, est tiraillé par un flirt antidémocratique qui aurait été complètement inimaginable il y a à peine dix ans.

Je me souviens d’une époque où les candidats défaits à la présidence appelaient eux-mêmes leurs adversaires pour les féliciter de leur victoire⁠3. Je me souviens d’une époque où un président défait dans sa quête d’un deuxième mandat laissait un mot chaleureux pour son successeur dans le bureau Ovale⁠4

Je cite cette fameuse lettre de George H. W. Bush à Bill Clinton : « Tu seras notre président quand tu liras cette lettre. Je ne te souhaite que du bien, à toi et à ta famille. Ton succès est désormais le succès de notre pays. Je t’encourage avec passion… »

Cette époque est terminée parce que le Parti républicain est en proie à une dérive vers le fascisme. Trump, ses sbires et leurs fans n’ont jamais accepté la défaite claire et nette de 2020. Ils ont essayé d’empêcher par la force la transition pacifique du pouvoir, dans ce qu’on appellerait sans gêne – s’il s’agissait d’un autre pays – une tentative de coup d’État. Depuis, ils propagent le Big Lie, le « Grand Mensonge » de l’« élection volée ».

Les plans de vengeance de Trump, s’il est réélu, sont chose courante dans les dictatures et dans les démocraties immatures.

Déclaration d’un constitutionnaliste américain dans l’enquête du Washington Post : « Ça ressemblerait à une république bananière si les gens utilisaient leur charge publique pour attaquer leurs adversaires… »

Mais Trump, malgré cela, malgré tout, est en avance dans les sondages sur tous ses adversaires républicains. Il est en avance sur le président Biden dans les États clés, dans les mêmes sondages.

J’entends déjà le lecteur blasé me dire que ce qui se passe aux États-Unis ne concerne que les Américains. C’est faux, c’est complètement faux.

Le Canada a historiquement bénéficié d’une relation stable avec le voisin américain. Mais le virage autoritaire des États-Unis représente une menace pour le Canada à plusieurs égards. Des experts en sécurité nationale ont sonné l’alarme là-dessus en 2022⁠5.

Dans son premier mandat, Trump a traité le Canada comme à peu près tous les alliés démocratiques des États-Unis : comme un adversaire, au gré de ses (mauvaises) humeurs.

Il y a lieu de penser que, comme en toutes choses, s’il revient au pouvoir, Trump sera encore pire avec le Canada qu’il ne l’a été dans un premier mandat.

1. Lisez l’article « Trump and allies plot revenge, Justice Department control in a second term » sur le site du Washington Post (en anglais ; abonnement requis) 2. Consultez le rapport de Freedom House (en anglais) 3. Lisez la transcription du discours de concession de John McCain (en anglais) 4. Lisez l’article « The letter George H. W. Bush left for Clinton is a lesson in grace » sur le site de CNN (en anglais) 5. Lisez l’article « Canada should rethink relationship with U.S. as democratic ’backsliding’ worsens : security experts » sur le site de la CBC (en anglais)