Imaginons un ministre de l’Éducation qui ne connaît pas la différence entre une école primaire et secondaire. Un ministre des Transports confondant un aéroport et une autoroute.

C’est trop gros ?

Dans ce gouvernement, vous pouvez être ministre de l’Immigration et ne pas connaître les faits les plus élémentaires sur les immigrants.

François Legault et tout son entourage ont sauté au plafond en entendant Jean Boulet dire que 80 % des immigrants sont à Montréal et « ne travaillent pas, ne parlent pas français ou n’adhèrent pas aux valeurs de la société québécoise ». Le ministre s’est « disqualifié », a dit François Legault à Midi Info.

Il a sauté au plafond d’abord parce que c’est faux, archifaux. Les immigrants ont à peu près le même taux d’emploi que les Québécois nés ici. Et la vaste majorité parlent français.

Le ministre se base sur quoi pour dire qu’ils « n’adhèrent pas aux valeurs de la société québécoise » ? Ils doivent pourtant passer un test… S’ils sont venus ici, c’est généralement qu’ils ont voté avec leurs pieds pour adhérer à cette société. L’histoire de l’immigration au Québec est largement une histoire de succès, quoi qu’on en dise.

PHOTO ERICK LABBÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

Jean Boulet, ministre de l’Immigration

Mais non, le ministre de l’Immigration lui-même véhicule de fausses informations et renforce les préjugés. Il suinte de tout ça une ignorance profonde, une peur sourde de l’étranger.

Ce ne serait déjà pas acceptable comme candidat de plonger aussi joyeusement dans la piscine des préjugés et des fausses informations.

Mais quand on est ministre, et ministre de l’Immigration, c’est impardonnable. D’autant que ce gouvernement insiste sur la capacité d’accueil, sur la difficulté d’intégrer, sur la menace qui pèse sur le français.

Coudonc, leurs politiques (quotas, apprentissage de la langue en six mois, etc.) sont-elles basées sur des données, ou sur des chroniques anti-immigration du Journal de Montréal ?

Jean Boulet n’est pourtant pas un idiot, loin de là. Il est sans doute parmi les politiciens les plus sympathiques à Québec. Il est depuis son élection un ministre du Travail compétent. Lui-même avocat spécialisé dans le domaine, il était « sur son X ».

Quand il a été question de délester Nadine Girault de l’Immigration, l’an dernier, François Legault a voulu choisir un ministre fiable. Qui de mieux que Jean Boulet ? Un ministre de région (la Mauricie), pour envoyer un message de « régionalisation » de l’immigration.

Pourquoi pas ?

Comme la CAQ veut arrimer l’immigration aux besoins économiques, fusionner Travail et Immigration chez un même ministre, c’était le plan logique.

Mais le ministre (le troisième en quatre ans) a-t-il la moindre connaissance de la réalité immigrante à Montréal ? Et ailleurs ? Est-ce qu’il en a rencontré ? Ou est-ce une masse informe de « capital humain » à « intégrer » ?

On tentera de blâmer une vision des « régions », mais je n’accepte pas ça. Il suffit de se promener un peu pour voir que les gens de toutes les régions du Québec veulent accueillir plus d’immigrants. Le discours anti-immigrant le plus fort vient souvent de quelques chroniqueurs montréalais qui n’ont jamais le moindre mot positif à dire sur l’immigration, cultivent une détestation pour Montréal, sa diversité, et selon qui « y a pas moyen de se faire servir en français à Montréal » – autre mensonge tenu pour vérité scientifique parce que répété assez souvent.

N’allez pas croire que cette « gaffe » était préméditée. Ça date d’une semaine, dans un débat à la radio locale. Et ça ne fait pas du tout l’affaire de François Legault.

Jean Boulet a piteusement présenté ses excuses, disant que ces propos ne reflétaient pas sa « pensée ».

Quelle pensée ? Il faisait des affirmations statistiques, du haut de son autorité de ministre de l’Immigration. Ça n’avait rien d’une opinion. Si le ministre des Finances dit qu’il y a un taux de chômage de 25 % à Québec, il n’exprime pas sa « pensée ». Il trompe les gens.

C’est comme si les peurs et les préjugés refoulés sortaient au grand jour.

La journée avait pourtant bien commencé pour François Legault, à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.

Aller visiter une chambre de commerce pour lui, c’est un peu comme aller faire un tour dans un cégep pour Gabriel Nadeau-Dubois : ça met de bonne humeur.

François Legault était dans sa matière forte à jaser PIB et productivité devant un auditoire réceptif, avec ses ministres économiques. Clair, convaincu, confiant, de bonne humeur.

On lui reproche de ne pas parler d’éducation. Il est d’accord. Mais chaque fois qu’il veut parler de l’augmentation « historique » du salaire des profs, de maternelles 4 ans ou d’orthopédagogie, les médias en font fi. Dans les points de presse, c’est toujours des questions sur l’immigration, ou le troisième lien. Troisième lien, immigration. Immigration, troisième lien.

Vrai.

C’est pourtant bien lui qui dit, comme mercredi, qu’une augmentation des seuils d’immigration serait « un peu suicidaire » pour la « nation québécoise ». Et je ne reviens pas sur tout le reste.

C’est lui qui a nommé Jean Boulet. On est obligé de se demander comment ils parlent d’immigration entre eux, au plus haut niveau, quand le titulaire est aussi mal informé. Est-ce que c’est juste des faux chiffres et des histoires de peur ?

Ce sujet est trop important pour l’avenir du Québec pour être traité avec autant d’incompétence. Si, comme prévu, la CAQ forme le prochain gouvernement, surtout, ne « continuons » pas ça.