« Voici votre mariée. » C’est par ces mots que le père de Parwana conclut la pire transaction qui soit : il vient de vendre sa fille de 9 ans à un étranger à la longue barbe blanche. 

Couverte d’un voile noir, la fillette afghane est escortée jusqu’à la voiture de son nouveau propriétaire. Elle résiste. En vain.

La terrible scène a été immortalisée par une équipe de CNN à la fin d’octobre dans la province de Badghis, dans le nord-ouest de l’Afghanistan, sous contrôle taliban.

Dans le reportage coup-de-poing, le père explique qu’il n’a pas le choix. Qu’il a besoin de l’argent – l’équivalent de 2800 $ – pour nourrir le reste de sa famille.

VOYEZ le reportage complet de CNN (en anglais)

Impossible de ne pas hurler en regardant cette histoire de désespoir profond. Mais pire encore, en constatant le terme utilisé : mariage.

Un mariage, c’est l’union légitime de deux personnes consentantes devant une figure d’autorité, que ce soit un représentant de la loi ou une figure religieuse. C’est un concept qui n’a absolument rien à voir avec la vente de la petite Parwana ou encore celle d’un bébé fille de 6 mois, rapportée par la BBC et dont ma collègue Agnès Gruda a récemment fait état dans un reportage sur la crise humanitaire afghane.

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Il n’y a rien de « légitime » dans la vente d’une enfant. Il y a un autre mot qui décrit beaucoup mieux la situation dans laquelle se retrouvent ces fillettes qui deviennent la propriété d’autrui et n’auront pas leur mot à dire sur le travail domestique qui leur sera demandé ou sur leur vie sexuelle. Un mot terrible : esclavage. Un crime contre l’humanité.

Un mot que l’UNICEF – qui veille aux droits et au bien-être des enfants à travers le monde – n’aime pas utiliser, notamment de crainte de diaboliser les parents qui font des choix impossibles en situation de crise humanitaire. Quand ils ont des bouches à nourrir et n’ont plus de ressources. « C’est un mécanisme de survie nocif. C’est vraiment malheureux, mais quand les parents cherchent une manière de s’en sortir, ils pensent à leurs filles, à les marier. C’est lié à l’inégalité des sexes », dit Nankali Maksud, conseillère senior spécialisée dans les pratiques nocives, au siège social de l’UNICEF.

Au lieu de parler d’esclavage, Mme Maksud préfère parler de mariage d’enfants ou de mariage précoce, une pratique que décrie l’UNICEF à travers le monde.

Ce phénomène est un fléau. En tout, il y a actuellement dans le monde 650 millions de filles qui ont été mariées avant leurs 18 ans, une violation de leurs droits. Et de ce nombre, près du tiers ont été mariées avant leurs 15 ans.

« Oui, il y a des situations parfois qui s’apparentent à de l’esclavage, dit Mme Maksud, mais ce n’est pas le cas de la majorité des mariages précoces », tient-elle à préciser. L’Inde est le pays où l’on trouve le plus de filles mariées mineures. Les pays où le plus grand nombre de fillettes sont concernées incluent le Niger, la République centrafricaine, le Tchad, le Bangladesh et le Mali, où plus de 50 % des filles se marient avant d’avoir 18 ans. Au Canada, la loi sur le mariage établit à 16 ans l’âge minimal pour se marier – un fait que dénonce l’UNICEF.

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En Afghanistan, les mariages précoces étaient fréquents avant la présente crise qui a plongé la moitié du pays dans l’insécurité alimentaire. En général, 28 % des filles afghanes sont mariées avant d’atteindre la majorité, et environ 4 % avant leur 15anniversaire.

Ce n’est pas la première fois non plus que des histoires de fillettes vendues au berceau ou avant la puberté arrivent aux oreilles de l’UNICEF. « Oui, on voit ça dans des situations de crise humanitaire, dit Nankali Maksud. En plus, en Afghanistan, on est dans un contexte culturel où les mariages précoces sont ancrés dans la culture, dans les traditions et dans la religion. Quand on combine les deux, c’est la pire situation possible et on voit plus d’occasions où des fillettes sont vendues en très bas âge », se désole-t-elle.

L’Afghanistan n’est d’ailleurs pas le seul endroit où ce phénomène a été observé. Dans la Syrie en guerre, des petites filles ont été vendues. Au Cameroun, des bébés filles sont promis en mariage dès leur naissance en échange d’argent. L’an dernier, le magazine mexicain Reforma a rapporté la vente de fillettes dans l’État de Guerrero. Plus de 300 000 enfants – la plupart issues de communautés autochtones – auraient subi ce sort au cours des 50 dernières années.

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Pour freiner les mariages de fillettes en Afghanistan, l’UNICEF – qui n’a jamais quitté le pays après la prise de pouvoir des talibans – a commencé à verser de l’argent à 80 000 familles particulièrement vulnérables du pays, et espère pouvoir multiplier ces dons. L’idée est simple : s’ils peuvent se nourrir et assurer les besoins fondamentaux de leur famille, les parents démunis auront moins tendance à vendre leurs filles.

C’est pragmatique, mais ça semble un tout petit pansement sur un mal gigantesque : dans l’Afghanistan des talibans, la valeur des vies des petites filles est en chute libre. Et les conséquences sont déjà évidentes et risquent de continuer d’empirer.

Il est compréhensible que l’UNICEF fasse attention aux mots employés pour parler de la situation. L’organisation onusienne est déployée en Afghanistan et ne veut surtout pas mettre ses activités en péril au moment où les enfants afghans en ont le plus besoin.

Par contre, de l’extérieur du pays, dans le confort de nos foyers, il est de notre devoir de dénoncer avec force cette forme d’esclavage qu’aucune robe de mariée ne saurait cacher.