François Legault veut faire un deuxième mandat et peut-être même un troisième, si sa santé le lui permet. Mais déjà, il invite la relève à se faire valoir pour la suite.

« On va voir comment le leadership de chacun et chacune évolue. C’est important que ces personnes-là qui penseront à être leader aient du leadership », a-t-il répondu en entrevue éditoriale lundi matin.

Quand il a fondé la Coalition avenir Québec (CAQ) en 2011, François Legault disait revenir en politique pour une décennie.

En décembre 2019, une année après sa victoire, il confiait à La Presse Canadienne vouloir solliciter un deuxième mandat puis quitter son poste à la mi-parcours. Vers 2024, donc.

De toute évidence, il a changé d’idée.

N’empêche que dans le secteur privé, les chefs d’entreprise préparent leur relève longtemps avant leur départ. M. Legault commence-t-il à le faire ?

« Ça ne marche pas comme ça en politique », dit-il. Les gens arrivent et s’en vont plus rapidement dans ce métier. Des personnes méconnues peuvent rapidement se révéler, a-t-il ajouté en faisant référence aux nouveaux candidats.

En coulisses, des élus s’activent déjà à faire cette preuve. Avant de faire le saut pour la CAQ, l’ex-journaliste Martine Biron écrivait ceci au sujet de Geneviève Guilbault : « [Elle] a commencé à tâter le pouls auprès de conseillers pour préparer sa future course à la direction du parti, ce qui n’a pas été bien reçu. »

Durant l’entrevue, mon collègue Tommy Chouinard a posé une question sur Sonia LeBel. Durant la campagne, M. Legault a affirmé ce qui suit à son sujet : « C’est une de nos leaders dans l’équipe de la CAQ », puis lui avait dit directement : « T’as ta gang, c’est correct »…

Que faut-il en comprendre ?

« Sonia, c’est un leader, un leader positif. Je suis chanceux de l’avoir », a répondu M. Legault lundi, sans vouloir en dire plus.

L’enjeu est de taille. En coulisses, c’est peut-être l’avenir du nationalisme québécois qui se joue.

J’essaie habituellement de ne pas poser de questions hypothétiques aux chefs sur leur avenir. Par exemple, que feront Dominique Anglade et Paul St-Pierre Plamondon au lendemain des élections ? Ils refusent avec raison de répondre.

Parce que ça ne dépend pas d’eux – c’est aux citoyens de voter et aux militants du parti de réagir. Et parce que c’est ingrat. Leur demander d’évoquer leur défaite, c’est court-circuiter le choix des électeurs et les dépeindre à l’avance en perdants.

Mais avec M. Legault, c’est différent. Il est le fondateur de la CAQ. Et même si le parti s’est développé une base militante, elle gravite encore beaucoup autour du chef, qui choisit d’ailleurs lui-même les candidats. On l’a constaté au dernier congrès du parti à Drummondville – la culture du débat y reste polie et timide…

M. Legault veut mettre fin au débat entre indépendantistes et fédéralistes. Par quoi le remplacerait-il ? Quelle est la principale valeur que la CAQ devrait défendre à long terme ?

Sa réponse m’a surpris : « l’éducation ».

Vrai, c’était la « priorité absolue » dans le manifeste fondateur du parti. N’empêche que tous les partis disent valoriser l’éducation.

Dans sa réponse, M. Legault n’a pas beaucoup précisé sa vision de l’éducation. Il mise avant tout sur le diagnostic des troubles d’apprentissage durant la petite enfance, grâce aux maternelles 4 ans et à l’ajout de personnel. Très bien, mais ça ne ressemble pas à une valeur fondatrice. À une idéologie qui démarque la CAQ et l’inscrit de façon distincte sur l’échiquier politique.

À la demande de Jean Charest, Claude Ryan avait rédigé en 2002 un petit livre sur les valeurs libérales. Difficile de savoir à quoi ressemblerait un tel exercice pour la CAQ, parti arc-en-ciel à ses débuts avant d’épouser le bleu pâle avec son virage nationaliste à la fin 2015.

La question se pose d’autant plus qu’avec le temps, la démographie du Québec changera. Le poids du vote nationaliste pourrait diminuer à cause de l’immigration et des jeunes, qui semblent moins attachés à la défense du français – reste à voir si leur attitude changera en vieillissant.

Le retour du nationalisme plus conservateur pourrait n’avoir été qu’une période transitoire.

Derrière son front commun « Québec d’abord », la CAQ compte une aile nationaliste et une autre des « vraies affaires » qui n’est pas si différente des libéraux.

Par exemple, Eric Girard a déjà été candidat conservateur au fédéral pour Stephen Harper, Jean Boulet a milité au Parti libéral du Canada et Geneviève Guilbault est une ex-employée politique du gouvernement Charest. Sans oublier Sonia LeBel, qui s’était vantée d’avoir repris l’entente de Philippe Couillard avec Justin Trudeau sur le mode de nomination des juges. Dans le coin nationaliste, Simon Jolin-Barrette cachait mal sa déception face à ce compromis imparfait. Lui fait partie des nationalistes ambitieux. Comme l’ex-péquiste Bernard Drainville, dont l’arrivée n’a pas fait que des heureux à l’interne.

Bien sûr, tous les candidats adaptent leurs idées aux sondages. Ils pourraient donc « évoluer », comme on dit…

Mais dans quel sens M. Legault voudrait-il les pousser ? Avec sa réponse prudente sur les valeurs caquistes, il ne semble pas vouloir trancher ce débat. Pas ouvertement, du moins.