Pour bien des gens, une soirée électorale, c’est un beau moment de télé, une soirée à la fois intéressante et divertissante. Pour un candidat, c’est autre chose.

Soirée électorale, novembre 2013. Ma première campagne à la mairie, la première campagne d’Action Gatineau. Dès que les bureaux de vote ferment, militants, bénévoles, amis, familles, candidats aux postes de conseiller arrivent peu à peu.

Nous avons installé notre quartier général à l’arrière d’un restaurant, dans ce qui sert normalement d’entrepôt. Mes principaux organisateurs sont là, dont fait partie ma femme, une précieuse conseillère politique. Nous avons une petite table où surchauffent quelques ordinateurs. Nous sommes branchés sur le site de la Ville où apparaissent peu à peu les résultats à la mairie et dans les quartiers.

Pour le parti, ça va mal dans les districts, mais bien à la mairie. Nous avions prévu le contraire, le dernier sondage me donnait perdant par 20 % !

Un membre de l’équipe me donne les noms de nos candidats en avance, il y en a peu. J’ai deux versions d’un discours préliminaire devant moi. Une pour la victoire, l’autre pour la défaite. Une troisième se forme lentement, victoire incomplète. Mon équipe m’alimente, je griffonne nos meilleures idées pour adapter à la situation le discours que je ferai quand les résultats seront clairs.

PHOTO ÉTIENNE RANGER, ARCHIVES LE DROIT

Assermentation du nouveau maire de Gatineau, Maxime Pedneaud-Jobin, début novembre 2013

Le destin d’une partie de mon équipe de bénévoles se joue également ce soir. Ils sont là par conviction, mais le maire aura besoin d’un cabinet, leur vie aussi pourrait changer.

Même les bénévoles sont tendus. Parmi eux, il y a ceux, et ils ne sont pas rares, qui ont pris leurs vacances annuelles pour faire campagne. Vous avez bien lu. Ils ont deux ou trois semaines de vacances par année et ils les consacrent à une élection. Ils le font par idéal, par conviction, parce qu’ils croient en leur candidat. Avec bien d’autres, ils ont travaillé des centaines d’heures pour la cause.

Avant même la responsabilité qui vient avec une fonction politique, c’est le fait de porter sur nos épaules les espoirs d’autant d’idéalistes qui est la plus grande source de pression.

Les premiers résultats à la mairie sont très bons, on soupçonne qu’ils viennent du quartier où je suis né et où grandit ma famille. Je refuse de me réjouir.

Dominic, bénévole maniaque de politique et de chiffres, me dit de temps à autre : « Tu mènes en moyenne par X votes par boîte de scrutin. » Le chiffre augmente lentement. « C’est maintenant une avance de X votes par boîte. » Plus tard : « À partir de maintenant, il doit te dépasser par X votes dans toutes les boîtes qui restent pour pouvoir te rattraper. » Un maniaque, je vous dis.

Et enfin : « C’est mathématique, il ne peut plus te rattraper. » Il me tend la main et ajoute : « Permets-moi d’être le premier à t’appeler monsieur le maire. »

En entendant « monsieur le maire », je comprends que ma vie vient de changer. Ma femme sort de son rôle de conseillère… et m’embrasse.

Toute l’équipe se fait l’accolade, certains pleurent, tout un univers s’ouvre devant nous. On me tend un téléphone, c’est mon grand frère qui m’appelle de Moscou. Émotion.

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Discours du maire lors de l’assermentation du conseil municipal de Gatineau, en novembre 2013

Dans la grande salle du restaurant, maintenant pleine à craquer, les gens font le même calcul que nous et la salle explose de joie. C’est l’euphorie. Je comprends que, malgré des défaites dans les quartiers, l’essentiel pour eux est que nous entrions au conseil. Nous franchissons une première étape cruciale pour améliorer notre ville.

Les militants les plus aguerris, comme ma sœur, sont restés dans les bureaux de scrutin jusqu’à ce que chaque bulletin soit bien compté. Ces valeureux bénévoles ratent toujours les moments forts des soirées électorales. Elle apprendra ma victoire seule dans sa voiture.

Mon cerveau fonctionne à toute allure. Je pense à ce que je dirai, dans quelques instants, aux militants, aux gens de Gatineau, aux candidats élus ou défaits, à nos adversaires avec qui je devrai travailler.

L’équipe me le rappelle, il faut souligner la victoire, mais avoir de la hauteur.

Les journalistes ne nous ont pas attendus à l’hôtel de ville comme prévu, ils sont arrivés en masse au QG. Nous improviserons le point de presse dans l’entrée du restaurant, mais je dois d’abord m’adresser aux militants.

Malgré ma joie, c’est un des discours les plus difficiles qu’il m’aura été donné de faire. Oui, nous avons gagné la mairie, mais j’ai là, à quelques mètres devant moi, des candidats défaits qui pleurent à chaudes larmes. Ce sont des compagnons d’armes avec qui j’ai fondé le parti et fait face à nos premières grandes tempêtes. Action Gatineau entre au conseil, mais la bataille a été dure. Rarement autant d’émotions contradictoires m’auront-elles habité.

Ce soir, lors de leur soirée électorale, les chefs et les candidats vivront des émotions similaires. Je penserai à eux tous, sans exception.