Un procès dans une ville amicale dans un État conquis sous la supervision d’une juge qu’il a lui-même nommée.

À première vue, on dirait bien que le département de la Justice des États-Unis a fait un cadeau à l’ancien président Donald Trump en décidant de tenir à Miami, en Floride, plutôt qu’à Washington DC, son procès en lien avec sa gestion de secrets d’État. Ou plutôt sa non-gestion.

Miami, pour Donald Trump, c’est la maison. Il y a un hôtel et un club de golf, le Trump National Doral, où il s’est réfugié mardi avant de plaider non coupable à 37 chefs d’accusation devant la Cour fédérale de la ville floridienne. Il est notamment accusé d’avoir amassé illégalement des documents gouvernementaux ultrasecrets, de les avoir exhibés à qui mieux mieux et d’avoir mis des bâtons dans les roues des enquêteurs qui tentaient de les récupérer.

PHOTO RICARDO ARDUENGO, AGENCE FRANCE-PRESSE

De nombreuses personnes ont manifesté mardi à Miami, tant des supporters que des détracteurs de Donald Trump. Sur la photo, un homme tient une pancarte sur laquelle on peut lire « Enfermez-le ».

À proximité de Miami, il y a aussi le club privé de Mar-a-Lago, dont l’homme d’affaires est propriétaire depuis 1985. Quand il était président, c’est là qu’il se mettait à l’abri du climat politique qui lui était hostile dans la capitale américaine. On l’appelait l’annexe de la Maison-Blanche. Depuis qu’il n’est plus au bureau Ovale, c’est là qu’il a établi sa résidence principale. C’est aussi là qu’il est accusé d’avoir entreposé les boîtes de documents qui sont maintenant au cœur de ses problèmes judiciaires.

Miami, c’est aussi un de ses laboratoires politiques préférés. La ville et ses environs ont longtemps été une forteresse démocrate au milieu d’un État qui tendait vers le Parti républicain, mais depuis 2016, Donald Trump n’a cessé d’y gagner de nouveaux adeptes. Lors de la campagne présidentielle de 2020, il a remporté confortablement la Floride grâce à l’appui majoré des électeurs latinos du sud de la Floride, soit Miami et ses environs.

Il a notamment réussi à convaincre nombre d’entre eux, originaires de Cuba, du Venezuela ou encore de la Colombie et du Nicaragua, que Joe Biden est l’équivalent des leaders autoritaires de gauche qu’ils ont fuis pour refaire leur vie aux États-Unis.

« Il a aussi présenté sa politique étrangère d’une manière qui leur plaisait. Trump a notamment promis d’envahir le Venezuela. Il a aussi radicalisé sa position à l’égard de Cuba. Et il a été chanceux. La situation des droits de la personne s’est détériorée au Nicaragua et un président de gauche a été élu en Colombie. Ça l’a avantagé », explique Eduardo Gamarra, professeur de science politique et de relations internationales à l’Université internationale de Floride.

Le chercheur s’est aussi intéressé aux campagnes de désinformation qui ont visé les communautés latinos par l’entremise des radios hispanophones. Les propos surréalistes de la nébuleuse conspirationniste QAnon, qui présente Donald Trump comme le sauveur d’un pays contrôlé par des démocrates pédophiles sataniques, ont trouvé un public réceptif parmi les Latinos de Floride. « Si on écoutait certaines radios hispanophones juste avant la comparution de Trump, on y entendait que son acte d’accusation est un mensonge, que c’est l’administration Biden qui a piloté tout ça », ajoute l’expert.

L’appui au politicien républicain, qui rêve de regagner la Maison-Blanche en 2024, sautait d’ailleurs au visage mardi après-midi. L’ancien président avait quitté la Cour fédérale depuis moins d’une heure quand il s’est présenté dans un restaurant de la Petite Havane pour y saluer les membres de la communauté cubaine de Miami. Loin de le chahuter, la foule a décidé d’entonner « Happy Birthday » en l’honneur de l’ancien président dont c’est l’anniversaire en ce 14 juin.

PHOTO ALEX BRANDON, ASSOCIATED PRESS

Donald Trump entouré de supporters dans un restaurant cubain de Miami, mardi

Et il ne faudrait pas sous-estimer non plus le soutien d’extrême droite dont il jouit dans cette région métropolitaine de 6 millions d’habitants. Enrique Tarrio, ancien chef des Proud Boys, un groupe néo-fasciste qui a joué un rôle central dans l’assaut contre le Capitole le 6 janvier 2021, y a vécu plusieurs années avant d’être condamné en mai pour complot séditieux. Idem pour de nombreux membres de cette organisation qui rêvaient de renverser l’élection de Joe Biden pour remettre Donald Trump au pouvoir.

Dans un tel contexte, pourquoi diable la Justice américaine a-t-elle fait une fleur à Donald Trump en choisissant Miami pour le mettre en examen plutôt que la capitale du pays ? Parce que le cadeau enrubanné a des airs de cheval de Troie.

Les accusations portées contre Donald Trump sont sérieuses, sans précédent et méritent un procès irréprochable. Cependant, il ne faudrait pas oublier que pour près de la moitié du pays, ce n’est pas l’ex-président qui est sur le banc des accusés, mais la Justice elle-même.

Le politicien républicain ne cesse de s’attaquer au processus judiciaire et à ses artisans depuis qu’il fait l’objet de procédures judiciaires à répétition. Tout comme il s’en prend au système électoral depuis sa défaite en 2020. Le tout ébranle la confiance d’une partie du public envers ces institutions essentielles.

Or, si Donald Trump a un procès dans un endroit qui lui est sympathique, sous l’œil de la juge Aileen Cannon, qu’il a nommée et qui a déjà tranché en sa faveur dans une cause récente, ça devient pas mal plus difficile de crier à la chasse aux sorcières et à la persécution politique en cas de condamnation.

C’est tout un pari, mais si, à terme, cette décision stratégique permet de protéger un pilier de la démocratie américaine tout en prouvant que personne n’est au-dessus de la loi, il en aura valu la peine.