« Alors, les amis, est-ce que le coup d’État a eu lieu ? »

Rafael Soares Gonçalves a ri jaune en recevant ce petit message sur son WhatsApp mercredi matin. Comme beaucoup de Brésiliens, l’historien et expert d’affaires urbaines établi à Rio a commencé la journée en avalant une dose d’appréhension en même temps que son café.

Qu’allait-il se passer en ce 7 septembre, jour du bicentenaire de l’indépendance du Brésil ? Les supputations allaient bon train.

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Marée de partisans du président Jair Bolsonaro réunis sur la plage de Copacabana, à Rio de Janeiro, mercredi

Et pour cause. L’actuel président du pays, Jair Bolsonaro, a appelé ses fans à descendre dans les rues pour montrer leur soutien lors de cette « dernière journée de la liberté ». Et ils l’ont fait. Ils étaient des dizaines de milliers mercredi à Brasília comme à Rio.

En aval de cette fête nationale, qui s’est déroulée sous haute surveillance, le troisième fils du politicien d’extrême droite, Eduardo, a invité ceux qui possèdent une « arme légale » à se porter volontaires pour son père qui, à la même date en 2021, avait affirmé que « seul Dieu » pourrait lui enlever le pouvoir.

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L’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva est candidat à la prochaine élection présidentielle du Brésil.

Cette année, cette « prophétie » de Jair Bolsonaro en rend beaucoup nerveux. Le 2 octobre, il affrontera l’ancien président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, plus connu sous le nom de Lula, lors du premier tour de l’élection présidentielle. Déjà, le président sortant affirme qu’il rejettera le résultat de l’élection si elle ne mène pas à sa victoire. Que toute autre issue est tout simplement impossible.

« Jair Bolsonaro ne cesse de décrédibiliser les institutions du Brésil sur lesquelles repose la démocratie, comme la Cour suprême et le système électoral. Dans la population, ça mène à une grande perte de confiance envers le système actuel, déplore Rafael Soares Gonçalves, qui enseigne au département de travail social de l’Université pontificale catholique de Rio de Janeiro. Ça ressemble beaucoup à ce qui se passe aux États-Unis. »

Il est en effet difficile de ne pas voir les similitudes. Jair Bolsonaro, qui s’est vu attribuer le surnom de « Trump des tropiques », n’hésite pas du tout à copier le 45e président américain. En criant à la fraude électorale avant même qu’une seule voix ait été enregistrée. En affirmant que le pays tombera aux mains de l’extrême gauche s’il ne remporte pas un deuxième mandat. En appelant ses fidèles à « donner [leur] vie pour la liberté ! ».

On pourrait trouver ce mimétisme presque comique, mais les dangers de déstabilisation du pays sont réels.

On ne peut oublier que de 1964 à 1985, le Brésil a été une dictature militaire et que les crimes de cette période n’ont jamais été punis. Bolsonaro, qui a été officier au sein des forces armées du pays, parle de cette époque avec nostalgie et n’a pas hésité à nommer d’anciens militaires dans plusieurs postes clés du pays.

« Mais le pire, c’est la force policière, note Rafael Soares Gonçalves. Cette dernière tombe sous le code militaire et n’a pas fait la transition vers la démocratie. Et cette force policière est très proche de Bolsonaro. On craint davantage son rôle dans un éventuel coup d’État », dit l’expert.

Mercredi donc, beaucoup craignaient que ce 7 septembre ne devienne pour le Brésil ce que le 6 janvier 2021 – jour de l’insurrection au Capitole – a été aux États-Unis.

Mais ça n’a pas été le cas.

Oui, Bolsonaro s’est servi de la fête nationale et du défilé militaire qui l’accompagne pour montrer ses muscles, mais le tout ne s’est pas transformé en émeute ou en déclaration de guerre.

En fait, le président, qui ne recueille pour le moment qu’environ 30 % des intentions de vote, soit 12 points de moins que son principal rival, a profité de sa tribune pour parler de l’un de ses sujets préférés : ses prouesses au lit.

Après avoir vanté la beauté de sa femme, le président s’est dit imbrochavel. Ce néologisme bolsonarien, qui est plutôt difficile à traduire, signifie en gros que le politicien n’échoue jamais au moment de l’acte sexuel, qu’il ne sera jamais impuissant. Fidèle à son style macho incendiaire, il a demandé à ses supporteurs de crier le mot encore et encore.

On est loin d’un exposé de théorie politique.

Après deux rassemblements dans deux villes différentes, Jair Bolsonaro devait terminer les célébrations du jour de l’indépendance en assistant à un match de soccer au célèbre stade Maracana.

« On ne peut pas faire un coup d’État et aller voir un match de Flamengo [célèbre club de Rio] ensuite », dit en riant Rafael Soares Gonçalves. Il pousse néanmoins un petit soupir de soulagement.

Petit, parce qu’il reste encore un mois à cette campagne électorale hors norme et que tout est, malheureusement, encore possible.