Jean-Michel Lavoie ne met pas uniquement du sirop d’érable sur ses crêpes, il le distille. Le chercheur à l’Université de Sherbrooke a cofondé la Distillerie du Granit en partenariat avec la municipalité de Saint-Romain en Estrie. Il se sert des dernières avancées technologiques pour transformer notre sucre national en alcool.

Lors de la dernière Fête des vendanges, qui se déroule chaque année en septembre à Magog, une foule de curieux se sont amassés devant le kiosque de la Distillerie du Granit. Dans les bouteilles, l’originalité des saveurs a piqué la curiosité des dégustateurs : café et piments forts, bleuet et sapin ou encore rhubarbe, concombre et melon.

Derrière le comptoir, Jean-Michel Lavoie expliquait patiemment ce qui différencie ses spiritueux des autres : l’alcool de base est élaboré avec du sirop d’érable. Cette particularité confère une texture moelleuse à la boisson, sans toutefois lui donner un goût sucré.

C’est en essayant de valoriser le sirop d’érable déclassé que le chimiste, titulaire de la Chaire de recherche industrielle sur les technologies acéricoles, a eu l’idée de le distiller. « Il y a une bonne quantité de sucre dont on ne sait pas quoi faire dans le domaine acéricole, explique le professeur. Comme le sucre fermente, on a essayé de produire différents alcools. Le gin, c’était ce qu’il y avait de mieux. »

Pour tester ses idées, Jean-Michel Lavoie collabore depuis plusieurs années avec l’érablière-école de la municipalité de Saint-Romain. Établie dans l’immense forêt d’érables, à proximité du parc national de Frontenac, l’école fournit au scientifique la matière première, soit le précieux sirop. Or, le projet de distillerie a vite suscité l’intérêt de la communauté. À un point tel que la municipalité s’est associée au chercheur pour démarrer la Distillerie du Granit en 2021. « On savait que le monde du gin est populaire, mais il y en a un pis un autre sur les tablettes, commente M. Lavoie. On ne voulait pas commercialiser un gin et se diluer dans un océan de produits semblables. »

PHOTO MARIE-EVE DUCHAINE, FOURNIE PAR FORÊT DUCHAINE-LAVOIE SENC

Pour se démarquer, le chercheur parfume ses boissons avec des aromates de la région.

L’art de se démarquer

Des liqueurs d’érable élaborées avec du sirop d’érable : il fallait trouver mieux pour se démarquer. Le chercheur s’est lancé comme défi de parfumer ses boissons avec différents aromates de la région. Il a choisi la canneberge, mais il a dû faire appel à ses connaissances scientifiques pour réussir l’assemblage. « La canneberge, ce n’est pas un fruit facile, dit-il. C’est amer et on n’est pas capable d’en extraire les aromates. »

Il a découvert que le goût fruité du petit fruit rouge ressort particulièrement lorsqu’il est assemblé avec la framboise. La recette était trouvée. Puis, le scientifique s’est intéressé au bleuet et encore une fois, il a découvert une combinaison gagnante. « J’ai repris des formulations sur lesquelles j’avais travaillé il y a plusieurs années pour faire une liqueur de bleuet et de sapin, explique-t-il. Le sapin a fait exactement ce que la framboise a fait dans mon autre liqueur, ça amplifie le goût. »

La jeune entreprise produit maintenant près d’une dizaine de produits. Elle les commercialise sous le nom Québécøl, un polyphénol présent dans le sirop d’érable.

Seule ombre au tableau : Jean-Michel Lavoie n’utilise pas pour le moment le sirop d’érable déclassé comme il rêvait au départ. Puisque la Distillerie du Granit possède un permis d’alcool artisanal, l’entreprise doit utiliser uniquement la matière première qu’elle produit. Or, la quantité de sirop déclassé par l’érablière-école de Saint-Romain n’est pas suffisante pour élaborer plusieurs boissons.

PHOTO MARIE-EVE DUCHAINE, FOURNIE PAR FORÊT DUCHAINE-LAVOIE SENC

Jean-Michel Lavoie a lancé la Distillerie du Granit.

« Il nous faudrait un permis industriel pour acheter puis valoriser le sucre des cabanes, raconte M. Lavoie. Mais ce n’est pas possible pour le moment. Ça va nous restreindre dans notre distribution et nous impose des coûts majeurs. »

En attendant que la loi change ou que l’entreprise soit viable, le chercheur teste de nouveaux procédés dans son laboratoire et de nouvelles recettes dans son alambic pour faire briller l’« or blond ».

PHOTO MARIE-EVE DUCHAINE, FOURNIE PAR FORÊT DUCHAINE-LAVOIE SENC

Mistelle de genévrier et érable fumé, par Québécøl.

Inspiration « réduit »

Jean-Michel Lavoie voulait reproduire le mélange de gin et de réduit qui a marqué sa jeunesse. Pour ce faire, il a fait appel à ses collègues de l’Université de Sherbrooke. Ensemble, ils ont développé une technique pour fumer des morceaux de bois et ainsi parfumer la boisson. Le résultat est unique. Le gin à base de sirop d’érable possède une texture douce qui se marie à merveille avec le bois d’érable. En fin de bouche, les notes de fumée amplifient les arômes d’épices. Parfait pour célébrer le temps des sucres.

Mistelle de genévrier et érable fumé, Québécøl, 39,14 $, offert en ligne

Consultez le site de Québécøl