La distorsion fait partie de notre système électoral. Mais elle n’a sans doute jamais été aussi énorme. Et ça devrait nous inquiéter.

Commençons par la distorsion la plus évidente : le Parti conservateur, avec autour de 13 % des voix au Québec, n’a aucun député à l’Assemblée nationale. On a beau reculer jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, jamais un parti avec un tel pourcentage du vote populaire ne s’est retrouvé sans siège à l’Assemblée nationale.

Le Bloc populaire, avec 15 %, a tout de même obtenu quatre députés en 1944 au Parlement fédéral. Ça ne représentait pas sa force véritable, mais du moins, il existait comme législateur.

Au Québec, le Ralliement créditiste, le bref Parti national populaire, l’Action démocratique du Québec ont tous obtenu un siège avec moins de 10 % des suffrages. Québec solidaire n’avait obtenu que 3,8 % des voix au Québec en 2007 quand Amir Khadir a été élu. Et avec 7,6 % des voix en 2014, le parti comptait trois députés.

Il s’en trouve sûrement pour se réjouir de ne pas voir un parti réputé « extrême » faire son entrée à l’Assemblée nationale. Mais premièrement, la campagne d’Éric Duhaime, si elle était campée franchement à droite, n’est pas allée sur le terrain de l’extrême droite à l’européenne, il s’en faut de beaucoup. Et deuxièmement, le système « unilatéral à un tour » de style britannique qu’est le nôtre a le mérite d’écarter les extrêmes… mais 13 %, ce n’est plus marginal. Passé 10 %, un parti devrait accéder au seuil de la respectabilité et avoir une voix dans la législature, ne serait-ce qu’une.

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Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

Le Parti québécois, qui a obtenu un peu plus de votes que le Parti libéral, se retrouve avec seulement trois députés. Ce n’est pas beaucoup plus acceptable, mais encore là, le chef sera présent, avec deux députés (et non des moindres). Paul St-Pierre Plamondon a raison de dire que « quelque chose cloche » dans le système.

Tandis que Québec solidaire en a une dizaine avec le même soutien populaire.

Ce qu’on perd en représentativité, on le gagne en stabilité, bien entendu. C’est la logique du système, c’est sa justification. et à voir ce qui se passe dans les pays qui connaissent un système opposé – Italie, Israël –, on ne peut pas nier que c’est un solide argument pour le statu quo.

Mais cette fois, c’est trop. Ces élections font toucher à une limite acceptable démocratiquement.

Éric Duhaime a tenu un discours responsable lundi ; il aurait facilement pu tenir des propos amers et cultiver le ressentiment de tous ses supporteurs dont la voix ne sera pas entendue dans le Salon bleu. D’autant qu’il a obtenu l’appui non seulement des électeurs de droite déçus de la CAQ, mais aussi de plusieurs « antisystème », qui ne croient pas aux institutions.

Au contraire, après avoir brièvement mentionné cette distorsion, il a tenu un discours constructif. Parti littéralement de rien, ridiculisé, associé à un extrémisme anti-sanitaire et au complotisme, il a mené ce parti en deux ans à ce résultat impensable l’an dernier encore. Il méritait, et ses électeurs aussi, d’avoir un représentant au moins. Qu’importe : ce n’est que la première période, la lutte continue, a-t-il dit.

Les libéraux, quant à eux, vivent le phénomène opposé. Ils obtiennent à peu près exactement la proportion de sièges à l’Assemblée nationale qui correspond à leur soutien populaire – un peu plus, en fait. Tout ça grâce à la concentration régionale de leurs appuis.

Je sais que c’est comme un coup d’épée en plastique dans l’eau politique, écrire sur les distorsions du système électoral. Mais rendu là, on ne peut plus faire semblant. Il faut au moins un élément de proportionnelle pour corriger minimalement les distorsions.

François Legault l’avait promis (comme Justin Trudeau). Il a fait concocter un projet de loi injectant la proportionnelle modérée… projet vite abandonné.

Aujourd’hui, il prétend que le sujet n’intéresse que « les intellectuels ».

M’est avis qu’on va se retrouver sous peu avec un nombre incroyable d’« intellectuels », tous partis confondus.