Quoi que l’on pense de la déroute du Parti libéral du Québec, on doit reconnaître que le parcours de Dominique Anglade en est un d’exception.

Mine de rien, la cheffe du PLQ, première femme noire de l’histoire du Québec à être candidate au poste de première ministre, a fracassé plusieurs plafonds de verre.

Mais comme le soulignait son amie Martine St-Victor, stratège en communication, la chose est passée presque inaperçue.

« Depuis son arrivée à la tête du PLQ et depuis le début de cette campagne électorale, où sont les grands textes d’opinion signés par des féministes notoires du Québec, applaudissant le symbolisme historique de la présence de Dominique Anglade dans cette élection ? » 1

S’il est vrai que les médias en ont fait peu de cas, Dominique Anglade n’a pas non plus misé là-dessus pour se distinguer de ses adversaires. Même si elle est la seule femme cheffe en lice contre quatre hommes et la première Québécoise issue d’une minorité racisée à aspirer aux fonctions de première ministre, elle n’a pas d’emblée mis la chose de l’avant comme l’avait fait une Valérie Plante lors sa première campagne électorale en se présentant comme « l’homme de la situation ».

Pourquoi ?

En entrevue éditoriale, Dominique Anglade répond avec beaucoup de prudence, comme si elle était bien consciente d’avancer sur un plancher jonché d’éclats de verre.

« C’est de l’avant quotidiennement. C’est ma vie. C’est visible ! », dit-elle.

Son identité et son parcours viennent nécessairement teinter les propositions qu’elle met de l’avant. Ce n’est pas un hasard si l’une de ses premières prises de position à titre de cheffe du PLQ concernait les garderies et le droit à un service de garde, qui devrait être garanti comme le droit à l’éducation, croit-elle.

« Ce n’est pas normal qu’en 2022, au Québec, il y ait des femmes qui aient moins de droits que leur mère ! »

Ce n’est pas un hasard non plus si ses prises de position inclusives sur l’immigration sont radicalement différentes de celles d’un François Legault. « Rappelez-vous une chose : j’ai quitté la CAQ pour ça. À cause de ces enjeux qui venaient directement me chercher. Ça ne me rentre pas dans la tête, cette manière de diviser sans arrêt les Québécois. »

Dans le sprint final de sa campagne, la cheffe du PLQ ose davantage jouer ce qu’on appelle la « carte féminine ». L’expression la fait tiquer. « Pour moi, ce n’est pas jouer une carte. C’est faire de la politique autrement, à ta manière. Moi, si j’ai envie de m’habiller en rose pour un débat, je vais m’habiller en rose. »

C’est vrai qu’on ne dit jamais d’un homme politique qu’il joue la « carte masculine » s’il porte un complet marine. Comme les règles du jeu politique ont été définies par les hommes, inutile pour eux de brandir quoi que ce soit. Le jeu de cartes au complet leur appartient…

À moins d’une semaine du scrutin, Dominique Anglade vient de lancer une campagne publicitaire dont le slogan est « Tu votes libéral ? Oui, madame ! ». Le slogan récupère avec une pointe d’humour le refus de François Legault de nommer Dominique Anglade en réponse à une question, le jour du déclenchement des élections, l’appelant plutôt « cette madame ».

IMAGE TIRÉE DU COMPTE TWITTER DE DOMINIQUE ANGLADE

La campagne publicitaire lancée par l’équipe de Dominique Anglade à moins d’une semaine du scrutin

Si la cheffe libérale tente de mettre de l’avant un leadership féminin et veut que l’on se préoccupe davantage d’enjeux qui touchent les femmes et les minorités, si elle croit à la nécessité de nommer le racisme systémique pour mieux le combattre, on ne la verra pas trop personnaliser les enjeux liés au sexisme ou au racisme. Comme si elle était bien consciente que de surligner le fait qu’elle est une femme noire dans un monde d’hommes blancs pouvait lui nuire.

Elle a bien raison d’être prudente. On n’a qu’à se rappeler les réactions outrées de certains commentateurs lorsqu’elle a déclaré, lors de la course à la direction du PLQ en 2019, que les Québécois « sont absolument prêts à élire une femme noire » 2.

Même si elle ne faisait que répondre à une question posée lors d’un point de presse, on lui a reproché d’« avancer l’argument racial », de se victimiser et de brandir la couleur de sa peau comme une qualité plutôt que de parler de ses idées.

Dominique Anglade n’avait absolument rien fait de tout ça. Et Denise Bombardier, qui avait écrit une chronique incendiaire à ce sujet, a finalement été blâmée par le Conseil de presse « pour avoir rapporté et publié une information inexacte » 3.

Malheureusement, les blâmes passent et les stéréotypes restent. Peu importe ce qu’elles font, les femmes en politique, a fortiori si elles sont racisées, sont souvent jugées plus sévèrement que les hommes. C’est toujours trop ou pas assez…

Elles dansent ? Sacrilège !

Elles rient ? C’est pas sérieux.

Elles haussent le ton ? Trop agressives !

Elles baissent le ton ? Pas assez combatives !

Elles sont d’origine haïtienne, ont travaillé fort toute leur vie et ont bien géré leurs avoirs ? Elles ne sont pas représentatives de « l’immigrante haïtienne de base représentant des personnes qui ont des salons de coiffure sur Saint-Michel » (dixit Luc Ferrandez).

Comme l’avait dit Pauline Marois dans un mot de félicitations envoyé à Dominique Anglade au moment de briser un plafond de verre en devenant cheffe du PLQ : « Le chemin vers le pouvoir est long et semé d’embûches, encore plus pour les femmes, mais quand l’une de nous gagne, ce sont toutes les femmes qui gagnent. »

Et quand l’une d’elles s’écorche les pieds en dansant sur des éclats de verre, ce sont toutes les femmes qui devraient la remercier.

1. Lisez le texte de Martine St-Victor 2. Lisez la chronique « La couleur de peau » 3. Consultez la décision du Conseil de presse