(Sherbrooke) Devant la salle pleine de l’amphithéâtre du cégep de Sherbrooke, la députée caquiste n’a pas fait semblant.

« Je sais que je ne suis pas la plus populaire de la salle », a dit Geneviève Hébert, élue en 2018.

Elle a deviné juste. Les étudiants n’en ont que pour la candidate vedette de Québec solidaire, la Dre Mélissa Généreux, ovationnée à répétition.

Nous sommes dans Saint-François, une circonscription qui englobe la partie est de la ville de Sherbrooke, mais qui s’étend au sud jusqu’à la frontière américaine, de Stanstead à Saint-Venant, en passant par Coaticook.

Mme Hébert, ancienne propriétaire de boutique de produits d’allaitement et gestionnaire d’une firme de construction, a remporté Saint-François avec seulement 34,7 % des votes. QS a fini troisième, à 22,7 %, mais à 251 votes des libéraux, deuxièmes.

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Geneviève Hébert, candidate de la CAQ dans la circonscription de Saint-François

Comme chacun sait, les libéraux se sont effondrés depuis. Nul ne le sait mieux que le candidat libéral lui-même, Claude Charron, qui a offert une performance somnolente devant les étudiants, comme s’il avait déjà concédé la victoire et attendait de retourner à ses activités de maire de l’arrondissement de Lennoxville.

« J’ai l’impression que quand tu fais une campagne positive, ça te brime », analyse le candidat.

Où donc iront les 23,3 % de votes libéraux de 2018 ?

Les libéraux sont rendus à la CAQ, dit la CAQ. Ils sont chez QS, dit QS.

Tous les partis auraient voulu recruter Mélissa Généreux. Cette prof à la faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke avait à peine 30 ans quand elle a été nommée à la tête de la Santé publique de l’Estrie, en juillet 2013. Une semaine plus tard, un train fou a fait sauter le centre-ville de Lac-Mégantic et tué 47 personnes…

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Mélissa Généreux, candidate de Québec solidaire dans la circonscription de Saint-François

Tout ce qu’elle savait sur la gestion des catastrophes extrêmes, elle l’avait lu pour se préparer à l’inévitable question d’examen sur le sujet pendant ses études en santé publique. Elle a appris l’importance de ne « pas politiser » ces crises, dit-elle.

Elle a développé une expertise et a été consultée pendant les incendies de forêt en Alberta, puis lors d’inondations majeures. Et même si elle a quitté la fonction en 2019, la pandémie l’a ramenée sur le terrain. C’est son équipe qui décidait de fermer ou d’ouvrir les écoles, qui enquêtait sur la propagation et tentait d’évaluer en même temps le stress ambiant des enfants.

Elle a beau avoir une solide réputation et être efficace en débats, Saint-François ne se limite pas au cégep de Sherbrooke, et la lutte est loin d’être gagnée.

Ce n’est pas un hasard si mercredi soir, Gabriel Nadeau-Dubois est venu encourager les troupes, serrer des mains de militants et faire des appels dans le local de la candidate, rue King.

Après Verdun et même Maurice-Richard, Saint-François est l’espoir de gain numéro 3 pour QS.

« Sortir QS de Sherbrooke »

De l’autre côté de la rivière Saint-François, dans Sherbrooke, c’est la même histoire, mais à l’envers. L’ancien siège de Jean Charest a été pris au Parti libéral en 2018 par Christine Labrie, de Québec solidaire. Mais elle aussi n’a remporté la victoire qu’avec le tiers (34,3 %) des votes ; les libéraux, deuxièmes, sont aux abonnés absents ; et la CAQ, troisième mais de très peu, a désigné une candidate vedette, Caroline St-Hilaire. Et c’est très serré.

L’ancienne députée bloquiste (1997-2012) et ancienne mairesse de Longueuil (2009-2017), qui s’est fait connaître comme commentatrice politique à LCN par la suite, reconnaît que son arrivée a surpris au début.

Elle a dû expliquer qu’elle a quitté la Rive-Sud pour habiter à Austin, dans la circonscription voisine d’Orford.

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Caroline St-Hilaire, candidate de la Coalition avenir Québec dans Sherbrooke

Je sens de la reconnaissance que je vienne me porter candidate, j’ai de l’expérience, et je n’ai pas choisi un comté facile.

Caroline St-Hilaire, candidate de la Coalition avenir Québec dans Sherbrooke

Elle a aussi dit que les libéraux avaient rejoint la CAQ « pour sortir QS ».

« La députée n’est pas allée une seule fois à la chambre de commerce. Moi, je suis allée voir les groupes communautaires. 

« C’est la capitale de l’Estrie, on ne peut pas parler juste de logement. On peut-tu parler de développement économique ? On peut-tu parler des solutions ? »

Pour elle, la députée Christine Labrie est une « militante » qui n’est pas là pour « toute la population », et qui propose des idées de transports en commun « ridicules ».

Notamment plus de kilomètres de tramway qu’à Québec, mais pour moins cher, un train électrique vers Montréal, des bus, pour un total de 4 milliards uniquement pour Sherbrooke.

« Même les voies réservées, ça dérange le monde. Il faut travailler sur la fréquence des autobus, pas le volume. Ni la Ville ni la société de transport n’a demandé de tramway. Ça règle pas le problème du transport la semaine prochaine, ça. »

Elle qui en a fait quelques-unes assure que c’est « [sa] plus belle campagne ». « Si on gagne, ce sera extraordinaire, si on perd, on aura tout essayé et on aura eu du fun avec mon équipe. Et j’essaie d’enseigner quelque chose à mes garçons [de 20 et 24 ans]. Que même quand c’est pas facile, il faut continuer. Travailler. C’est tellement bon, après ! »

Faire virer les autres à gauche

— C’est quoi, le vrai pouvoir d’une députée de l’opposition ?

Ma question a enflammé la députée solidaire, interceptée sur le campus de l’Université de Sherbrooke avec Manon Massé.

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Christine Labrie, députée sortante de Sherbrooke, et Manon Massé, co-porte-parole de Québec solidaire, sur le campus de l’Université de Sherbrooke

« On a un pouvoir d’influence énorme, dit Christine Labrie. Et on l’a exercé à un point tel qu’on a fait virer à gauche les autres partis politiques sur beaucoup de dossiers.

« Les promesses de logement social, on ne voyait pas ça en 2018. Le PLQ qui promet de rendre gratuits les programmes particuliers au secondaire. On proposait déjà ça. »

— Ils vous copient, au fond ?

« Je trouve ça ben correct, parce que ça montre qu’on a de l’influence sur le débat public. La CAQ, qui s’était présentée devant les électeurs sans aucun programme en environnement, a fini par faire adopter une loi pour interdire l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures au Québec. Ils ont fait ça parce qu’on les a convaincus d’abandonner GNL.

« L’interdiction de vendre des véhicules à essence en 2035, c’est pas assez tôt, mais on les a amenés à prendre des positions beaucoup plus progressistes. À Sherbrooke, on réclame une école secondaire. On s’est fait dire non trois fois. Là, ils sont venus l’annoncer pendant la campagne. Pourquoi, vous pensez ? »

Christine Labrie, qui faisait partie du groupe transpartisan de députées sur le tribunal spécialisé en violences sexuelles, pousse un long soupir quand je lui demande pourquoi elle n’est pas allée à la chambre de commerce.

C’est vrai que j’ai pas passé mon temps dans des 5 à 7 de chambre de commerce, mais j’ai aidé les entreprises qui en avaient besoin. J’ai rencontré des organismes de développement économique. La croissance économique va bien à Sherbrooke.

Christine Labrie, députée sortante de Sherbrooke

Pour ce qui est du logement, la crise ici frappe encore plus fort parce que 25 % des logements sont occupés par des étudiants, qui ne sont que de passage, ce qui permet des hausses plus facilement.

Le tramway ?

« Ma job en politique, c’est de penser à long terme. Faut commencer à en parler, parce que ça prend 10 ans minimum pour développer un plan de transport comme ça. Pour la CAQ, le transport en commun, c’est Montréal et Québec, et encore ! Dans plusieurs quartiers, il n’y a pas d’alternative sérieuse à la voiture. Au-delà de la crise environnementale, c’est un enjeu de vieillissement de la population. Ils viennent à mon bureau parce qu’ils ont perdu leur permis de conduire et ils n’ont plus de moyen de se déplacer. »

À part le vote étudiant, généralement favorable à QS, l’autre inconnue est la performance du Parti québécois dans les deux circonscriptions. Si comme ailleurs il monte un peu, est-ce que ce sera aux dépens de QS ou de la CAQ ?