Maintenant que nous nous sommes bien gavés de chocolat de Pâques, si nous nous penchions un peu sur « le goût amer de la culture du cacao » ? C’est le sous-titre du livre Chocolaté, paru récemment chez Écosociété.

On sait depuis un certain temps que tout n’est pas rose dans l’industrie du chocolat, surtout en ce qui a trait aux conditions de vie et de travail des producteurs africains. De nombreux reportages et documentaires ont été diffusés sur le sujet. Il n’y a qu’à (re)visionner l’épisode sur le cacao de la série Netflix Pourri, sortie en 2019.

Mais voici que Samy Manga arrive avec un récit beaucoup plus poétique, personnel et, de ce fait, percutant. Son Chocolaté raconte le parcours d’Abéna, qui, à 10 ans, travaille dans les plantations du Cameroun avec son grand-père. On le voit prendre peu à peu la mesure du désastre de cette culture qui décime autant les forêts que les hommes, femmes et enfants. L’« homme blanc » venu exploiter le travailleur africain et les politiciens locaux corrompus en prennent certainement pour leur rhume dans ce livre.

À mesure qu’Abéna grandit, apprend, part étudier et travailler loin de son village, le récit à la langue fleurie change un peu de ton pour devenir plus informatif et livrer des faits et des chiffres sur l’industrie du chocolat. De grands noms sont égratignés, de fausses promesses d’équité sont éventées et l’exploitation (pour ne pas dire esclavagisme moderne) apparaît au grand jour.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRECHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Séchage de fèves de cacao en Haïti

« Le cacao vient des Amériques, des Mayas, pas d’Afrique, rappelle Samy Manga. La plante a suivi les déplacements des colons. C’est la France qui a amené le cacao en Afrique, qui l’a imposé. Sa monoculture a fait disparaître bien des aliments qui servaient à nourrir les familles. Le cacao n’est pas un aliment qui fait partie de notre alimentation. Il n’est pas consommé sur place », poursuit celui qui habite présentement en Suisse.

Néanmoins, l’Afrique produit aujourd’hui 80 % du cacao dans le monde. Les pays ne récoltent que 6 % des 100 milliards (chiffre de 2021 provenant du Conseil international du cacao) que génère l’industrie, et ce qui revient aux planteurs tourne autour de 2 %. C’est la Côte d’Ivoire qui est la plus investie, avec 40 % de la production mondiale. Là-bas, les deux tiers des emplois y seraient liés, d’après l’émission Pourri.

Lorsqu’on y pense bien, on se rend compte qu’en Occident, le cacao est partout, et en grande quantité. Des produits haut de gamme faits par les chocolatiers aux tablettes de friandises très peu cacaotées du dépanneur, en passant par les pépites des biscuits de supermarché.

« À l’époque des Mayas, le chocolat était céleste. C’était un ingrédient divin, nous raconte l’auteur en visioconférence. C’est devenu d’une vulgarité extrême qui entraîne la surconsommation. C’est urgent qu’on revienne à la modération, à la sobriété. Il faut consommer le chocolat de manière raisonnable. Personne ne va mourir de manger moins de chocolat. L’être humain a été capable d’inventer plein de belles choses. On peut inventer un nouveau rapport avec la vie. On voit bien qu’on est déphasé avec la planète », implore celui qui se qualifie d’« écopoète ».

C’est d’abord à Genève que le livre est sorti. Samy Manga a aussi participé au Salon du livre de Bruxelles. Des gens de l’industrie ont acheté son autofiction. « À partir du titre, les lecteurs pensent d’abord que c’est un livre de recettes. Je m’amuse à leur dire ne de pas lire le sous-titre, qui pourrait les décourager. »

PHOTO FOURNIE PAR ÉCOSOCIÉTÉ

Samy Manga est l’auteur de Chocolaté.

Au cours de ma recherche, j’ai découvert l’ignorance du consommateur, mais aussi une certaine servitude. Les gens sont mal informés. Ils ne sont pas forcément de mauvaise foi. Ils ne savent tout simplement pas.

Samy Manga, auteur de Chocolaté

Le début d’une prise de conscience

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Les artisans dont les tablettes sont vendues à la boutique État de choc ont une politique de traçabilité.

Le fameux mouvement « de la fève à la tablette » est justement né de ce désir de traçabilité du cacao, d’un regain de respect pour ce précieux produit et ceux et celles qui en sont les gardiens et gardiennes.

À la boutique État de choc, ouverte il y a bientôt cinq ans, la directrice Maud Gaudreau constate que les gens posent de plus en plus de questions. « Mais ils en sont encore à l’étape de se renseigner sur l’origine pour des raisons avant tout gustatives. »

Pour faire leurs confiseries, leurs cocos de Pâques, leurs tablettes, etc., les chocolatières d’État de choc n’utilisent que du chocolat de couverture fait localement à partir de la fève de cacao par les entreprises Monarque et Qantu, dont la traçabilité est impeccable. C’est une chose très rare, la majorité des chocolatiers du monde faisant affaire avec de plus gros acteurs du milieu, comme, dans le meilleur des cas, Valrhona, ou Barry Callebaut, un géant qui a été fortement critiqué dans le livre, mais pas autant que Nestlé, Cargill et Lindt.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Lydie et Gogbeu Ouehi entretiennent des liens avec les producteurs en Côte d’Ivoire pour tenter d’améliorer leurs conditions.

À Montréal, on a aussi vu arriver Amango, une chocolaterie tenue par un couple d’origine ivoirienne, Lydie et Gogbeu Ouehi. Anciens travailleurs du cacao, les Ouehi ont voulu améliorer le sort de ceux qui sont restés en Côte d’Ivoire et travaillent dans les pires conditions.

Lisez notre article sur Amango

Pour encourager des structures plus équitables et pour limiter son empreinte carbone, entre autres, Catherine Goulet a plutôt choisi de s’approvisionner en Amérique centrale et en Amérique du Sud. Les produits de son entreprise Avanaa sont faits à partir de cacao acheté en Équateur, en Colombie et en République dominicaine, entre autres. Elle a visité les plantations qui la fournissent.

« D’après mes connaissances, la culture du cacao y est très différente. Les terres sont plus petites et ce n’est pas autant de la monoculture qu’en Afrique. Les systèmes implantés en Afrique sont pensés pour du grand volume, pour les multinationales. Je ne voyais pas comment je pouvais m’insérer là-dedans et être certaine des origines, pour la traçabilité. »

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Catherine Goulet dans son magasin de Villeray, en 2017

Des enfants qui travaillent, des adultes qui s’empoisonnent aux pesticides, des sols qui s’appauvrissent d’année en année, je ne voulais pas risquer d’encourager ça.

Catherine Goulet, propriétaire d’Avanaa

Selon Catherine Goulet, les artisans et artisanes comme elle font partie de la solution. Ils sont déjà engagés dans une logique de « moins mais mieux ». « La quantité de chocolat artisanal qu’on va consommer est vraiment inférieure. Il y a beaucoup plus de cacao dans une tablette. Il est de meilleure qualité et il a beaucoup de goût. »

Quelles seraient les autres solutions à cette situation qui nous mène tout droit dans le mur, sur les plans humanitaire et écologique ? demande-t-on à Samy Manga. « On doit vivre ensemble ou mourir ensemble. Tout est voué à changer. En Afrique, il y a une prise de conscience de la jeunesse africaine. Et si les pays africains décidaient de se rebeller et d’arrêter de vendre leur cacao ? Si on continue de se laisser exploiter, on est complices aussi. Ça prend de l’autodétermination africaine. »

Chocolaté – Le goût amer de la culture du cacao

Chocolaté – Le goût amer de la culture du cacao

Écosociété

136 pages