(Londres) Pas trop difficile de trouver des Londoniens pour chanter les louanges de la reine Élisabeth II. On peut les cueillir comme du muguet autour du palais de Buckingham. Mais des républicains ? Des gens qui remettent en cause la monarchie en ces jours de deuil national ? C’est aussi facile que de trouver une aiguille d’épinette dans une caisse de thé Darjeeling.

Pourtant, il est clair qu’ils existent, les sceptiques de cette institution millénaire. Des sondages parus en avril dernier estiment qu’un Britannique sur cinq est prêt à dire farewell aux têtes couronnées et à la monarchie constitutionnelle. C’est 13 millions de personnes.

« Les gens ne disent pas trop fort s’ils sont républicains, me confie Victoria Morgan. La Grande-Bretagne, c’est un pays conservateur et être républicain, c’est vu comme une idée radicale. Comme si se débarrasser de la monarchie nous amènerait vers l’anarchie et le désordre total », dit en soupirant la Londonienne de 52 ans qui vit dans la banlieue de la capitale.

Victoria Morgan, ce n’est pas son vrai nom. Elle a préféré que j’utilise un pseudonyme. Même si elle milite dans des cercles républicains depuis 30 ans et qu’elle a participé dans le passé à des gestes d’éclat pour dénoncer la monarchie, elle veut rester discrète.

Cette retenue semble dans l’air du temps ces jours-ci. Plusieurs personnes contactées pour cette chronique ont refusé de me parler de leurs convictions antimonarchiques. Par peur de blesser des proches qui sont en deuil de la reine, mais aussi parce qu’elles craignent que leurs opinions soient mal reçues, mal interprétées en ces temps de grandes émotions.

La plupart cachent donc leurs idées ces jours-ci dans le fond du garde-robe. Mais pour combien de temps ?

« Je suis surprise que, de nos jours, il n’y ait pas un plus grand mouvement pour porter les idées républicaines alors que c’est tellement évident que la monarchie est une institution problématique. C’est fou qu’autant de pouvoir et de richesses soient passés de mains en mains de manière héréditaire, dit Victoria Morgan. La reine Élisabeth a été là longtemps, et les gens l’aimaient beaucoup. Et donc ils pensent que la monarchie est sans conséquence, mais sa présence permet de normaliser des choses qui ne sont pas normales. » Comme la mainmise d’une petite élite sur une grande partie des avoirs du pays ou en nourrissant l’idée que le colonialisme britannique n’était pas si terrible après tout, dénonce-t-elle.

L’organisation Republic — la plus visible en Grande-Bretagne parmi les voix critiques de la monarchie — a lancé une campagne en ligne pour dénoncer l’arrivée de Charles III sur le trône en utilisant le mot-clé #notmyking. Pas mon roi.

Mais de l’aveu même de la figure de proue de l’organisation, Graham Smith, le moment est mal choisi pour brasser la cage. La mort d’Élisabeth II, la transition royale et les cérémonies et rituels qui accompagnent ce ballet minutieusement chorégraphié prennent pour le moment toute la place dans l’espace public et médiatique.

Cependant, comme toute chose, cette frénésie royale finira par s’essouffler. « En ce moment, les gens ne veulent pas offenser [ceux qui pleurent la reine], mais le rôle du monarque en tant que chef d’État est une fonction publique qui doit faire l’objet de débats », a-t-il dit lors d’entrevues médiatiques récentes.

Le président et directeur général de Republic aimerait qu’un référendum ait lieu sur le sort de la monarchie, mais ne compte pas faire de vagues avant les funérailles d’Élisabeth II, qui doivent avoir lieu le 19 septembre. Avant que la poussière retombe.

Citoyen à la fois de l’Inde et du Royaume-Uni, l’éditeur du média numérique Mint, Dipankar De Sarkar, est convaincu que le Royaume-Uni n’est pas prêt pour une telle remise en question. « C’est une société conservatrice avec un petit c, et peu de gens veulent changer l’ordre établi », dit celui qui a été mon patron alors que j’étais stagiaire au Gemini News Service, ici, à Londres, au début des années 2000.

Il croit aussi que le républicanisme peut prendre plus d’une forme.

S’il se dit laïque libéral et non monarchiste, Dipankar De Sarkar entretient des sentiments complexes par rapport à la monarchie britannique. « Quand l’Inde est devenue indépendante, le premier ministre Jawaharlal Nehru a fait de l’Inde une république et a affirmé que la reine n’allait pas être notre chef d’État, mais il n’a pas retiré le pays du Commonwealth. C’est ambigu comme point de vue, mais c’est là que je réside », m’a-t-il expliqué lors d’une conversation téléphonique.

Ces jours-ci, malgré ses convictions, il fait le deuil de la reine Élisabeth II, qu’il a connue personnellement. « C’est possible pour un républicain d’être opposé à l’idée de la monarchie, mais d’avoir de l’affection pour les individus de la famille royale », dit-il.

Ce sont là des mots de sagesse qui devraient résonner jusque chez nous. D’un océan à l’autre, un peu plus d’un Canadien sur deux aimerait revoir les liens du pays avec la Couronne d’Angleterre, selon les plus récentes études. C’est 18 millions de personnes.

Et c’est un débat qui peut avoir lieu sans hargne, sans tourner le dos complètement aux liens historiques avec le Royaume-Uni, qui sont au cœur de l’identité du Canada anglais. Et sans non plus ignorer l’attachement que bon nombre de nos concitoyens ont pour ceux et celles qui portent la couronne et leurs proches.

Il y a chez nous des aspirations républicaines qui sont rangées depuis trop longtemps dans le fond du garde-robe. Il sera bientôt temps de leur faire voir la lumière. Au moment opportun.