« Il faut avoir les moyens de notre ambition », a répété Gabriel Nadeau-Dubois durant la longue interview éditoriale avec La Presse.

La formule se voulait une critique de ses adversaires, mais elle pourrait être retournée contre lui.

Pour affronter la crise du climat et celle du logement, les caquistes et les libéraux sont d’une prudence suspecte. Leur approche des petits pas ne les mène pas très loin. Mais avec Québec solidaire (QS), c’est le contraire.

L’ambition ne fait pas défaut. C’est dans les moyens que des difficultés se révèlent.

Le climat est un bon exemple. QS taxerait les véhicules polluants avec un bonus-malus. L’idée est fort pertinente. Il y aurait d’ailleurs autant de rabais que de taxes ! M. Nadeau-Dubois permettrait aux régions de la moduler. Un organisme local en serait responsable. Mais qui y siégerait ? Et quelles balises devraient être respectées ?

QS créerait aussi Québec Rail pour développer des liaisons rapides entre des villes comme Gatineau, Montréal, Sherbrooke, Québec et Matane. Là encore, l’idée est excellente. Le parti de gauche a ciblé cinq axes qui appartiennent soit au Québec, soit au fédéral. Pas besoin de construire de nouveaux rails. Mais pour les utiliser, il faudrait négocier avec les exploitants privés comme le CN, réputés pour leur intransigeance. Comment faire ? Et quel sera le coût par passager ? Pas simple, mais au moins, QS essaie.

En logement, les solidaires construiraient 25 000 unités grâce à un programme d’acquisition d’immeubles. C’est plus que les autres partis, et ce ne serait pas de trop non plus – le milieu communautaire voudrait deux fois plus de logements sociaux. Mais le parti de gauche prévoit devoir dépenser seulement 128 000 $ par logement, alors que les projets récents coûtent nettement plus cher.

À sa décharge, de tous les partis, QS a présenté le cadre financier le plus honnête. Il ne gonfle pas les projections de croissance économique et ne pige pas dans la réserve de stabilisation. Il est également transparent – la modélisation de son plan climat et ses calculs fiscaux ont été rendus publics. Mais au final, la facture est salée. Les dépenses hausseraient à terme de 13,2 milliards. Soit 10 fois plus que celles des caquistes et des libéraux.

Je ne veux pas chercher des problèmes aux solutions. Il faut bien commencer quelque part.

QS a le mérite de nommer plusieurs problèmes qui passent trop souvent sous le radar.

Il y a bel et bien un « bris du contrat social » quand des travailleurs doivent recourir aux banques alimentaires. M. Nadeau-Dubois hausserait également le salaire horaire minimum à 18 $ tout en limitant la semaine de travail à 35 heures. Mais quel serait l’effet sur la pénurie de main-d’œuvre ? Sur la viabilité des petites entreprises ? Son enveloppe spéciale de 625 millions sur quatre ans risque de ne pas suffire.

Le débat sur la fiscalité a révélé une déconnexion de la classe politique. Il est frappant de voir le nombre de gens convaincus que la classe moyenne détient un actif net dépassant un million de dollars. Selon Statistique Canada, seulement 5 % détenaient une telle richesse en 2019.

Reste que l’impôt spécial que QS propose soulève de nombreuses questions. Revenu Québec ne peut pas tout faire en même temps. Veut-on ajouter des vérifications pour si peu d’argent ? Avec un actif net de 1,5 million et un taux de 0,5 %, cela ferait 500 $.

M. Nadeau-Dubois est le seul à rappeler que les inégalités de patrimoine sont plus grandes au Québec qu’au Canada – chez nous, le quintile le plus riche détient 508 fois plus d’argent que le quintile le plus pauvre.

Il a raison, les soins aux aînés et la transition énergétique coûteront une fortune et l’argent doit venir de quelque part. Rien de mal à réformer la fiscalité, mais il faut la considérer dans son ensemble. La fin de l’exemption à 50 % du gain en capital (sauf pour la résidence principale) s’ajouterait à l’impôt sur la succession et sur les actifs nets ainsi que sur les revenus dépassant 90 000 $ (trois paliers avec de nouvelles hausses seraient ajoutés). Au Québec, la pression fiscale est déjà supérieure (38,8 %) à la moyenne canadienne (33,4 %) ⁠1. Il pourrait y avoir beaucoup de transport interprovincial avec de telles mesures…

Le discours solidaire se concentre sur la redistribution. Un angle mort demeure : la création de richesse, rarement abordée.

QS devance le Parti québécois et talonne désormais les libéraux dans les intentions de vote. Mais parce que leurs adversaires reculent.

Les solidaires stagnent à environ 16 % d’appuis. Gabriel Nadeau-Dubois a-t-il atteint son plafond ? La croissance passe par des idées concrètes et applicables.

Le parti essaie de larguer de vieilles promesses controversées. Par exemple, la nationalisation des mines et la retraite à 60 ans n’apparaissent plus dans sa plateforme. Le revenu minimum garanti a aussi été rétréci en projet pilote.

Mais QS propose encore de « nationaliser sous contrôle régional » les énergies renouvelables, de créer la société d’État Pharma-Québec et d’instaurer rien de moins qu’un régime public universel, avec une « pension minimale » pour le travail non rémunéré. On ignore l’impact sur les cotisations et le mode de versement. Disons que ce projet est en mode très « bêta »…

Depuis sa fondation en 2006, QS n’a jamais autant détaillé ses idées. M. Nadeau-Dubois a passé près de 90 minutes avec nous à défendre ses engagements sans se défiler. N’empêche qu’il y a des questions auxquelles le parti ne semble pas encore lui-même connaître la réponse.

1. La pression fiscale est le ratio entre les recettes fiscales et le PIB.

Lisez l’analyse de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke