Dernier président du régime d’apartheid en Afrique du Sud, Frederik Willem De Klerk a décidé de partir avec fracas. Dans un message posthume rendu public jeudi, juste après l’annonce de sa mort, l’ancien politicien a présenté ses excuses « sans réserve » pour les blessures et les dommages que le régime raciste avait fait subir à des dizaines de millions de ses concitoyens.

Des excuses longtemps attendues, mais qui passent de travers.

« Pourquoi s’excuse-t-il après sa mort ? Il aurait pu faire tellement plus ! En plus des excuses, il nous devait à nous, tous les Sud-Africains, la vérité », tonnait jeudi le photographe sud-africain Greg Marinovich, joint à Cambridge aux États-Unis, où il enseigne son art.

Membre du réputé Bang Bang Club – groupe de quatre photoreporters qui a documenté la transition tempétueuse de l’Afrique du Sud de l’apartheid à la démocratie –, Greg Marinovich a été aux premières loges de la violence du régime ségrégationniste puis des affrontements meurtriers entre factions sud-africaines avant la tenue des premières élections démocratiques en 1994. Ses images coup-de-poing lui ont valu un prix Pulitzer.

PHOTO MIKE HUTCHINGS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Nelson Mandela et Frederik Willem De Klerk, en 1996

Le photographe croit que Frederik De Klerk aurait pu permettre au pays de guérir véritablement en dévoilant tout ce qu’il savait sur les exactions de l’ancien régime et en enjoignant aux soldats et aux policiers de l’apartheid de casser la loi du silence. « C’est trop tard maintenant », dit-il, en comparant De Klerk à un voleur de portefeuille qui aurait avoué son crime tout en refusant de rendre le contenu à son propriétaire. « Ça me met vraiment en colère », dit Greg Marinovich.

Regardez le message posthume de FW De Klerk en entier (en anglais)

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La mort de l’ancien président, à l’âge de 85 ans, ravive beaucoup de souvenirs en Afrique du Sud. Peu d’individus ont eu un rôle plus complexe dans l’histoire du plus austral des pays africains.

Appartenant à la minorité blanche afrikaner, FW De Klerk, comme l’appellent ses compatriotes, a fait partie de l’aile dure du Parti nationaliste et a longtemps collaboré au maintien du régime brutal contrôlé par la minorité blanche.

Cependant, c’est ce même homme, en 1990, qui a signé la mort de l’apartheid.

Dans un discours historique prononcé à l’ouverture du Parlement en février de cette année-là, il a annoncé la fin du bannissement du Congrès national africain (ANC) et la libération de son leader, Nelson Mandela, ainsi que de plusieurs autres prisonniers politiques.

Dans les mois qui ont suivi, il a négocié les modalités de la transition vers une démocratie constitutionnelle, reconnaissant des droits égaux à tous les citoyens du pays, avec le légendaire Mandela, élu président au suffrage universel en 1994. Dans le gouvernement d’unité qui a suivi, De Klerk a tenu le rôle de vice-président pendant deux ans. Quelques mois avant l’élection, les deux hommes avaient reçu conjointement le prix Nobel de la paix.

PHOTO JON EEG, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Nelson Mandela et Frederik Willem De Klerk ont reçu le Nobel de la paix en 1993.

Jeudi, c’est cette partie de sa vie que l’actuel président sud-africain, Cyril Ramaphosa, a saluée, notant que De Klerk avait « joué un rôle clé dans l’avènement de la démocratie ».

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Dramaturge, acteur, cinéaste et artiste visuel, Guy de Lancey associe le nom de De Klerk à la fin de son exil. Né dans une ville « conservatrice et profondément raciste » du nord de l’Afrique du Sud, M. de Lancey s’est réfugié en Europe pendant l’apartheid. Objecteur de conscience, il refusait de faire son service militaire dans une armée qui combattait les rebelles s’opposant au suprémacisme blanc.

« J’étais à Berlin quand le mur est tombé. J’ai alors su que ce serait bientôt le temps de rentrer à la maison », raconte-t-il aujourd’hui, expliquant que la chute du communisme a joué un grand rôle dans la décision de FW De Klerk d’abandonner l’apartheid. Ce n’était qu’une question de temps avant que les alliés du régime – libérés de la guerre froide qu’ils venaient de remporter – ne l’abandonnent complètement, raconte-t-il. « Il y avait des changements profonds dans l’ordre mondial, et De Klerk a reconnu que des compromis étaient nécessaires », note M. de Lancey.

Cette décision a valu à l’ancien président une étrange place dans le panthéon sud-africain. « Les Blancs favorables à l’apartheid voient en lui un traître qui les a laissés tomber, beaucoup d’autres citoyens sud-africains n’ont jamais oublié d’où il venait », souligne l’artiste qui a refait sa vie au Cap après son retour d’exil, mais qui vit actuellement à New York.

FW De Klerk. Figure historique centrale. Héros de personne.