Longtemps, le visage de la résistance afghane a été celui d’un guerrier, le commandant Massoud, assassiné il y a 20 ans. Aujourd’hui, c’est aussi celui de jeunes femmes frondeuses.

Toutes les fois qu’elle met les pieds dans les rues de Kaboul depuis le 15 août pour aller manifester avec d’autres femmes afghanes, Samira Khairkhwah ne sait pas si elle reviendra vivante. Ou en un seul morceau. Encore moins en ce jeudi.

Au cours des derniers jours, des talibans, irrités par les militantes qui ne veulent pas rentrer dans le rang et réclament leurs droits, ont battu plusieurs d’entre elles à coups de barres de fer et de crosses de fusil. Des journalistes ont subi le même sort.

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Samira Khairkhwah (au centre), lors d’une manifestation contre le régime des talibans à Kaboul, le 3 septembre

En ce 9 septembre, les manifestations déjà périlleuses seront à la limite du suicidaire. « Oui, on s’attend à ce que les talibans soient encore plus durs avec nous, mais on va manifester », dit celle qui est l’une des principales instigatrices du mouvement de protestation, à la fois défiante et tout sourire de l’autre côté de l’appel vidéo.

L’avant-11-Septembre

Pour tous les Afghans, le 9 septembre est une date qui ne s’oublie pas. Ce jour-là, en 2001, deux terroristes d’Al-Qaïda déguisés en journalistes se sont fait exploser pour tuer Ahmad Shah Massoud, chef des rebelles de l’Alliance du Nord. Il était seul à mener une lutte armée contre le régime des talibans de l’époque.

Les partisans des talibans – nombreux au sein de l’ethnie pachtou – ont poussé un soupir de soulagement en apprenant que le seigneur de la guerre était mort. Une grande partie des minorités tadjike et ouzbèke du pays ainsi que les Afghans opposés à l’islamisme ultrarigoriste du mollah Omar ont été plongés dans le deuil. Ceux qui ont souffert aux mains des commandants et des troupes de l’Alliance du Nord qu’il dirigeait pendant la guerre civile avaient des sentiments mitigés.

A posteriori, il est évident que cet attentat était la préface de ceux survenus deux jours plus tard sur le sol américain. Une carte de remerciements de ben Laden au régime qui lui a permis d’échafauder son plan meurtrier du 11 septembre.

D’autant plus qu’Ahmad Shah Massoud, en visite à Paris et à Strasbourg cinq mois avant sa mort, avait averti les politiciens européens du danger que représentaient ben Laden et ses hommes pour l’Occident. Ils l’ont écouté poliment sans l’entendre. Le monde entier en subit encore les conséquences.

La photo à l’index

Jusqu’à l’année dernière, Kaboul commémorait dans le faste la mort du commandant Massoud. Les chauffeurs de taxi mettaient sa photo dans leur pare-brise. Les commerçants installaient de grosses couronnes de fleurs à son effigie devant leurs magasins. On prononçait des discours enflammés en son nom, taisant les zones d’ombre.

Cette année, les talibans ont mis en garde ceux qui voudraient honorer la mémoire du rebelle en ce jour du 20anniversaire de sa mort, raconte Samira Khairkhwah. Les affiches à sa gloire que certains ont placardées dans la capitale ont été déchirées ou criblées de balles.

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Un garçon passe devant une œuvre murale représentant le défunt commandant afghan Ahmad Shah Massoud à Kaboul, mercredi.

Mais c’est oublier que la résistance n’a pas qu’un visage en Afghanistan. Elle prend les traits de jeunes femmes frondeuses ces jours-ci. « Nous ne resterons pas silencieuses. Pour nous, Massoud était un modèle de résistance. La résistance à ceux qui veulent prendre nos terres ou nos droits », dit la jeune femme de 25 ans, qui était porte-parole d’une entreprise d’électricité avant le retour des talibans au pouvoir.

Samira Khairkhwah est bien consciente qu’elle et ses compagnes de lutte jouent avec le feu.

Oui, c’est dangereux, mais si on ne dit rien et qu’on se cache dans nos maisons, on pourrait le payer cher pour le reste de notre vie.

Samira Khairkhwah

Elle prend les précautions qu’elle peut. Tous les soirs, elle dort dans un endroit différent pour semer les talibans, mais elle manifeste et parle à visage découvert. « Je refuse que mon pays devienne ma prison ! », lance-t-elle.

La chute du Panchir

Militante pacifique, armée tout juste de son téléphone intelligent et des réseaux sociaux, Samira Khairkhwah ne cache pas sa sympathie pour le Front national de résistance (FNR), l’organisation dirigée par le fils du commandant Massoud, Ahmad Massoud, et mise sur pied le mois dernier. « C’était la seule petite lumière dans un tout petit trou », dit-elle.

Elle en parle au passé parce que le groupe armé regroupant l’Alliance du Nord, des membres de l’armée afghane et Amrullah Saleh, le vice-président du gouvernement élu et déchu de Kaboul, vient tout juste de subir une dure défaite. Une grande partie de la vallée du Panchir qu’ils défendaient est depuis lundi aux mains des talibans. Ahmad Massoud s’est réfugié au Tadjikistan et affirme que le combat continue.

« C’est le seul groupe qui demande un gouvernement inclusif alors que les talibans viennent de nommer un gouvernement dans lequel il n’y a pas une seule femme. Avec la défaite [du FNR], les femmes sont plus en danger que jamais. »

Aussi courageuse soit-elle, Samira Khairkhwah se demande combien de temps elle tiendra. « J’ai décidé d’élever la voix plutôt que de partir. J’ai sauté à pieds joints dans la lutte et je commence à avoir peur pour ma famille. Si les talibans ne finissent pas par accepter nos revendications, nous devrons partir, nous aussi. » Et il est fort possible que tout se joue en ce triste jour d’anniversaire.

Avec la collaboration d’Akbar Shinwari

Au nom du père et du fils

Francophone et francophile, le commandant de l’Alliance du Nord, Ahmad Shah Massoud, a toujours fasciné en France. Son fils, qui a étudié en Iran et au Royaume-Uni, marche dans les traces de son père. Documentariste, grand reporter, Nicolas Jallot vient tout juste de réaliser un film aussi beau que nuancé sur le Lion du Panchir et son lionceau.

Visionnez le film Massoud, l’héritage