Laissons aux Français le débat fascinant sur la retraite à 60, 62 ou 65 ans. Cette élection présentait deux visions politiques si radicalement opposées qu’elle concernait autant « le reste du monde ».

Ce n’est pas exagéré de dire que le libéralisme et l’avenir de la démocratie en Europe étaient à l’enjeu.

Le discours de Marine Le Pen est moins brutal, mais l’ex-Front national, devenu Rassemblement national (RN), est encore fondamentalement anti-européen et anti-OTAN. Sans parler du fait que dans la « patrie des droits de l’Homme », elle envisageait une atteinte jamais vue aux libertés civiles des minorités religieuses en interdisant le port de tout signe religieux dans l’espace public.

Devinez qui Vladimir Poutine voulait voir à l’Élysée ?

Les opérations de déstabilisation des démocraties constitutionnelles par la Russie sont nombreuses et bien documentées. Depuis l’enquête du FBI et l’enquête Mueller, on a la preuve des manœuvres du Kremlin pour aider la campagne de Donald Trump. On voit comment Trump a été, et est encore, à la tête d’une colonie de fourmis charpentières du système démocratique américain.

En Grande-Bretagne, l’ambassadeur de Russie, Alexander Yakovenko, – cité dans le rapport Mueller – a soutenu les leaders du Brexit.

En France, on n’a qu’à relire les positions de Marine Le Pen sur la Russie, l’OTAN et l’Europe ces dernières années pour voir l’influence de la propagande russe. Nul besoin d’avoir eu connaissance de ce prêt d’environ 15 millions d’une banque russe à son parti pour s’en douter. Mais ce prêt, douteux en 2014, prend une tout autre dimension quand éclatent encore plus clairement les visées sanglantes de Poutine.

L’Europe a ses lourdeurs, sa bureaucratie, ses rigidités. Elle force des compromis entre États souverains. L’OTAN a ses problèmes, ses contradictions et ses impotences.

Mais depuis l’invasion de l’Ukraine, tout d’un coup, ces deux institutions trouvent un nouveau sens, ou plutôt, on voit plus clairement que jamais ce qu’elles défendent.

Je n’analyse pas ici le vote français. J’en examine l’impact international. Une Europe désunie, plus turbulente, c’est une victoire pour Poutine. Pour la Chine aussi. C’est pourquoi cette élection était si importante pour le libéralisme.

Il n’en reste pas moins que cette extrême droite un peu diluée n’en finit plus de progresser en France. À 42 % au final, c’est majeur.

PHOTO DARRIN ZAMMIT LUPI, REUTERS

Marine Le Pen s’adresse à ses partisans après sa défaite dimanche soir.

Il faudra se demander pourquoi et comment Le Pen continue à progresser, pour atteindre plus que le seuil de la respectabilité électorale.

Parce que les mêmes courants existent ici comme partout, et ils puisent aux mêmes sources.

Ai-je écrit « extrême droite » ? Oh, pardon, il paraît qu’on n’a pas le droit de dire ça.

Des commentateurs conservateurs, en France et au Québec, nous disent que le RN de Le Pen n’est pas assimilable à l’extrême droite, car à plusieurs égards, il propose des politiques sociales, pour ne pas dire socialistes. L’extrême droite classique, au contraire, serait pour la déconstruction de l’État et la déréglementation tous azimuts. On pourrait sûrement faire un symposium de science politique à ce sujet, mais l’extrême droite ultranationaliste européenne d’avant la Seconde Guerre mondiale prônait un État tout-puissant.

Ce qu’il y a d’extrême dans les politiques du RN, c’est son illibéralisme. Pendant le débat de la semaine dernière, Macron a dit à Le Pen que ses propositions allaient provoquer une « guerre civile ». Vous voulez vraiment envoyer les flics arrêter les femmes voilées dans les rues ?

Tout ce qu’elle a trouvé à dire était qu’il avait bien envoyé les flics arrêter les gens qui ne respectaient pas les mesures sanitaires.

J’ai entendu un commentateur dire que cette charge de Macron était destinée à stimuler le vote « communautariste musulman ». Car si cette proposition politique est bel et bien dans le programme de Le Pen, elle n’en a pas parlé en campagne.

Pourtant, ce n’est pas parce qu’elle dissimule ses idées les plus haineuses qu’elles sont moins extrêmes.

Sur le fond, comment accepter qu’une candidate à la présidence propose une violation aussi énorme des libertés publiques ? Une proposition manifestement contraire non seulement aux valeurs de liberté, mais encore à la Constitution française.

Parce que si elle en a surtout contre le voile musulman, une loi l’interdisant dans les rues de la République devrait exclure aussi les kippas juives, les turbans sikhs, sans compter bien sûr les quelques soutanes restantes…

Aucun régime démocratique n’a jamais fait une chose semblable. Et en effet, ce sont des régimes communistes qui ont banni les religions en prétendant libérer le citoyen de l’opium du peuple, donc l’extrême gauche.

Il faut peut-être mettre de côté les définitions et les listes anciennes, en cette époque où les partis classiques éclatent partout et se recomposent à la carte.

Ce n’est pas une raison pour noyer le poisson, pour diluer le poison social de cet extrémisme en refusant de nommer l’intolérance et la xénophobie, camouflées dans la lutte contre le fanatisme islamiste.

On peut lui donner toutes sortes de sens. Mais au final, la victoire d’Emmanuel Macron, c’est celle des valeurs démocratiques fondamentales. À ce moment de l’Histoire, il me semble que c’est particulièrement nécessaire et réjouissant.