Le 5 décembre 2001, un groupe de leaders talibans a envoyé une lettre à Hamid Karzaï, celui qui allait devenir le président afghan quelques jours plus tard et le rester pendant 13 ans. Les islamistes rigoristes, chassés du pouvoir par les États-Unis et leurs alliés, offraient de déposer les armes en échange d’une amnistie.

La lettre est restée sans réponse.

« Que se serait-il passé si cette branche d’olivier tendue par les talibans avait été saisie ? », demande la journaliste de la BBC Lyse Doucet dans son balado renversant sur l’Afghanistan, A Wish for Afghanistan (« Un souhait pour l’Afghanistan »), un de mes gros coups de cœur de l’année 2021 en journalisme international.

En écoutant le balado en anglais, on apprend l’existence de cette lettre qui avait le potentiel de tout changer et de sauver des dizaines de milliers de vies.

On apprend aussi que la transition après le retrait des troupes soviétiques aurait pu être pacifique, plutôt que de mener à une guerre civile qui, à long terme, s’est soldée par l’avènement du premier régime taliban.

Dans A Wish for Afghanistan, l’histoire afghane nous apparaît comme une série de rendez-vous manqués, mise en relief par la correspondante en chef du service international de la BBC.

Bien peu d’Occidentaux connaissent aussi bien l’Afghanistan que Lyse Doucet. La journaliste originaire de Bathurst, au Nouveau-Brunswick, fréquente le pays depuis la fin des années 1980. Elle y était lors du retrait des troupes soviétiques et durant les années difficiles qui ont suivi. Elle a couvert le premier régime taliban, sa chute deux mois après les attentats du 11-Septembre et les années d’occupation militaire des États-Unis et de l’OTAN.

PHOTO PAULA BRONSTEIN, ARCHIVES BBC

Lyse Doucet en compagnie de Hamid Karzaï, à Kaboul, en Afghanistan

Le 15 août dernier, alors que les talibans reprenaient Kaboul sans résistance, elle était à bord du dernier vol commercial qui a tenté de rejoindre la capitale afghane, mais qui a dû rebrousser chemin. Elle a mis une semaine de plus pour arriver à destination.

« Depuis deux ans, le mantra parmi les Afghans que je connais, c’est qu’il fallait tout faire pour ne pas refaire les mêmes erreurs que dans le passé. Non seulement les erreurs ont été répétées, mais la situation est encore pire qu’elle ne l’était au retrait des troupes soviétiques en 1989 », m’a dit la journaliste lors d’un entretien par vidéoconférence de son appartement de Londres.

Cette tragédie, elle la dissèque en interviewant dix acteurs clés de l’Afghanistan, tous plus grands que nature. D’abord Hamid Karzaï, l’ancien président afghan, qui était son ami bien avant de devenir chef d’État et qu’elle ne ménage pas dans son entretien.

Ça arrive que nos amis deviennent présidents. Mais quand on s’assoit pour une entrevue, je suis la journaliste et il est le président. Je dois être capable de séparer les deux rôles. Et je dois pouvoir poser toutes les questions.

Lyse Doucet

Elle a aussi interviewé Abdul Salam Zaeef, ancien dignitaire taliban. Elle talonne Zalmay Khalilzad, l’ancien ambassadeur des États-Unis en Afghanistan qui était négociateur en chef lors des pourparlers avec les talibans qui ont mené au retrait des troupes américaines. Elle pleure avec Shaharzad Akbar, féministe afghane qui a dû fuir le pays en août, mais qui affirme que son combat n’est pas terminé. Elle met les deux mains dans le cerveau d’une femme médecin favorable aux talibans, qui parle de sa désillusion à l’égard de l’occupation étrangère.

En écoutant ces témoignages, recueillis sur une longue période, on a envie tantôt de hurler, tantôt de prendre les interviewés dans nos bras pour pleurer avec eux. Le tout est un exercice de journalisme de haute voltige, ancré tant dans l’expertise que dans l’empathie.

Pas surprenant que l’Université Concordia ait décerné en 2020 un doctorat honoris causa à cette grande reporter qui, au fil de trois décennies de reportages sur le terrain en Afrique, en Afghanistan et au Moyen-Orient, est devenue le visage le plus connu mondialement de la chaîne publique britannique.

Malgré son succès, elle n’a jamais occulté ses origines acadiennes ou modifié son accent.

« Au début, ça dérangeait. On entendait seulement un seul type d’accent britannique à la BBC. Une fois de temps en temps, on me demandait d’aller en ondes pour expliquer mon accent. Une fois, j’ai expliqué que je suis acadienne. À la blague, j’ai dit que les Britanniques avaient pris les terres de mes ancêtres, mais qu’en échange, j’avais eu un emploi. On ne m’a plus jamais demandé d’expliquer d’où vient mon accent depuis », raconte-t-elle en riant.

Aujourd’hui, elle se réjouit d’entendre une grande variété d’accents et de voir beaucoup plus de diversité à la BBC comme ailleurs dans le grand monde du journalisme mondial.

« Les journalistes occidentaux, nous ne sommes plus les seuls à raconter les histoires des pays que nous couvrons, et c’est tant mieux », dit-elle, convaincue qu’il y a de la place pour beaucoup de voix dans l’univers médiatique.

Dans son balado, Lyse Doucet demande à ses interlocuteurs de formuler leur propre vœu pour l’Afghanistan.

Mais quel serait le sien ? « Je veux que l’Afghanistan soit un pays où les vœux des gens sont exaucés. Ils souhaitent que leurs enfants – garçons et filles – aillent à l’école. Ils veulent un emploi. Ils veulent un endroit qui leur donne un peu de place où s’épanouir. C’est un moment excessivement douloureux de leur histoire et pour lequel ils doivent prendre une part de responsabilité. »

Écoutez le balado A Wish for Afghanistan (en anglais)