N’allez pas vous battre dans les autobus, ça ne vaut pas la peine. Peu importe l’intensité des escarmouches, François Legault ne changera pas d’idée⁠1. La réforme du mode de scrutin, à ses yeux, c’est fini.

Après avoir trahi sa parole et renié sa promesse de remplacer notre vieux système⁠2, le chef caquiste a déjà payé le prix. Un prix très faible, comme le prouve sa réélection.

M. Legault en est désormais convaincu : ce système qui lui a donné sa victoire écrasante, il est excellent, même formidable…

Avant d’aller plus loin, un petit retour sur les résultats.

M. Legault a réussi un exploit. Après un premier mandat marqué par sa difficile gestion de la pandémie, il a augmenté son nombre de votes, de 37 % à 41 %.

Historiquement, un appui de 40 % correspond au seuil pour obtenir une majorité. Avec un tel résultat, la CAQ aurait pu gagner n’importe quelle élection depuis 2003. Ce taux de votes est d’autant plus impressionnant que M. Legault devait défendre son bilan et qu’il affrontait quatre formations ayant des chances d’élire un député. Tandis que leur vote a été dilué, le sien a augmenté.

Méfiez-vous des calculs simplistes. Il est normal qu’un écart subsiste entre le pourcentage de votes et de sièges. C’est le prix à payer pour la représentation régionale. La question est de savoir si cet équilibre est brisé.

Deux exemples montrent que oui.

D’abord, le nombre disproportionné de députés caquistes. Il y a une différence entre une majorité et une hyper-extra-giga majorité de 90 députés.

Que la CAQ ait 65 ou 90 députés ne change pas tant son pouvoir. Une majorité reste une majorité. C’est plutôt l’opposition qui s’affaiblit. Le gouvernement caquiste sera sous faible surveillance. Les partis se partageront un temps de parole et des budgets de recherche limités. En forçant un gouvernement à rendre des comptes, on prévient ses dérapages. Même les partisans caquistes devraient le reconnaître : cela n’augure rien de bon pour la démocratie.

L’autre déficit se trouve dans le partage des votes entre les partis de l’opposition.

Regardez ce tableau.

Un vote pour les libéraux compte sept fois plus que pour les péquistes et deux fois plus que pour les solidaires.

Pas surprenant que seuls les libéraux s’opposent à adopter un mode de scrutin proportionnel mixte⁠3. Même quand ce système les désavantage, comme en 1998, ils se disent que le pouvoir finira par leur revenir grâce à la loi de l’alternance.

Le poids inégal des votes n’est pas l’unique problème de notre système. Il y en a un autre : la prime au clientélisme. Un parti dont le vote est concentré géographiquement est avantagé. Cela incite à adopter son message à un segment particulier de l’électorat au lieu de parler aux Québécois en général. Les libéraux l’ont compris. Avec 75 % de leurs députés dans l’île de Montréal, plus que jamais, ils sont le parti des allophones et des anglophones.

Changer un mode de scrutin équivaut à altérer les règles du jeu. Cela ne peut pas être fait par un seul parti. Sinon, n’importe quel gouvernement pourrait truquer le système à son avantage.

Pour éviter ce problème, on peut adopter la loi avec une vaste majorité, qui inclut au minimum le parti au pouvoir et l’opposition officielle. Impossible en ce moment. Avec les libéraux et les caquistes, le blocage est double.

On pourrait le contourner en demandant aux citoyens de trancher par référendum. Ce ne serait pas gagné d’avance. Cet exercice a été mené quatre fois dans d’autres provinces canadiennes et le camp du Non a toujours gagné⁠4.

M. Legault en a moins le goût que jamais. Avec 90 députés, son caucus sera rempli de gens qui doivent leur siège au mode de scrutin. Le modifier équivaudrait pour eux à perdre leur boulot. Ils se battront contre. Le chef caquiste peinera déjà à gérer les ambitions déçues de son caucus. Il ne s’ajoutera pas un problème pour un dossier auquel il ne croit plus.

Un compromis différent est à prévoir. J’ai l’impression que les caquistes proposent plutôt de réformer le fonctionnement du Parlement.

En 2020, ils avaient déposé un document en ce sens. Parmi les propositions : baisser le seuil de votes et de députés requis pour reconnaître un parti, faciliter les comparutions de sous-ministres et patrons de sociétés d’État et créer un directeur parlementaire du budget pour offrir des analyses économiques indépendantes. D’autres aspects auraient nui à l’opposition, ce qui a tué le projet. Mais le gouvernement Legault n’aura pas le choix de le raviver.

Sans remplacer la réforme du mode de scrutin, cela en atténuerait les inconvénients.

1 Pour ceux qui n’ont pas compris la référence, M. Legault avait dit ceci à Radio-Canada le 4 septembre : « Il n’y a personne qui se bat dans les autobus au Québec pour changer le mode de scrutin. […] Ça n’intéresse pas la population, à part quelques intellectuels. »

2. Lisez l’entente conclue en mai 2018 sur la réforme du mode de scrutin

3. Voici un résumé du mode de scrutin proposé dans le défunt projet de loi caquiste :

  • Il y aurait encore 125 élus. Par contre, le nombre de circonscriptions chuterait à 80. Elles seraient ainsi plus grandes. Les 40 autres députés seraient élus à partir d’une liste.
  • Les Québécois voteraient donc deux fois.
  • Premier vote : pour un député de circonscription élu sous la formule actuelle.
  • Deuxième vote : pour un député de liste élu par un scrutin proportionnel dans une des 17 régions administratives.
  • Pour élire un député dans une liste, un parti devrait récolter un minimum de 10 % de votes sur le plan national.

4. En fait, le camp du Oui a obtenu 57 % des votes en 2005 en Colombie-Britannique. Mais puisqu’une majorité de 60 % était requise, le Non a gagné.