La campagne de la Coalition avenir Québec (CAQ) n’était finalement pas aussi mauvaise qu’on le prétend. Sinon, elle n’aurait pas récolté 41 % des voix, encore plus que les 37 % de 2018.

Depuis Robert Bourassa, aucun premier ministre n’avait remporté deux mandats majoritaires consécutifs. La CAQ a perdu un seul siège, face à Paul St-Pierre Plamondon dans Camille-Laurin.

Peut-être que la population se passionne moins qu’on ne le croit pour l’épluchage des comptes Facebook des candidats, les vidéos TikTok maladroites, les choix d’adjectifs non consensuels et les autres controverses périphériques qui marquent les campagnes électorales pour le pire et pour le meilleur.

Les électeurs s’intéressent davantage au portrait d’ensemble. Ils ont eu l’impression que la CAQ défendait le nationalisme, essayait de colmater les brèches en santé avec un plan crédible, détenait une certaine compétence économique et leur offrait un répit fiscal. C’est d’ailleurs un commentaire que j’ai souvent entendu : l’équipe compte de nombreux candidats ayant l’étoffe pour devenir ministres.

Même si Gabriel Nadeau-Dubois était solide aux débats, sa plateforme suscitait encore la méfiance. Même si Paul St-Pierre Plamondon s’est démarqué par sa rigueur et sa hauteur, il reste pris dans l’impasse constitutionnelle. Et même si Dominique Anglade s’est escrimée à ressusciter le Parti libéral, la marque rouge est encore entachée par les compressions et les scandales éthiques.

Enfin, il y a Éric Duhaime. Grâce à lui, le Parti conservateur a connu une impressionnante progression. Mais en montant si vite, il s’est cogné la tête sur le plafond. La plupart de ceux qui ne votent pas pour lui en feraient leur dernier choix. Son discours polarisant en fait plus une force de contestation que de changement.

Avec 41 % des votes, la CAQ aurait pu gagner n’importe quelle des six dernières élections. Mais son triomphe est gonflé par l’aide involontaire de l’opposition, qui s’est presque parfaitement divisé le vote.

Quand on analyse le résultat à la loupe, des détails troublants apparaissent.

Ensemble, les péquistes et les conservateurs ont obtenu près de 29 % des votes. Cela leur vaut 2 % des sièges.

Les péquistes ont engrangé un peu plus de votes que les libéraux. Les sièges au moment d’écrire ces lignes : 3 pour le Parti québécois et 22 pour le Parti libéral.

Ce déficit démocratique devrait gêner M. Legault, fossoyeur de la réforme du mode de scrutin.

Son avance sur ses adversaires est la plus vaste depuis Robert Bourassa en 1985 et en 1973. Mais dans les années 1980, avec le bipartisme, on anticipait que le pendule reviendrait dans l’autre direction. Et dans les années 1970, on assistait à un changement de cycle avec l’Union nationale qui s’effondrait et le Parti québécois qui s’apprêtait à la remplacer.

Cette fois, c’est différent. Une nouvelle ère commence, celle du multipartisme. Et plus que jamais, notre mode de scrutin sent mauvais.

Après deux victoires caquistes, on peut bel et bien parler d’un changement de cycle.

À chaque génération, un nouveau parti reconfigure l’échiquier politique.

Pour celle de la Grande Dépression et de l’après-guerre, ce fut l’Union nationale. Pour la Révolution tranquille, ce fut le Parti québécois. Les X ont eu l’Action démocratique du Québec, mais elle est morte après une ascension trop rapide en 2007. La CAQ l’a remplacée, et elle solidifie son règne.

Son arrivée n’est toutefois pas attribuable à la nouvelle génération. Elle résulte plutôt de baby-boomers comme François Legault qui ont abandonné le rêve de l’indépendance pour se réfugier dans un nationalisme défensif. Avec des demandes théâtrales à Ottawa qui mèneront, ils le savent, aux habituels échecs et compromis amers.

La CAQ conserve la social-démocratie québécoise avec un discours de gestionnaire et un penchant pour le marketing qui cible les « contribuables », un chèque à la fois.

En fin de campagne, M. Legault a promis de « faire de la place » aux oppositions. C’était surtout une façon de dire : n’ayez pas peur, je n’abuserais pas de ma majorité. Il l’a répété lundi soir dans son discours de victoire. Son message ne s’appuyait toutefois sur aucun engagement concret.

Peu après son élection en 2018, il promettait aussi d’être humble et à l’écoute des gens. Mais dans les dernières semaines, il s’en est pris à Montréal et aux intellectuels, entre autres. D’ailleurs, on a rarement vu un parti gagner avec si peu de votes dans la métropole. Et avec sa victoire dans Rouyn-Noranda–Témiscamingue, il sentira que déplaire aux écologistes ne lui nuit pas.

Le premier défi de M. Legault sera de réellement tendre la main à ses rivaux et d’écouter leurs critiques constructives.

Son deuxième défi sera de gérer l’abondance. De nombreux candidats ambitieux ont été élus. Pour composer son conseil des ministres, le choix sera un réel embarras. Les mécontents seront nombreux et M. Legault devra trouver une façon de les occuper.

Enfin, son troisième défi sera de donner un sens plus enthousiasmant à son slogan « Continuons » face à la pénurie de main-d’œuvre, au risque de récession et aux autres écueils à venir.

La politique est cruelle. La CAQ ne pourra pas se contenter de continuer. Car même les plus forts élans finissent par ralentir. Et pour un gouvernement majoritaire aussi, la route peut devenir cahoteuse.