L’autocar caquiste continue son chemin vers le pouvoir, mais en heurtant assez de gros cailloux pour étourdir les passagers et ceux qui essaient de suivre sa trajectoire hésitante.

Rarement a-t-on pu dire en même temps d’un parti deux choses aussi contradictoires : il mène une campagne laborieuse et il est en route vers une victoire écrasante.

À cause de son avance, ses promesses étaient les plus scrutées. Et puisqu’elle était au pouvoir, plusieurs de ses mesures étaient déjà connues. N’empêche qu’on peine à dégager une grande idée de sa campagne.

Sa stratégie consistait à courtiser les contribuables avec des baisses d’impôt. Mais cela s’est fait avec une certaine dissonance.

D’un côté, le chef François Legault annonce qu’une récession pourrait frapper le Québec et que son équipe serait la meilleure pour l’affronter.

De l’autre, son cadre financier prévoit une croissance économique supérieure aux projections du privé, réduit les impôts de 3,5 milliards, pige dans la provision pour risques économiques et freine la baisse du ratio dette/PIB.

Son message : ça ira à la fois moins bien et beaucoup mieux.

En éducation, les caquistes et leurs rivaux avaient plusieurs propositions. Mais elles ne ressortaient pas dans le débat public, car elles étaient techniques et peu contrastées. Il y a bien sûr une exception : les solidaires et péquistes qui voulaient éliminer l’école privée. Leurs chances de victoire étant faibles, cette vieille proposition est passée sous le radar.

La santé n’a pas été ignorée, mais elle a été moins omniprésente que lors des précédentes campagnes. Le ministre sortant, Christian Dubé, a présenté un plan crédible qui prendrait plus d’un mandat à réaliser. C’était toutefois au printemps dernier, et les analyses ont déjà été écrites.

Un court chapitre a été ajouté en septembre : M. Legault construirait des mini-hôpitaux privés offrant des services remboursés par la RAMQ. Et il songe à permettre aux médecins désaffiliés du régime public d’y exercer. Ce renversement annoncé en interview au 98,5 contredit la position que défendait M. Dubé.

En environnement, le gouvernement caquiste a seulement identifié la moitié des réductions d’émissions de gaz à effet de serre pour atteindre sa cible en 2030. On aurait pu croire que le parti présenterait une mesure forte en campagne.

M. Legault a seulement évoqué un vague projet de nouveaux barrages hydroélectriques. Sans l’exclure, Hydro-Québec n’est pas rendue là. Le travail d’analyse technique avec les experts reste à faire.

Une fois de plus, M. Legault a été aidé par la faiblesse de ses adversaires. Si son engagement restait flou, celui des libéraux était carrément irréaliste. Ils voudraient gaspiller de l’énergie afin de produire de l’hydrogène vert, même si le Québec sera en déficit énergétique.

Avec la Fonderie Horne, M. Legault est dans une fâcheuse posture. Il est pris avec les dérogations autorisées par ses prédécesseurs libéraux et péquistes. Son gouvernement veut maintenant réduire les seuils d’arsenic, de 100 à 15 nanogrammes par mètre cube (ng/m3). Mais la Santé publique juge que le taux de 15 ng/m3 serait seulement « acceptable » s’il était transitoire et menait à une réduction finale à 3 ng/m3. La fonderie est encore loin de cette trajectoire. C’est un échec multipartisan, mais en réagissant de façon sanguine, le chef caquiste a donné l’impression de défendre la multinationale. Ça ne l’aide pas.

La position caquiste sur l’adaptation à la crise climatique était aussi difficile à suivre. Les municipalités réclament un « pacte vert » de 2 milliards. M. Legault a d’abord refusé, car son plan prévoit déjà selon lui des sommes suffisantes. Il a ensuite indiqué aux villes que la porte n’était pas fermée. Mais l’ouverture n’est pas très grande… Avec l’ouragan Fiona, la nature a pourtant rappelé qu’elle faisait partie des vraies affaires et que l’adaptation était une nécessité pour réduire le coût des tempêtes extrêmes.

La CAQ a souvent trébuché toute seule.

Détourner une conversation privée avec le veuf de Mme Echaquan, la rebaptiser « madame Joyce » et prétendre que la discrimination systémique n’existe plus à Joliette, ce n’était pas la meilleure façon de parler des Premières Nations. M. Legault s’est rattrapé vendredi en promettant une loi pour protéger les langues autochtones.

L’immigration demeure aussi un terrain glissant. À la limite, on pourrait dire que le chef caquiste s’est échappé en impromptu de presse quand il a fait un lien entre l’immigration et la violence. Reste qu’il y a une limite au nombre d’excuses. Son ministre sortant du Travail et de l’Immigration a dit de grossières faussetés sur les immigrants qui ne « travaillent pas ». M. Legault n’a pas calmé les esprits en prétendant qu’accueillir plus de 50 000 immigrants serait « un peu suicidaire » pour la nation. Quelques jours plus tôt, il jurait pourtant au Journal de Montréal ne plus vouloir aborder ce sujet.

Ce n’est pas que son choix de maintenir les seuils à leur niveau actuel soit intolérant. Au contraire, c’est ce que préconisent les experts à qui j’ai parlé il y a quelques mois⁠1. Mais son discours attise inutilement les tensions sociales.

Et si son objectif est de protéger le français, sa stratégie est illogique.

M. Legault dépeint le programme de réunification familiale en menace. La CAQ voudrait que le fédéral empêche une néo-Québécoise de faire venir son mari ou sa vieille mère tant qu’elle n’a pas appris le français. Il briserait des familles sans preuve que cela aiderait significativement le français.

Pendant ce temps, le chef caquiste reste passif face à l’immigration temporaire qui a quintuplé dans la dernière décennie et qui serait de 10 à 20 fois plus nombreuse que les réunifications familiales. Il refuse d’utiliser les pouvoirs actuels pour inciter le fédéral à sélectionner plus de francophones.

Au terme de chaque campagne, on répète les mêmes clichés : tel sujet n’a pas été abordé, les dérapages des candidats ont occulté les enjeux et il manque de projets de société. Souvenez-vous de 2018 : les libéraux promettaient la fin des pailles en plastique et les péquistes parlaient d’une « révolution des lunchs » à l’école.

Ces élections ne sont pas si différentes. La nouveauté, c’est qu’elles révèlent qu’avec notre vieux mode de scrutin et l’éclatement des partis, un chef peut se diriger sans inquiétude vers la victoire après une campagne si ordinaire.

1. Lisez les témoignages d’experts sur l’immigration

Précision :
Une précédente version de cette chronique affirmait à tort que c’est dans un discours écrit que M. Legault a utilisé l’expression « un peu suicidaire ». Nos excuses.